PARIS DANS SA SPLENDEUR.
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La maréchale est brûlée, à son tour, sur la place de Grève, par arrêt du Parlement, qui la déclara atteinte et convaincue du
crime de lèse-majesté divine et humaine, vague formule derrière laquelle se retrancha la faiblesse des juges. On parlait de talismans,
de symboles et écrits merveillezix. On avait trouvé chez elle, disait-on, l’horoscope du roi et de la reine; on y avait trouvé aussi
une grande image de cire dans un cercueil de verre. On prétendait qu’Éléonore Galigaï sacrifiait parfois un coq; on l’accusait
d’avoir jeté un charme sur la reine-mère. Aucun de ces griefs, toutefois, ne fut articulé dans l’arrêt. Il n’était malheureusement
que trop dans les habitudes du Parlement de Paris d’être faible vis-à-vis des forts et fort vis-à-vis des faibles. « Que de peuple
pour une pauvre affligée ! » s’écria tristement la Galigaï en marchant au supplice.
Quant à la reine-mère, elle dut quitter le Louvre et Paris. Louis XIII se mit à la fenêtre pour la voir partir.
Au tout-puissant Concini succéda celui qui l’avait fait tuer et que Louis XIII lui-même ne tarda pas à appeler le roy Luynes.
Les grands se soulèvent de nouveau. La veille, ils se pressaient autoui* du prince de Condé contre la reine-mère; aujourd’hui,
ils se pressent autour de la reine-mère contre le roi. Les Protestants, de leur côté, s’organisent en république, et, de leur place
forte de,La Rochelle, où ils peuvent librement recevoir des secours de l’étranger, bravent le roi et la France. De Luynes, devenu
l
connétable sans avoir vu le feu, leur enlève Saint-Jean-d’Angély; échoue devant Montauban et meurt. Louis XIII continue la
guerre de son chef, et déploie alors le courage qui s’unissait chez lui à tant de faiblesse. « Le feu roi son père, qui étoit dans
l’estime cpie chacun sçait, écrivait Bassompierre, ne témoignoit pas pareille assurance. » Mais lorsqu’il fallait négocier et gouverner,
la tête manquait. L’anarchie était dans le ministère, l’intrigue à la cour; Marie de Médicis, qui avait repris sa place au conseil,
songe alors à Richelieu, et l’évêque de Luçon, devenu cardinal par la protection de la reine, prend le timon de l’Etat d’une
main tellement ferme, que Marie de Médicis elle-même sera obligée de plier.
L’administration de Richelieu peut se résumer en trois mots : abaissement des Protestants, abaissement des grands et abaissement
de la maison d’Autriche. - ■ • ■ .
La lutte avec les Protestants fut signalée surtout par le siège et la prise de La Rochelle. On peut juger de l’impression que
produisit cette conquête par les vers de Malherbe :
- . - La Rochelle est en poudre, et ses champs dévastés
N’ont face que de cimetières - , ' ' ' .
Où gisent les Titans qui les ont habités.
Un des plus pieux monuments de Paris garde le souvenir de cette ruine du Calvinisme. Le 9 décembre 1629, Louis XIII se
rendait chez les Pères Augustins Réformés, près du Mail, et y posait la première pierre de leur église qu’il plaçait sous l’invocation
de Notre-Dame-des-Victoires. . . -
La lutte avec les grands fut longue et pénible. Plusieurs de ses épisodes eurent leur dénoûment à Paris. Telle fut, entr’autrès,
la mort du comte de Montmorency-Boutteville, décapité comme duelliste le 21 juin 1627. Le duel, importé dans les Gaules par les
mœurs sauvages des Francs, y servit pendant longtemps d’expression même à la justice. Tombé en désuétude depuis saint Louis,
il fut remis en usage par François Ier, sinon comme voie de droit, du moins comme transaction chevaleresque sur toute question
d’honneur, èt, au commencement du XVe siècle, il était devenu une mode, une habitude. On s’était façonné à la guerre durant les
troubles civils, et on en portait les traditions jusque dans les rues et les carrefours. Pour la moindre susceptibilité, pour la plus
légère querelle prise à la chaude, comme dit L’Estoile, par fierté, par fanfaronnade, pour faire montre de soi et de son rang, on
s’attaquait et l’on se tuait, aux Tuileries, sur la place Royale, sans se préoccuper des passants, qui laissaient faire. Quelquefois
même les seconds mettaient l’épée à la main, et le duel devenait une bataille. Le duel de Boutteville sur la place Royale fut de
trois contre trois; celui de Bréauté, en Flandre, de vingt contre vingt.
Et contre une semblable frénésie, les lois étaient impuissantes. On les exceptait parfois contre ceux qui succombaient, ainsi qu’il
était arrivé à d’Arques, tué sur le Pont-Neuf par Baronville, et dont le corps, promené pendant deux jours dans un tombereau,
fut jeté ensuite à’ la voirie. Mais le tueur se sauva en Angleterre sur la recommandation de M. le prince de Joinville. Or, les
recommandations ne manquaient jamais, ou, au besoin, les lettres de grâce. Huit mille de ces lettres furent accordées en moins
de vingt ans.
Le rendez-vous habituel des spadassins était à Paris, rue du Jour, à l’hôtel de Royaumont, que possédait alors le comte de
Boutteville. On y trouvait constamment, dans une salle basse, des épées émoussées pour se faire la main, avec du vin et des vivres.
Le comte, brave et léger, comme la plupart des jeunes gens de la cour, donnait à cet égard le ton à la mode. Il se battit
publiquement le jour de Pâques 1624 ; il se battit de nouveau, et, comme pour braver le pouvoir, sur la place Royale, en 1627;
mais cette fois justice fut faite malgré les supplications des duchesses de Montmorency et de Ventadour, et de la princesse de
Condé, qui se jetèrent aux pieds de Louis XIII pour obtenir grâce.
Richelieu a écrit en parlant de Boutteville: « Le cardinal avoit, en son particulier, grande aversion à sa perte et grande
inclination à porter le roy à luy pardonner; mais il étoit retenu par la pensée que conserver la vie de ce gentilhomme qu’il
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La maréchale est brûlée, à son tour, sur la place de Grève, par arrêt du Parlement, qui la déclara atteinte et convaincue du
crime de lèse-majesté divine et humaine, vague formule derrière laquelle se retrancha la faiblesse des juges. On parlait de talismans,
de symboles et écrits merveillezix. On avait trouvé chez elle, disait-on, l’horoscope du roi et de la reine; on y avait trouvé aussi
une grande image de cire dans un cercueil de verre. On prétendait qu’Éléonore Galigaï sacrifiait parfois un coq; on l’accusait
d’avoir jeté un charme sur la reine-mère. Aucun de ces griefs, toutefois, ne fut articulé dans l’arrêt. Il n’était malheureusement
que trop dans les habitudes du Parlement de Paris d’être faible vis-à-vis des forts et fort vis-à-vis des faibles. « Que de peuple
pour une pauvre affligée ! » s’écria tristement la Galigaï en marchant au supplice.
Quant à la reine-mère, elle dut quitter le Louvre et Paris. Louis XIII se mit à la fenêtre pour la voir partir.
Au tout-puissant Concini succéda celui qui l’avait fait tuer et que Louis XIII lui-même ne tarda pas à appeler le roy Luynes.
Les grands se soulèvent de nouveau. La veille, ils se pressaient autoui* du prince de Condé contre la reine-mère; aujourd’hui,
ils se pressent autour de la reine-mère contre le roi. Les Protestants, de leur côté, s’organisent en république, et, de leur place
forte de,La Rochelle, où ils peuvent librement recevoir des secours de l’étranger, bravent le roi et la France. De Luynes, devenu
l
connétable sans avoir vu le feu, leur enlève Saint-Jean-d’Angély; échoue devant Montauban et meurt. Louis XIII continue la
guerre de son chef, et déploie alors le courage qui s’unissait chez lui à tant de faiblesse. « Le feu roi son père, qui étoit dans
l’estime cpie chacun sçait, écrivait Bassompierre, ne témoignoit pas pareille assurance. » Mais lorsqu’il fallait négocier et gouverner,
la tête manquait. L’anarchie était dans le ministère, l’intrigue à la cour; Marie de Médicis, qui avait repris sa place au conseil,
songe alors à Richelieu, et l’évêque de Luçon, devenu cardinal par la protection de la reine, prend le timon de l’Etat d’une
main tellement ferme, que Marie de Médicis elle-même sera obligée de plier.
L’administration de Richelieu peut se résumer en trois mots : abaissement des Protestants, abaissement des grands et abaissement
de la maison d’Autriche. - ■ • ■ .
La lutte avec les Protestants fut signalée surtout par le siège et la prise de La Rochelle. On peut juger de l’impression que
produisit cette conquête par les vers de Malherbe :
- . - La Rochelle est en poudre, et ses champs dévastés
N’ont face que de cimetières - , ' ' ' .
Où gisent les Titans qui les ont habités.
Un des plus pieux monuments de Paris garde le souvenir de cette ruine du Calvinisme. Le 9 décembre 1629, Louis XIII se
rendait chez les Pères Augustins Réformés, près du Mail, et y posait la première pierre de leur église qu’il plaçait sous l’invocation
de Notre-Dame-des-Victoires. . . -
La lutte avec les grands fut longue et pénible. Plusieurs de ses épisodes eurent leur dénoûment à Paris. Telle fut, entr’autrès,
la mort du comte de Montmorency-Boutteville, décapité comme duelliste le 21 juin 1627. Le duel, importé dans les Gaules par les
mœurs sauvages des Francs, y servit pendant longtemps d’expression même à la justice. Tombé en désuétude depuis saint Louis,
il fut remis en usage par François Ier, sinon comme voie de droit, du moins comme transaction chevaleresque sur toute question
d’honneur, èt, au commencement du XVe siècle, il était devenu une mode, une habitude. On s’était façonné à la guerre durant les
troubles civils, et on en portait les traditions jusque dans les rues et les carrefours. Pour la moindre susceptibilité, pour la plus
légère querelle prise à la chaude, comme dit L’Estoile, par fierté, par fanfaronnade, pour faire montre de soi et de son rang, on
s’attaquait et l’on se tuait, aux Tuileries, sur la place Royale, sans se préoccuper des passants, qui laissaient faire. Quelquefois
même les seconds mettaient l’épée à la main, et le duel devenait une bataille. Le duel de Boutteville sur la place Royale fut de
trois contre trois; celui de Bréauté, en Flandre, de vingt contre vingt.
Et contre une semblable frénésie, les lois étaient impuissantes. On les exceptait parfois contre ceux qui succombaient, ainsi qu’il
était arrivé à d’Arques, tué sur le Pont-Neuf par Baronville, et dont le corps, promené pendant deux jours dans un tombereau,
fut jeté ensuite à’ la voirie. Mais le tueur se sauva en Angleterre sur la recommandation de M. le prince de Joinville. Or, les
recommandations ne manquaient jamais, ou, au besoin, les lettres de grâce. Huit mille de ces lettres furent accordées en moins
de vingt ans.
Le rendez-vous habituel des spadassins était à Paris, rue du Jour, à l’hôtel de Royaumont, que possédait alors le comte de
Boutteville. On y trouvait constamment, dans une salle basse, des épées émoussées pour se faire la main, avec du vin et des vivres.
Le comte, brave et léger, comme la plupart des jeunes gens de la cour, donnait à cet égard le ton à la mode. Il se battit
publiquement le jour de Pâques 1624 ; il se battit de nouveau, et, comme pour braver le pouvoir, sur la place Royale, en 1627;
mais cette fois justice fut faite malgré les supplications des duchesses de Montmorency et de Ventadour, et de la princesse de
Condé, qui se jetèrent aux pieds de Louis XIII pour obtenir grâce.
Richelieu a écrit en parlant de Boutteville: « Le cardinal avoit, en son particulier, grande aversion à sa perte et grande
inclination à porter le roy à luy pardonner; mais il étoit retenu par la pensée que conserver la vie de ce gentilhomme qu’il