VOYAGE EN ESPAGNE.
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passions surhumaines, les délicatesses idéales résistant aux intrigues les
mieux ourdies, aux embûches les plus compliquées. Dans ce cas, le
poëte semble avoir pour but de proposer aux spectateurs un modèle
achevé de la perfection humaine. Tout ce qu'il peut trouver de qualités,
il l'entasse sur la tête de son prince ou de sa princesse; il les fait plus
soucieux de leur pureté que la blanche hermine, qui aime mieux mourjr
que d'avoir une tache sur sa fourrure de neige1. »
Depuis un siècle et demi, la plupart des auteurs dramatiques espa-
gnols, à force d'imiter et de traduire leurs voisins, se sont trop souvent
habitués à penser aux dépens des autres; ils ont méconnu, négligé le
principe d'originalité de leurs maîtres, et l'art n'a point fait tous les
progrès dont il était susceptible. L'auteur ingénieux de Si de las Ninas,
Moratin; dont nous avons vu quantité de manuscrits autographes
dans la Bibliothèque provinciale de Madrid, et dont les cendres repo-
sent au Père-Lachaise, ferme l'ère du vieux drame espagnol. Don
Martinez de la Rosa, don Antonio Gil y Zarate, Castro y Orozco, Zorrilla,
Breton de los Herreros, Hartzembush, le duc de Rivas, Ayguals de Izco,
forment une nouvelle école; école incertaine encore, qui a fait de
bonnes choses, tenté d'heureux essais, mais qui semble attendre, pour
s'élancer vers l'avenir, que des chefs-d'œuvre lui aient révélé sa mis-
sion définitive. Larra, Espronceda, esprits mélancoliques, sont morts
prématurément à la peine; d'autres sont restés absorbés par la politi-
que; quelques-uns, au lieu de suivre la carrière chanceuse du théâtre,
ont préféré semer dans le roman de mœurs la surabondance de pensées
qui les dominait. J'aime beaucoup mieux cela que de voir des esprits
capables de demeurer originaux se traîner à la remorque des auteurs
français de troisième ou de quatrième ordre.
Ce fut en l'année 1568 que Madrid, pour la première fois, eut des
compagnies d'acteurs organisées. Ils se mettaient à la solde de chaque
grandesse ou de chaque ville qui voulait bien les payer, et jouaient en
société quand ne leur advenait d'autre Mécène que le public.
En 1574, le comédien Gansa loue à la Tia Pacheca, pour lui et ses
associés, une salle assez vaste, sous la seule condition d'en réparer la
1 Tra los Montes.
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passions surhumaines, les délicatesses idéales résistant aux intrigues les
mieux ourdies, aux embûches les plus compliquées. Dans ce cas, le
poëte semble avoir pour but de proposer aux spectateurs un modèle
achevé de la perfection humaine. Tout ce qu'il peut trouver de qualités,
il l'entasse sur la tête de son prince ou de sa princesse; il les fait plus
soucieux de leur pureté que la blanche hermine, qui aime mieux mourjr
que d'avoir une tache sur sa fourrure de neige1. »
Depuis un siècle et demi, la plupart des auteurs dramatiques espa-
gnols, à force d'imiter et de traduire leurs voisins, se sont trop souvent
habitués à penser aux dépens des autres; ils ont méconnu, négligé le
principe d'originalité de leurs maîtres, et l'art n'a point fait tous les
progrès dont il était susceptible. L'auteur ingénieux de Si de las Ninas,
Moratin; dont nous avons vu quantité de manuscrits autographes
dans la Bibliothèque provinciale de Madrid, et dont les cendres repo-
sent au Père-Lachaise, ferme l'ère du vieux drame espagnol. Don
Martinez de la Rosa, don Antonio Gil y Zarate, Castro y Orozco, Zorrilla,
Breton de los Herreros, Hartzembush, le duc de Rivas, Ayguals de Izco,
forment une nouvelle école; école incertaine encore, qui a fait de
bonnes choses, tenté d'heureux essais, mais qui semble attendre, pour
s'élancer vers l'avenir, que des chefs-d'œuvre lui aient révélé sa mis-
sion définitive. Larra, Espronceda, esprits mélancoliques, sont morts
prématurément à la peine; d'autres sont restés absorbés par la politi-
que; quelques-uns, au lieu de suivre la carrière chanceuse du théâtre,
ont préféré semer dans le roman de mœurs la surabondance de pensées
qui les dominait. J'aime beaucoup mieux cela que de voir des esprits
capables de demeurer originaux se traîner à la remorque des auteurs
français de troisième ou de quatrième ordre.
Ce fut en l'année 1568 que Madrid, pour la première fois, eut des
compagnies d'acteurs organisées. Ils se mettaient à la solde de chaque
grandesse ou de chaque ville qui voulait bien les payer, et jouaient en
société quand ne leur advenait d'autre Mécène que le public.
En 1574, le comédien Gansa loue à la Tia Pacheca, pour lui et ses
associés, une salle assez vaste, sous la seule condition d'en réparer la
1 Tra los Montes.