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LES BELGES ILLUSTRES.
déjà avancé, ni la perte de ses amis dont le temps éclaircissait
peu à peu la troupe fidèle et chérie. Le sort aime à se mesurer
avec des êtres vraiment supérieurs, et quand une fois il a choisi
l’un deux pour victime, il se lasse difficilement de le frapper.
Un jour, pourtant, dans cette lutte courageuse avec l’adversité,
le brave gentilhomme succomba : la tête penchée sur sa poi-
trine, il versa des larmes amères. Son fils Charles, celui dont les
belles actions! avaient réjoui tant de fois, celui qu’il avait toujours
aimé jusqu’à 1 idolâtrie, était mort frappé par une balle ennemie
dans les plaines de la Champagne. Le cœur brisé, le vieillard
s’isola dans l’ermitage poétique qu’il s’était fait bâtir sur une
haute montagne, dans les environs de Vienne. La, pour chasser
la tristesse et l’ennui, on le voyait occupé tantôt à cultiver ses
jardins, tantôt à rassembler et à composer de curieux mé-
moires sur tous ceux qu’il avait vus, entendus, aimés pendant
sa longue et aventureuse existence.
Je me le figure, enfermé seul dans son cabinet, non pas sem-
blable à Bufîbn travaillant majestueusement en habit de cour,
ni comme Diderot, qui dans ses moments de verve fougueuse
lançait sa perruque par-dessus les toits \ mais je le surprends
dans son négligé de grand seigneur, écrivant au saut du fit, à
cette heure où, suivant lui, on peut le mieux juger un homme.
Point de livres, point de poudreux dictionnaires entassés sur
sa table; un cahier, une plume, de l’encre, voila tout. Pen-
dant qu’il écrit, sa main court ou plutôt vole sur le papier; il
semble que les idées jaillissent incessamment de son cerveau
fécond; elles descendent vives, joyeuses, originales; elles arri-
vent tout habillées, mais à la hâte et sans que l’écrivain prenne
LES BELGES ILLUSTRES.
déjà avancé, ni la perte de ses amis dont le temps éclaircissait
peu à peu la troupe fidèle et chérie. Le sort aime à se mesurer
avec des êtres vraiment supérieurs, et quand une fois il a choisi
l’un deux pour victime, il se lasse difficilement de le frapper.
Un jour, pourtant, dans cette lutte courageuse avec l’adversité,
le brave gentilhomme succomba : la tête penchée sur sa poi-
trine, il versa des larmes amères. Son fils Charles, celui dont les
belles actions! avaient réjoui tant de fois, celui qu’il avait toujours
aimé jusqu’à 1 idolâtrie, était mort frappé par une balle ennemie
dans les plaines de la Champagne. Le cœur brisé, le vieillard
s’isola dans l’ermitage poétique qu’il s’était fait bâtir sur une
haute montagne, dans les environs de Vienne. La, pour chasser
la tristesse et l’ennui, on le voyait occupé tantôt à cultiver ses
jardins, tantôt à rassembler et à composer de curieux mé-
moires sur tous ceux qu’il avait vus, entendus, aimés pendant
sa longue et aventureuse existence.
Je me le figure, enfermé seul dans son cabinet, non pas sem-
blable à Bufîbn travaillant majestueusement en habit de cour,
ni comme Diderot, qui dans ses moments de verve fougueuse
lançait sa perruque par-dessus les toits \ mais je le surprends
dans son négligé de grand seigneur, écrivant au saut du fit, à
cette heure où, suivant lui, on peut le mieux juger un homme.
Point de livres, point de poudreux dictionnaires entassés sur
sa table; un cahier, une plume, de l’encre, voila tout. Pen-
dant qu’il écrit, sa main court ou plutôt vole sur le papier; il
semble que les idées jaillissent incessamment de son cerveau
fécond; elles descendent vives, joyeuses, originales; elles arri-
vent tout habillées, mais à la hâte et sans que l’écrivain prenne