Mélanges, CCCXXIX. < Vol. XL No. 9&
S C H O U M L A E T SES ENVIRO N S*
Cette planche figure un défilé (pas) situé entre
Haidos et Schoumla, qui fixe en ce moment sur soi
les yeux de l'Europe entière, et est très-apte à don-
ner une idée de la propriété locale si sauvage du
Balkan supérieur et si défavorable à toutes les opé-
rations militaires. Les immenses obstacles, qu'oppose
à de simples voyageurs cette contrée montagneuse,
sont détaillés dans la notice suivante d'un nouveau
voyageur, Mr. Walsh {Narrative of a journey front
Çonstantinople to England), „En sortant de Hai-
dos, village assez important, situé au pied méridior
nal du Balkan supérieur, et où se trouvent les sour-
ces d'eau chaude, déjà renommées dans l'antiquité,
nous gravîmes" (JValsh et le tartare qui l'accompa-
gnoit) „la première chaîne du haut Balkan, et nous
y fîmes lepremier essai de son caractère pluvieux. A la
distance d'une lieue, la route descend de nouveau, et
nous gagnâmes une des plaines , qui sont fertiles à
la vérité, mais très - solitaires, et qu'il nous fallut sou-
vent traverser dans ces montagnes. Quelque part
que nous portassions nos regards, les montagnes es-
carpées, insurmontables en apparence, dont nous étions
environnés, nous empêchoient de voir par où nous
étions entrés et par où nous pourrions ressortir. Nous
suivîmes néanmoins le cours de la rivière, jusqu'au
moment où, ayant atteint la chute perpendiculaire de
la chaîne des montagnes, nous gagnâmes le bord op-
posé du vallon. Ici la montagne s'ouvrit subitement
et comme par enchantement et nous pénétrâmes dans
un étroit défilé, en suivant toujours la rivière. Ce vallon
est peut-être une des scènes les plus sublimes et les plus
pittoresques, qu'offre la nature en Europe. — Ses parois
presque verticaux s'élèvent du pied jusqu'au sommet cou-
vertdebois, à une hauteur prodigieuse, et laissent à peine
apercevoir une petite bande du ciel. Après avoir quel-
que tems poursuivi notre route le long du fleuve, en
descendant toujours de plus en plus, nous remontâ-
mes ensuite insensiblement, en passant sur de frêles
ponts construits en planches et jetés sur les goufres,
jusqu'au moment où nous eûmes atteint le faite de
la seconde chaîne. L'approche du soir nous pressant
d'accélérer notre marche, nous descendîmes alors une
pente assez roide avec une rapidité particulière aux
turcs. Nous passions au galop sur l'un des ponts fra-
giles, jetés sur les précipices, lorsqu'il se brisa subi-
tement avec fracas, et mon tartare et son cheval dis-
parurent à nos yeux. Mustapha fut jeté en avant et
grimpa, en se cramponnant aux planches brisées, de
l'autre côté, mais son cheval s'enfonça et ses pieds de
derrière s'empêtrèrent dans les poutres qui soutenoient
le pont de sorte qu'il resta suspendu. Tous nos ef-
forts pour délivrer ce pauvre animal, qui jetoît les
cris les plus plaintifs, étoient infructueux, lorsque
heureusement le courrier de Silistrie, que nous avions
laissé à Haidos avec ses gens, nous réjoignit et nous
aida à délivrer ce cheval, qui à notre grande satis-
faction se trouva sain et sauf. Il faisoit déjà très-ob-
scur, lorsque nous descendîmes dans le vallon et at-
teignîmes le village romantique Lopenitza, situé aü
pied du haut Balkan, où nous trouvâmes chez de très-
honnêtes paysans un excellent repas, qui nous étoit
d'autant plus nécessaire que nous étions épuisés d'hu-
midité, de froid, de faim et de fatigues. Avant le
point du jour nous quittâmes ce toit hospitalier, et
ce ne fut pas sans de nombreuses difficultés que nous
trouvâmes notre route à travers plusieurs fossés et col-
lines roccailleuses, jusqu'à ce que parût le matin, ac-
compagné d'une bise si pénétrante que nous avions pei-
ne à nous mouvoir. Cette routé traverse les derniè-
res chaînes du Balkan et les plaines qui l'interrom-
pent de tems à autre. Dans l'une de celles-ci nous
retrouvâmes la rivière, nommée Bujeck Kamedschi,
avec laquelle- nous étions entrés dans les montagnes
et qui courant parallèlement avec le dos principal du
Balkan, se jette dans la mer noire. Après que nous
eûmes passé cette rivière, dont j'aurois eu beaucoup
de plaisir à suivre le cours, à travers ses abîmes ob-
scurs et souterrains, nous fîmes à cheval, sans nous
arrêter, le trajet de Schoumla, où j'arrivai à 8 heures
du soir, si saisi de froid que je tombai de cheval, pri-
vé de tout mouvement. Schoumla est une ville gran-
de, populeuse, ayant 60,000 habitants, formant deux
quartiers, dont l'un pour les musulmans, l'autre pour
les chrétiens. Ce qu'elle a de plus remarquable, c'est
une horloge sonnant et marquant les heures, qui ne
sont annoncées dans les autres villes de Turquie que
par des crieurs, nommés Muzziens. Cette extraordi-
naire innovation a été introduite par Un Pacha qui
ayant été prisonnier en Russie en rapporta cette h°r"
loge. Je n'en ai vu ni entendu d'autre dans tout le
territoire ottoman, si ce n'est celle d'Athènes, que
lord Elgin donna à cette ville en compensation de la
destruction du Parthenon. Schoumla forme le cen-
tre de toutes les communications entre Çonstantino-
ple et les provinces du Danube et comme point mi-*
litaire, elle est de la plus haute importance pour
l'empire ottoman tant à cause des hautes montagnes
mi - circulaires qui l'entourent, qu'à cause de ses for-
tifications, quoique très-irrégulières; aussi les Russes
furent-ils repousses sous ses murs en 1774 sous Ro*
manzov, et sous Kamensky en 1810 forcés d'en le-
ver le siège et de se retirer.
S C H O U M L A E T SES ENVIRO N S*
Cette planche figure un défilé (pas) situé entre
Haidos et Schoumla, qui fixe en ce moment sur soi
les yeux de l'Europe entière, et est très-apte à don-
ner une idée de la propriété locale si sauvage du
Balkan supérieur et si défavorable à toutes les opé-
rations militaires. Les immenses obstacles, qu'oppose
à de simples voyageurs cette contrée montagneuse,
sont détaillés dans la notice suivante d'un nouveau
voyageur, Mr. Walsh {Narrative of a journey front
Çonstantinople to England), „En sortant de Hai-
dos, village assez important, situé au pied méridior
nal du Balkan supérieur, et où se trouvent les sour-
ces d'eau chaude, déjà renommées dans l'antiquité,
nous gravîmes" (JValsh et le tartare qui l'accompa-
gnoit) „la première chaîne du haut Balkan, et nous
y fîmes lepremier essai de son caractère pluvieux. A la
distance d'une lieue, la route descend de nouveau, et
nous gagnâmes une des plaines , qui sont fertiles à
la vérité, mais très - solitaires, et qu'il nous fallut sou-
vent traverser dans ces montagnes. Quelque part
que nous portassions nos regards, les montagnes es-
carpées, insurmontables en apparence, dont nous étions
environnés, nous empêchoient de voir par où nous
étions entrés et par où nous pourrions ressortir. Nous
suivîmes néanmoins le cours de la rivière, jusqu'au
moment où, ayant atteint la chute perpendiculaire de
la chaîne des montagnes, nous gagnâmes le bord op-
posé du vallon. Ici la montagne s'ouvrit subitement
et comme par enchantement et nous pénétrâmes dans
un étroit défilé, en suivant toujours la rivière. Ce vallon
est peut-être une des scènes les plus sublimes et les plus
pittoresques, qu'offre la nature en Europe. — Ses parois
presque verticaux s'élèvent du pied jusqu'au sommet cou-
vertdebois, à une hauteur prodigieuse, et laissent à peine
apercevoir une petite bande du ciel. Après avoir quel-
que tems poursuivi notre route le long du fleuve, en
descendant toujours de plus en plus, nous remontâ-
mes ensuite insensiblement, en passant sur de frêles
ponts construits en planches et jetés sur les goufres,
jusqu'au moment où nous eûmes atteint le faite de
la seconde chaîne. L'approche du soir nous pressant
d'accélérer notre marche, nous descendîmes alors une
pente assez roide avec une rapidité particulière aux
turcs. Nous passions au galop sur l'un des ponts fra-
giles, jetés sur les précipices, lorsqu'il se brisa subi-
tement avec fracas, et mon tartare et son cheval dis-
parurent à nos yeux. Mustapha fut jeté en avant et
grimpa, en se cramponnant aux planches brisées, de
l'autre côté, mais son cheval s'enfonça et ses pieds de
derrière s'empêtrèrent dans les poutres qui soutenoient
le pont de sorte qu'il resta suspendu. Tous nos ef-
forts pour délivrer ce pauvre animal, qui jetoît les
cris les plus plaintifs, étoient infructueux, lorsque
heureusement le courrier de Silistrie, que nous avions
laissé à Haidos avec ses gens, nous réjoignit et nous
aida à délivrer ce cheval, qui à notre grande satis-
faction se trouva sain et sauf. Il faisoit déjà très-ob-
scur, lorsque nous descendîmes dans le vallon et at-
teignîmes le village romantique Lopenitza, situé aü
pied du haut Balkan, où nous trouvâmes chez de très-
honnêtes paysans un excellent repas, qui nous étoit
d'autant plus nécessaire que nous étions épuisés d'hu-
midité, de froid, de faim et de fatigues. Avant le
point du jour nous quittâmes ce toit hospitalier, et
ce ne fut pas sans de nombreuses difficultés que nous
trouvâmes notre route à travers plusieurs fossés et col-
lines roccailleuses, jusqu'à ce que parût le matin, ac-
compagné d'une bise si pénétrante que nous avions pei-
ne à nous mouvoir. Cette routé traverse les derniè-
res chaînes du Balkan et les plaines qui l'interrom-
pent de tems à autre. Dans l'une de celles-ci nous
retrouvâmes la rivière, nommée Bujeck Kamedschi,
avec laquelle- nous étions entrés dans les montagnes
et qui courant parallèlement avec le dos principal du
Balkan, se jette dans la mer noire. Après que nous
eûmes passé cette rivière, dont j'aurois eu beaucoup
de plaisir à suivre le cours, à travers ses abîmes ob-
scurs et souterrains, nous fîmes à cheval, sans nous
arrêter, le trajet de Schoumla, où j'arrivai à 8 heures
du soir, si saisi de froid que je tombai de cheval, pri-
vé de tout mouvement. Schoumla est une ville gran-
de, populeuse, ayant 60,000 habitants, formant deux
quartiers, dont l'un pour les musulmans, l'autre pour
les chrétiens. Ce qu'elle a de plus remarquable, c'est
une horloge sonnant et marquant les heures, qui ne
sont annoncées dans les autres villes de Turquie que
par des crieurs, nommés Muzziens. Cette extraordi-
naire innovation a été introduite par Un Pacha qui
ayant été prisonnier en Russie en rapporta cette h°r"
loge. Je n'en ai vu ni entendu d'autre dans tout le
territoire ottoman, si ce n'est celle d'Athènes, que
lord Elgin donna à cette ville en compensation de la
destruction du Parthenon. Schoumla forme le cen-
tre de toutes les communications entre Çonstantino-
ple et les provinces du Danube et comme point mi-*
litaire, elle est de la plus haute importance pour
l'empire ottoman tant à cause des hautes montagnes
mi - circulaires qui l'entourent, qu'à cause de ses for-
tifications, quoique très-irrégulières; aussi les Russes
furent-ils repousses sous ses murs en 1774 sous Ro*
manzov, et sous Kamensky en 1810 forcés d'en le-
ver le siège et de se retirer.