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ÉCOLE FLAMANDE.
la nature, inné chez les peuples septentrionaux, au sentiment idéal de la beauté départi à la nation italienne.
Du mariage mystique du Sud et du Nord de l’Europe devait naître le grand Poussin.
Parmi ces maîtres précurseurs des illustres paysagistes du xvn8 siècle, il en est un dont la postérité a
conservé le nom et les ouvrages : ce maître, c’est Paul Bril. Les écoles vénitienne et flamande se disputent,
il est vrai, l’honneur d’avoir créé le genre du paysage. Quoique l’histoire semble établir que Giorgione elle
Titien songèrent les premiers à traiter le paysage comme sujet principal d’un tableau, et justifier ainsi la
prétention des Vénitiens, il est permis de croire que la Flandre fut le berceau des plus anciens paysagistes.
Telle est du reste l’opinion de l’Italien Baldinucci lui-même. Il faut ajouter que le caractère calme et
mélancolique des hommes du Nord les porte à la contemplation du monde extérieur. Au moment où
l’humanité sortit de la longue barbarie du moyen âge, ils durent être les premiers éveillés au sentiment de
la nature. De plus, la lumière qui joue un si grand rôle dans les paysages, offre ses effets les plus pittoresques
dans les pays brumeux du Nord. C’est là que le soleil déchirant tout à coup les nuages, inonde de rayons une
partie de la campagne, tandis que l’autre reste plongée dans une muette obscurité -, c’est là que les nues se
colorent de teintes variées où le peintre peut étudier les dégradations de tons les plus merveilleuses.
Ce qu’il y a de certain, c’est que le premier peintre resté célèbre qui cultiva exclusivement le genre du
paysage, fut le flamand Paul Bril. 11 est à remarquer toutefois que ce peintre vécut constamment en Italie,
et la suite de sa vie nous prouvera que son génie se développa sous la double influence des instincts qu’il
avait apportés de son pays natal et des grands modèles qu’il trouva dans son pays d’adoption. Il naquit à Anvers,
en 1556 Il étudia fort jeune dans l’atelier de Daniel Wortclmans, peintre ignoré. Il paraît, si l’on en croit
Karle Van Mander, qu’il se montra d’abord assez rebelle aux premiers enseignements de la peinture : jusqu’à
l’âge de quatorze ans, il ne fit paraître aucun signe de son génie. Obligé de pourvoir à son existence par son
travail, il peignait à la gouache des clavecins et ces lyres à trois cordes qu’on appelait pandores. La peinture
alors s’employait surtout à l’ornementation. Tous les meubles, en Italie, vers la fin du xv8 siècle et au
commencement du xvi8, étaient enrichis de peintures. Desco, peintre florentin, et Starnina, en Espagne,
excellaient dans ce genre 1 2. Gaddi, Orcagna, Giotto lui-même peignirent des cassoni , petits tableaux qui
servaient à décorer les boîtes où l’on mettait les présents de noces des jeunes mariées. Quoique Paul Bril
exécutât ce travail avec une grande facilité, il avait peine à en vivre. La nécessité donc, et peut-être aussi
le désir de voir et l’humeur inquiète l’éloignèrent de bonne heure d’Anvers : il partit pour Bréda. Ses parents,
qui souffraient déjà de l’absence de leur fils aîné Mathieu, le rappelèrent cependant bientôt dans sa ville
natale. Là le bruit des succès que Mathieu obtenait en Italie réveilla son inquiétude, et il s’enfuit un beau
jour, à peine âgé de vingt ans, pour courir après son rêve de l’Italie. 11 s’arrêta pourtant quelques mois à
Lyon avant de franchir les Alpes. D’Argenville nous apprend que Paul Bril y étudia sous un maître inconnu,
mais dont les enseignements ne lui furent pas inutiles. Son coloris devint meilleur, et il prit une manière de
peindre plus ferme et plus vigoureuse.
Arrivé à Borne, il y trouva son frère Mathieu, établi depuis plusieurs années et chargé par Grégoire Xllf
de grands travaux au Vatican. Tant que dura la vie de ce pape, Paul travailla sous les yeux de son frère et
lui aida à achever les ouvrages qu’il avait entrepris dans la grande galerie et les loges du palais pontifical.
Paul Bril montra dès lors tant d’habileté, qu’à la mort de Mathieu, arrivée en 1584, le pape Sixte-Quint,
successeur de Grégoire XIII, n’hésita pas à lui confier la suite des travaux de son frère3. A partir de ce
1 Baldinucci le fait naître en 1584, mais c’est une erreur qu’il indique lui-même en racontant que Paul prit la suite des
travaux de son frère, qui mourut précisément à cette date de 1584. Van Mander et Sandrart fixent également la naissance de
Paul Bril à l’année 1556.
2 Lanzi, Storia pittorica délia Italia, tome I, p. 50.
3 S’il est vrai que Paul Bril dut à Sixte-Quint d’être choisi pour l’héritier de son frère , il faut du moins reculer d’une année
la mort de Mathieu, car Sixte-Quint n’arriva au trône pontifical qu’en 1585. Si au contraire Mathieu est mort en 1584, c’est
Grégoire XIII qui dut continuer à Paul la faveur qu’il avait accordée à Mathieu.
ÉCOLE FLAMANDE.
la nature, inné chez les peuples septentrionaux, au sentiment idéal de la beauté départi à la nation italienne.
Du mariage mystique du Sud et du Nord de l’Europe devait naître le grand Poussin.
Parmi ces maîtres précurseurs des illustres paysagistes du xvn8 siècle, il en est un dont la postérité a
conservé le nom et les ouvrages : ce maître, c’est Paul Bril. Les écoles vénitienne et flamande se disputent,
il est vrai, l’honneur d’avoir créé le genre du paysage. Quoique l’histoire semble établir que Giorgione elle
Titien songèrent les premiers à traiter le paysage comme sujet principal d’un tableau, et justifier ainsi la
prétention des Vénitiens, il est permis de croire que la Flandre fut le berceau des plus anciens paysagistes.
Telle est du reste l’opinion de l’Italien Baldinucci lui-même. Il faut ajouter que le caractère calme et
mélancolique des hommes du Nord les porte à la contemplation du monde extérieur. Au moment où
l’humanité sortit de la longue barbarie du moyen âge, ils durent être les premiers éveillés au sentiment de
la nature. De plus, la lumière qui joue un si grand rôle dans les paysages, offre ses effets les plus pittoresques
dans les pays brumeux du Nord. C’est là que le soleil déchirant tout à coup les nuages, inonde de rayons une
partie de la campagne, tandis que l’autre reste plongée dans une muette obscurité -, c’est là que les nues se
colorent de teintes variées où le peintre peut étudier les dégradations de tons les plus merveilleuses.
Ce qu’il y a de certain, c’est que le premier peintre resté célèbre qui cultiva exclusivement le genre du
paysage, fut le flamand Paul Bril. 11 est à remarquer toutefois que ce peintre vécut constamment en Italie,
et la suite de sa vie nous prouvera que son génie se développa sous la double influence des instincts qu’il
avait apportés de son pays natal et des grands modèles qu’il trouva dans son pays d’adoption. Il naquit à Anvers,
en 1556 Il étudia fort jeune dans l’atelier de Daniel Wortclmans, peintre ignoré. Il paraît, si l’on en croit
Karle Van Mander, qu’il se montra d’abord assez rebelle aux premiers enseignements de la peinture : jusqu’à
l’âge de quatorze ans, il ne fit paraître aucun signe de son génie. Obligé de pourvoir à son existence par son
travail, il peignait à la gouache des clavecins et ces lyres à trois cordes qu’on appelait pandores. La peinture
alors s’employait surtout à l’ornementation. Tous les meubles, en Italie, vers la fin du xv8 siècle et au
commencement du xvi8, étaient enrichis de peintures. Desco, peintre florentin, et Starnina, en Espagne,
excellaient dans ce genre 1 2. Gaddi, Orcagna, Giotto lui-même peignirent des cassoni , petits tableaux qui
servaient à décorer les boîtes où l’on mettait les présents de noces des jeunes mariées. Quoique Paul Bril
exécutât ce travail avec une grande facilité, il avait peine à en vivre. La nécessité donc, et peut-être aussi
le désir de voir et l’humeur inquiète l’éloignèrent de bonne heure d’Anvers : il partit pour Bréda. Ses parents,
qui souffraient déjà de l’absence de leur fils aîné Mathieu, le rappelèrent cependant bientôt dans sa ville
natale. Là le bruit des succès que Mathieu obtenait en Italie réveilla son inquiétude, et il s’enfuit un beau
jour, à peine âgé de vingt ans, pour courir après son rêve de l’Italie. 11 s’arrêta pourtant quelques mois à
Lyon avant de franchir les Alpes. D’Argenville nous apprend que Paul Bril y étudia sous un maître inconnu,
mais dont les enseignements ne lui furent pas inutiles. Son coloris devint meilleur, et il prit une manière de
peindre plus ferme et plus vigoureuse.
Arrivé à Borne, il y trouva son frère Mathieu, établi depuis plusieurs années et chargé par Grégoire Xllf
de grands travaux au Vatican. Tant que dura la vie de ce pape, Paul travailla sous les yeux de son frère et
lui aida à achever les ouvrages qu’il avait entrepris dans la grande galerie et les loges du palais pontifical.
Paul Bril montra dès lors tant d’habileté, qu’à la mort de Mathieu, arrivée en 1584, le pape Sixte-Quint,
successeur de Grégoire XIII, n’hésita pas à lui confier la suite des travaux de son frère3. A partir de ce
1 Baldinucci le fait naître en 1584, mais c’est une erreur qu’il indique lui-même en racontant que Paul prit la suite des
travaux de son frère, qui mourut précisément à cette date de 1584. Van Mander et Sandrart fixent également la naissance de
Paul Bril à l’année 1556.
2 Lanzi, Storia pittorica délia Italia, tome I, p. 50.
3 S’il est vrai que Paul Bril dut à Sixte-Quint d’être choisi pour l’héritier de son frère , il faut du moins reculer d’une année
la mort de Mathieu, car Sixte-Quint n’arriva au trône pontifical qu’en 1585. Si au contraire Mathieu est mort en 1584, c’est
Grégoire XIII qui dut continuer à Paul la faveur qu’il avait accordée à Mathieu.