IV LE JARDIN DES PLANTES.
ambitieux, sans envier la gloire de ceux qui ont sondé des monarchies, qui ont
sauvé des peuples entiers, qui ont agrandi des villes capitales, on ne peut
s’empêcher d’admirer et d’envier peut-être, car c’est là une noble envie, la
gloire et le bonheur de M. de Busson. Quelle gloire immense en esset, et quelle
joie, et quelles batailles pacifiques! M. de Busfon arrivait au milieu de cette
œuvre à peine commencée, en se disant à lui-même qu’il 1 achèverait un jour.
Il arrivait au milieu de ce désordre, de ce chaos, du pêle-mêle savant et peu
logique de ces plantes naissantes, de ces débris sans nombre, de ces sormes
brisées, et il se disait tout bas : Je vais tirer du chaos toutes choses, je vais re-
mettre à leur place l’arbre et la plante, la mousse et la fleur, je vais prononcer
du haut de mon génie le fiat lux pour chaque fruit de l’espalier, pour chaque
fleur en son bouton, pour chaque animal venu de toutes les parties du monde;
j'élèverai les vallées, j’abaisserai les montagnes, j’aurai à mon gré un fleuve
ou une mer, un srais pâturage ou une caverne, la rosée bienfaisante et le
chaud rayon du soleil. Mes vingt-quatre arpents de terre, je les veux agrandir
outre mesure, jusqu'à ce qu’enfin j’y aie rensermé une miniature de l’univers.
De cette création saite par moi et pour moi je serai le dieu d’abord, et ensuite
j’en serai plus que le dieu, j’en serai le nomenclateur, j’en serai l’historien.
On raconte qu’une sois le premier homme créé, Dieu dit à Adam : Te voilà,
c’est à toi à nommer toutes les choses de la création. Voilà ce que se dit à lui-
même M. de Bufson quand il se vit le maître du Jardin du Roi. Cette fois donc
son œuvre était trouvée, sa lâche éternelle commençait; jusqu’à la fin de sa
vie, il devait marcher dans ces sentiers de fleurs et d’épines, Heurs dévouées et
obéissantes, épines qui ne blessent pas ceux qui les regardent avec respect,
avec amour.
Voici donc M. de Buffon qui prend possession de son domaine. C’était triste
à voir ce domaine de la nature. Deux salles basses susfisaient, et au delà, à
contenir des curiosités dignes de la soire : deux ou trois squelettes vermoulus,
des herbiers en désordre ; le Jardin était planté au hasard : pas une allée, pas
un sentier tracé, pas un arbre qui sût à sa place. 11 fallut bâtir, il sallut planter,
il sallut agrandir toutes choses, surtout il sallut trouver des hommes qui vinssent
en aide au grand naturaliste; car déjà M. de Busfon, comme un digne émule
de Pline l’ancien, songeait à écrire l’histoire nasurelle, ce livre immense qui n’a
d’autres bornes que les bornes de l’univers.
Le premier qui vint en aide à M. de Buffon, c’était un homme d’une grande
science, nommé Daubenton. 11 sut chargé de l’arrangement du cabinet, il dis-
posa les collections, il fit quatre divisions principales des divers règnes de la
nature; il invoqua, au nom de M. de Busson son maître, le secours de tous les
voyageurs. A l’exemple d’Antoine de Jussieu, qui envoyait à ses frais ses plus
zélés disciples pour ramasser des plantes et des graines, Daubenton recueillit
des livres, des échantillons de tout genre. A côté de cette samille des Jussieu, les
bienfaiteurs du genre humain, il faut placer Jean-André Thouin et son fils An-
dré. Ainsi peu à peu tout le Jardin prenait une sace nouvelle. M. de Buffon
communiquait à toutes choses la persévérance de son esprit; tous ces gens-là
s’aimaient et s’entr'aidaient les uns les autres. On eût dit une colonie de culti-
vateurs, ou mieux encore une réunion de disciples de Saint-Simon ou de Fou-
ambitieux, sans envier la gloire de ceux qui ont sondé des monarchies, qui ont
sauvé des peuples entiers, qui ont agrandi des villes capitales, on ne peut
s’empêcher d’admirer et d’envier peut-être, car c’est là une noble envie, la
gloire et le bonheur de M. de Busson. Quelle gloire immense en esset, et quelle
joie, et quelles batailles pacifiques! M. de Busfon arrivait au milieu de cette
œuvre à peine commencée, en se disant à lui-même qu’il 1 achèverait un jour.
Il arrivait au milieu de ce désordre, de ce chaos, du pêle-mêle savant et peu
logique de ces plantes naissantes, de ces débris sans nombre, de ces sormes
brisées, et il se disait tout bas : Je vais tirer du chaos toutes choses, je vais re-
mettre à leur place l’arbre et la plante, la mousse et la fleur, je vais prononcer
du haut de mon génie le fiat lux pour chaque fruit de l’espalier, pour chaque
fleur en son bouton, pour chaque animal venu de toutes les parties du monde;
j'élèverai les vallées, j’abaisserai les montagnes, j’aurai à mon gré un fleuve
ou une mer, un srais pâturage ou une caverne, la rosée bienfaisante et le
chaud rayon du soleil. Mes vingt-quatre arpents de terre, je les veux agrandir
outre mesure, jusqu'à ce qu’enfin j’y aie rensermé une miniature de l’univers.
De cette création saite par moi et pour moi je serai le dieu d’abord, et ensuite
j’en serai plus que le dieu, j’en serai le nomenclateur, j’en serai l’historien.
On raconte qu’une sois le premier homme créé, Dieu dit à Adam : Te voilà,
c’est à toi à nommer toutes les choses de la création. Voilà ce que se dit à lui-
même M. de Bufson quand il se vit le maître du Jardin du Roi. Cette fois donc
son œuvre était trouvée, sa lâche éternelle commençait; jusqu’à la fin de sa
vie, il devait marcher dans ces sentiers de fleurs et d’épines, Heurs dévouées et
obéissantes, épines qui ne blessent pas ceux qui les regardent avec respect,
avec amour.
Voici donc M. de Buffon qui prend possession de son domaine. C’était triste
à voir ce domaine de la nature. Deux salles basses susfisaient, et au delà, à
contenir des curiosités dignes de la soire : deux ou trois squelettes vermoulus,
des herbiers en désordre ; le Jardin était planté au hasard : pas une allée, pas
un sentier tracé, pas un arbre qui sût à sa place. 11 fallut bâtir, il sallut planter,
il sallut agrandir toutes choses, surtout il sallut trouver des hommes qui vinssent
en aide au grand naturaliste; car déjà M. de Busfon, comme un digne émule
de Pline l’ancien, songeait à écrire l’histoire nasurelle, ce livre immense qui n’a
d’autres bornes que les bornes de l’univers.
Le premier qui vint en aide à M. de Buffon, c’était un homme d’une grande
science, nommé Daubenton. 11 sut chargé de l’arrangement du cabinet, il dis-
posa les collections, il fit quatre divisions principales des divers règnes de la
nature; il invoqua, au nom de M. de Busson son maître, le secours de tous les
voyageurs. A l’exemple d’Antoine de Jussieu, qui envoyait à ses frais ses plus
zélés disciples pour ramasser des plantes et des graines, Daubenton recueillit
des livres, des échantillons de tout genre. A côté de cette samille des Jussieu, les
bienfaiteurs du genre humain, il faut placer Jean-André Thouin et son fils An-
dré. Ainsi peu à peu tout le Jardin prenait une sace nouvelle. M. de Buffon
communiquait à toutes choses la persévérance de son esprit; tous ces gens-là
s’aimaient et s’entr'aidaient les uns les autres. On eût dit une colonie de culti-
vateurs, ou mieux encore une réunion de disciples de Saint-Simon ou de Fou-