VI
LE JARDIN DES PLANTES.
son empire avec cette coquetterie-royale et charmante à laquelle il était si
difficile de résister. Mais M. de Bufson, tout entier à sa double création, à son
livre et à son Jardin, envoya son fils à sa place. Cependant le Jardin grandissait
toujours. Sur ces entrefaites, surent publiés les premiers volumes de {'Histoire
naturelle, ce ches-d’œuvre d'éloquence où M. de Buffon ralliait à lui, d’une sa-
çon irrésistible, tous les naturalistes de l’Europe. A bien prendre, le Jardin
du Boi et {'Histoire naturelle, c’est la même œuvre : l’un tient à l’autre par un
lien que rien ne saurait rompre. Sans le Jardin du Roi, jamais M. de Busson
n’aurait écrit son livre ; sans le livre de M. de Busson, le Jardin du Roi n’aurait
pas conquis tout d’un coup, comme il l’a sait, l’admiration de l’Europe savante.
Autour de ce Jardin et de ce livre se sont groupés tous les amateurs pas-
sionnés de l'histoire naturelle. Quiconque avait étudié avec soin, avec amour,
la partie la plus imperceptible de ce vaste univers, une graine, un insecte,
un papillon, une plante, était le bienvenu à adresser à M. de Busfon ses pro-
pres découvertes —Voilà, Monsieur, ce que je sais, voilà ce que j’ai appris,
voilà ce que j’ai découvert; et M. de Buffon répondait, à coup sûr, à ce con-
frère inconnu, une lettre de remercîmcnts, où il l’appelait son collaborateur.
Ainsi l’historien de la nature était représenté dans le monde entier par toute
sorte de correspondants et d’ambassadeurs, disciples dévoués de son travail et
de son génie. Cet homme voyait de très-haut toutes choses ; il aimait les collec-
tions, il est vrai, mais il les aimait pour s’en servir en grand historien. 11 n’au -
rait guère été satisfait s’il lui eût fallu se maintenir, sans fin et sans cesse, dans
la description minutieuse des moindres fragments du grand ensemble; mais,
au contraire, ce qui le rendait heureux et fier, c’était de reconstruire ces formes
éparses, c’était de rendre la vie, le mouvement, la pensée et l'orgueil aux ani-
maux de la création divine; c’était de nous les montrer, non pas tels que la
dissection nous les avait faits, mais tels qu’ils étaient sortis du caprice ou de
la main de Dieu. Le lion rugissant, le tigre qui bondit, le cheval indocile au
srein, la génisse superbe, le taureau amoureux, le cers fuyant au son du cor, la
chèvre qui broute le cytise en fleurs ; le chien, ce compagnon de l’homme ; le
coq, roi de la basse-cour; il n’y a pas jusqu’à l’âne, l’assidu, l’entêté et l’in-
fatigable ami du laboureur, l’humble animal que M. Delille n’aurait jamais osé
nommer dans ses vers, à qui M. de Bufson n’ait accordé une grande place dans
son histoire; même il a écrit au sujet de ce pauvre âne, qui sut plus tard un
des héros de Sterne, les pages les plus touchantes de son histoire, pages hono-
rables pour tous deux, pour l’âne et pour M. de Busfon, car il a rendu justice
au plus patient et au plus sobre des travailleurs. En même temps ce beau cha-
pitre, si plein de raison, de justice et de bon sens, doit absoudre à tout jamais
M. de Busfon du niais reproche d’enflure et d’emphase avec lequel on l’attaque
depuis si longtemps. Mais, tenez, puisque nous en sommes arrivés à cet homme
célèbre, le véritable fondateur du Jardin du Roi, pourquoi ne pas vous ra-
conter sa vie? Ce sera là, sans contredit, la plus noble introduction qui se puisse
faire à ce livre du Jardin des Plantes, dont un plus savant que moi sera l’histo-
rien.
Georges-Louis Leclerc, comte de Busfon, était né à Montbart en Bourgogne,
le 7 septembre J 707. Son père était un homme riche et un savant magistrat,
LE JARDIN DES PLANTES.
son empire avec cette coquetterie-royale et charmante à laquelle il était si
difficile de résister. Mais M. de Bufson, tout entier à sa double création, à son
livre et à son Jardin, envoya son fils à sa place. Cependant le Jardin grandissait
toujours. Sur ces entrefaites, surent publiés les premiers volumes de {'Histoire
naturelle, ce ches-d’œuvre d'éloquence où M. de Buffon ralliait à lui, d’une sa-
çon irrésistible, tous les naturalistes de l’Europe. A bien prendre, le Jardin
du Boi et {'Histoire naturelle, c’est la même œuvre : l’un tient à l’autre par un
lien que rien ne saurait rompre. Sans le Jardin du Roi, jamais M. de Busson
n’aurait écrit son livre ; sans le livre de M. de Busson, le Jardin du Roi n’aurait
pas conquis tout d’un coup, comme il l’a sait, l’admiration de l’Europe savante.
Autour de ce Jardin et de ce livre se sont groupés tous les amateurs pas-
sionnés de l'histoire naturelle. Quiconque avait étudié avec soin, avec amour,
la partie la plus imperceptible de ce vaste univers, une graine, un insecte,
un papillon, une plante, était le bienvenu à adresser à M. de Busfon ses pro-
pres découvertes —Voilà, Monsieur, ce que je sais, voilà ce que j’ai appris,
voilà ce que j’ai découvert; et M. de Buffon répondait, à coup sûr, à ce con-
frère inconnu, une lettre de remercîmcnts, où il l’appelait son collaborateur.
Ainsi l’historien de la nature était représenté dans le monde entier par toute
sorte de correspondants et d’ambassadeurs, disciples dévoués de son travail et
de son génie. Cet homme voyait de très-haut toutes choses ; il aimait les collec-
tions, il est vrai, mais il les aimait pour s’en servir en grand historien. 11 n’au -
rait guère été satisfait s’il lui eût fallu se maintenir, sans fin et sans cesse, dans
la description minutieuse des moindres fragments du grand ensemble; mais,
au contraire, ce qui le rendait heureux et fier, c’était de reconstruire ces formes
éparses, c’était de rendre la vie, le mouvement, la pensée et l'orgueil aux ani-
maux de la création divine; c’était de nous les montrer, non pas tels que la
dissection nous les avait faits, mais tels qu’ils étaient sortis du caprice ou de
la main de Dieu. Le lion rugissant, le tigre qui bondit, le cheval indocile au
srein, la génisse superbe, le taureau amoureux, le cers fuyant au son du cor, la
chèvre qui broute le cytise en fleurs ; le chien, ce compagnon de l’homme ; le
coq, roi de la basse-cour; il n’y a pas jusqu’à l’âne, l’assidu, l’entêté et l’in-
fatigable ami du laboureur, l’humble animal que M. Delille n’aurait jamais osé
nommer dans ses vers, à qui M. de Bufson n’ait accordé une grande place dans
son histoire; même il a écrit au sujet de ce pauvre âne, qui sut plus tard un
des héros de Sterne, les pages les plus touchantes de son histoire, pages hono-
rables pour tous deux, pour l’âne et pour M. de Busfon, car il a rendu justice
au plus patient et au plus sobre des travailleurs. En même temps ce beau cha-
pitre, si plein de raison, de justice et de bon sens, doit absoudre à tout jamais
M. de Busfon du niais reproche d’enflure et d’emphase avec lequel on l’attaque
depuis si longtemps. Mais, tenez, puisque nous en sommes arrivés à cet homme
célèbre, le véritable fondateur du Jardin du Roi, pourquoi ne pas vous ra-
conter sa vie? Ce sera là, sans contredit, la plus noble introduction qui se puisse
faire à ce livre du Jardin des Plantes, dont un plus savant que moi sera l’histo-
rien.
Georges-Louis Leclerc, comte de Busfon, était né à Montbart en Bourgogne,
le 7 septembre J 707. Son père était un homme riche et un savant magistrat,