ET DES ARTS Liv. V. 371
en Normandie ; mais qui apres avoir porté glorieusement les armes en
Angleterre , vint tellement à décheoir au lieu de Ton origine, que le Pe-
re de nostre Poète n’estoit qu’Assesieur en la ville de Caen lors que le
Ciel luy donna cét enfant. Malherbe voyant que l’Heresie de Cal-
vin commençoit à infeder sa Patrie , & mesme que Ton Pere s’y estoit
malheureusement engagé avant mourir , se retira de regret en Proven-
ce ; où âgé de dix-sept ans seulement il fut receu au service de Henry
Ducd’Angoulesme , grand Prieur &: Admirai de France; auprès duquel
ilpalsa une partie de sa jeunesse. Comme il avoit de l’estude, & une fa-
cilité merveilîeuse à rimer ; il composa des Vers avec une douceur qui
les rendit agréables à tout le Monde. LaMuse Françoise commença par
ion industrie à reformer ces mots anciens & mal-polis, que l’Academie
a depuis condamnez pour oster ces rides de sa beauté. Elle commença
de paroistre revêtue à la moderne, avec ce grand air, Sc ces ajustemens,
auxquels les esprits délicats , qui se picquent de polir la Langue , ont
donné laderniere perfection. Audi le son nouveau de sa Lyre ayant écla-
té à la Cour , il charma tous ceux qui entendirent le récit de ses Vers.
Le Cardinal du Perron parlant de luy à Henry IV. consesïa qu’il avoit re-
noncé à la rime , depuis que Malherbe avoit embraisé ce genre
d’eslude , pour ne luy pas disputer inutilement un prix duquel il le ju-
geoit seul digne en France. Après cette approbation glorieuse de l’hom-
me le plus judicieux du Royaume , ce sçavant Poete sut obligé à quit-
ter la Provence pour le rendre à la Cour par ordre du Roy ; qui dési-
roit de l’avoir auprès de sapersonne , &quil’honora d’une bienveillance
fort particulière. Malherbe excité par ses bien-faits redoubla ses
esforts pour satisfaire la curiosité de son illustre Bien-faiteur : dans le
dessein de luy plaire , &: de luy témoigner sa gratitude il écrivit des Poè-
mes dignes de l’admiration de toute la France , puis qu’ils l’ont esté de
l’attention de ce grand Monarque 5 qui apres ses travaux héroïques pre-
noit plaisîr à delasser son espritparune ieàure si delicie-usè.
Pendant que ce doéle Poète se rendoit asïidu auprès de son Prince, il
contrada une forte amitié avec un Page de la Chambre nommé Racan ,
auquel il communiqua ces beaux secrets de l’Art que l’on prise enco-
re dans leurs productions, & qui ont porté un Poète du temps, allez con-
nu par l’excellence de ses Vers, à rendre par les deux suivans ce té-
moignage de leur sufEsance.
Malherbe d’un Héros peut vanter les exploits ;
Racan chanter Tbilis} les bergers, &■ les Œ>oi-s.
L’union réciproque de ces deux rares esprits dura inviolablement jus-
qu’à la mort. Celle de Malherbe arriva l’an mille six cens vingt-
huit ; après qu’il eut receu le sensible déplaisir de voir mourir avant
luy les enfans qu’il avoit eus de son mariage avec la fille d’un President
au Parlement d’Aix ; particulièrement son fils aisné, qui fut tué en duel
par le Sieur de Piles : de sorte qu’il ne laisïa rien au Monde que les ou-
vrages pretieux de son bel esprit.
Je pourrois metendre plus avant , si je voulois joindre à ce fameux
Poète quelques-uns de ce Siecle, qui ne méritent pas moins nos louan-
ges : mais il faut une plume plus coulante , &: moins fatiguée que la
mienne pour celebrer les noms de Corneille, de Godeau ? de Brebeuf,
Bbb 2, ôc
en Normandie ; mais qui apres avoir porté glorieusement les armes en
Angleterre , vint tellement à décheoir au lieu de Ton origine, que le Pe-
re de nostre Poète n’estoit qu’Assesieur en la ville de Caen lors que le
Ciel luy donna cét enfant. Malherbe voyant que l’Heresie de Cal-
vin commençoit à infeder sa Patrie , & mesme que Ton Pere s’y estoit
malheureusement engagé avant mourir , se retira de regret en Proven-
ce ; où âgé de dix-sept ans seulement il fut receu au service de Henry
Ducd’Angoulesme , grand Prieur &: Admirai de France; auprès duquel
ilpalsa une partie de sa jeunesse. Comme il avoit de l’estude, & une fa-
cilité merveilîeuse à rimer ; il composa des Vers avec une douceur qui
les rendit agréables à tout le Monde. LaMuse Françoise commença par
ion industrie à reformer ces mots anciens & mal-polis, que l’Academie
a depuis condamnez pour oster ces rides de sa beauté. Elle commença
de paroistre revêtue à la moderne, avec ce grand air, Sc ces ajustemens,
auxquels les esprits délicats , qui se picquent de polir la Langue , ont
donné laderniere perfection. Audi le son nouveau de sa Lyre ayant écla-
té à la Cour , il charma tous ceux qui entendirent le récit de ses Vers.
Le Cardinal du Perron parlant de luy à Henry IV. consesïa qu’il avoit re-
noncé à la rime , depuis que Malherbe avoit embraisé ce genre
d’eslude , pour ne luy pas disputer inutilement un prix duquel il le ju-
geoit seul digne en France. Après cette approbation glorieuse de l’hom-
me le plus judicieux du Royaume , ce sçavant Poete sut obligé à quit-
ter la Provence pour le rendre à la Cour par ordre du Roy ; qui dési-
roit de l’avoir auprès de sapersonne , &quil’honora d’une bienveillance
fort particulière. Malherbe excité par ses bien-faits redoubla ses
esforts pour satisfaire la curiosité de son illustre Bien-faiteur : dans le
dessein de luy plaire , &: de luy témoigner sa gratitude il écrivit des Poè-
mes dignes de l’admiration de toute la France , puis qu’ils l’ont esté de
l’attention de ce grand Monarque 5 qui apres ses travaux héroïques pre-
noit plaisîr à delasser son espritparune ieàure si delicie-usè.
Pendant que ce doéle Poète se rendoit asïidu auprès de son Prince, il
contrada une forte amitié avec un Page de la Chambre nommé Racan ,
auquel il communiqua ces beaux secrets de l’Art que l’on prise enco-
re dans leurs productions, & qui ont porté un Poète du temps, allez con-
nu par l’excellence de ses Vers, à rendre par les deux suivans ce té-
moignage de leur sufEsance.
Malherbe d’un Héros peut vanter les exploits ;
Racan chanter Tbilis} les bergers, &■ les Œ>oi-s.
L’union réciproque de ces deux rares esprits dura inviolablement jus-
qu’à la mort. Celle de Malherbe arriva l’an mille six cens vingt-
huit ; après qu’il eut receu le sensible déplaisir de voir mourir avant
luy les enfans qu’il avoit eus de son mariage avec la fille d’un President
au Parlement d’Aix ; particulièrement son fils aisné, qui fut tué en duel
par le Sieur de Piles : de sorte qu’il ne laisïa rien au Monde que les ou-
vrages pretieux de son bel esprit.
Je pourrois metendre plus avant , si je voulois joindre à ce fameux
Poète quelques-uns de ce Siecle, qui ne méritent pas moins nos louan-
ges : mais il faut une plume plus coulante , &: moins fatiguée que la
mienne pour celebrer les noms de Corneille, de Godeau ? de Brebeuf,
Bbb 2, ôc