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752-753

L'ART-POUR-TOUS

Encyclopédie de z art industriel et décora tîf

«àra'issànt tous les rtioïs

Emile Reiber | C. Sauvageot [ P. Gi

Directeur - Fondateur j Directeur Direct

1861-64 0 1886-90I T865-85

Librairies-Imprimeries réunies

Arvcienne. .Maison J^Voral

>i.m-^r->m-JH _idt^.T^A^jlk'lUitw.ut^M\ PARIS

2, rue Mignon, 2

30e Année ^------------^ Octobre 1891

BULLETIN D'OCTOBRE 1891

L'Art Japonais

A. M. Gélis-Didot,
directeur de VArt pour Tous.

Oui, mon cher ami, j'aime Tari japonais. Je ne
crois point l'aimer par originalité, puisqu'il est
presque à la mode aujourd'hui. Je suis certain,
malgré cette mode, de ne le point aimer par spé-
culation. Je ne l'aime ni par caprice, ni par en-
gouemenl, ni par passion irraisonnée. Il m'ins-
pire, il est vrai, une passion ; mais celle-ci, après
avoir résisté à l'observation raisonnée, tend sans
cesse à s'accroître par elle. J'aime cet art, parce
qu'il est sincère et vrai; parce qu'il séduit, qu'il
charme, et qu'après s'être donné il retient en char-
mant toujours davantage.

C'est la femme aimée, et qui mérite de l'èlre.
Chacune des qualités que l'on découvre en elle
altache plus et mieux en faisant oublier ses dé-
fauts pour rappeler les qualités que l'on connais-
sait déjà. Chacune de ses poses gracieuses
semble plus charmante, soit qu'elle efface, soit
qu'elle ramène le souvenir de ses autres mouve-
ments gracieux.

Lorsqu'on étudie l'art japonais, on aime d'au-
tant mieux chaque manifestation nouvelle de cet
art que les autres manifestations ont plu davan-
tage. Il est vrai qu'elles portent toutes le cachet
de l'esprit et de l'élégance, et que le sentiment
qui les distingue est, en général, grand, noble et
profondément naturaliste dans le sens élevé du
terme. Souvent ce sentiment est simplifié dans
son expression ; mais il est juste toujours et
frappe notre esprit par le point indispensable
qui nous permet de retrouver et de reconstituer
les détails volontairement omis. 11 est parfois
caricatural, jamais vulgaire.

Dans ces derniers temps, l'agiotage s'est mêlé
de chanter ses louanges sur un ton qui n'était
point toujours juste. Il n'y a point là de quoi
s'étonner et nous ne saurions nous occuper de
ces dithyrambes intéressés. L'art a certes besoin
de l'argent pour se produire et se faire illustre,
niais son esthétique n'a rien de commun avec la
spéculation.

Chose plus grave, des artistes ou des ama-
teurs convaincus, sans doute, ont déclaré chefs-
d'œuvre impeccables toutes les productions ja-
ponaises. Il en est résulté une résistance excu-
sable de la part des éclectiques sincères et un
effarement parmi les timorés.

Assurément il y a eu au pays du Soleil levant,
Comme partout, des hommes qui furent des ar-
tistes et d'autres dont l'esprit était fermé aux
choses de l'art ; et, parmi les artistes, qui v
fui 'enl si nombreux, il y en a eu évidemment de
Srands et de moindres. Ceci est une lapaliçade,
^irez-vous : mais, mon ami, la chanson de La
a été composée pour tenter de rendre la
Vue à ceux que la fatigue ou la passion avaient
Privés de ce sens.

11 s'agit de savoir si nous pouvons avantageu- J
sèment profiter de l'art japonais, nous Euro-
péens, sans contracter la folie dont ils furènl un j
moment frappés.

Il nous serait certes aussi dangereux qu'il le j

1 fut pour eux (et peut-être plus dangereux, car
nous sommes une nation plus vieillie) de faire
table rase de notre esthétique, de tout répudier
de notre art passé, pour tout adopter d'un art
nouveau, dont nous n'avons point assez coutume
encore pour que nous puissions le faire nôtre
de tous points avec intelligence et bonheur, bien
que nous puissions à merveille jouir de toutes
ses manifestations

C'a été, à mon sens, une faute des Japonais
d'oublier dans un moment de trouble politique, j
que l'art d'une nation dépend d'éléments inhé-
rents à celle-ci et développés chez elle. L'ori-
gine d'une race, le climat sous lequel elle a vécu
et qui a influé sur sa religion et son histoire, ont I
toujours déterminé les progrès ou les fluctua- i

j tions de son art, Les Japonais ont certes fait

j comme tous les autres peuples ; ils ont, depuis j
des temps reculés, emprunté aux autres nations, j
Mais de ceci nous ne saurions les blâmer, car
ils se sont assimilé les éléments étrangers et,
après une digestion plus ou moins longue de ces
éléments, ils les ont fondus avec ceux qui leur
appartenaient en propre pour produire leur art
national. Ainsi ont toujours fait tous les peuples J
épris du beau. Cela n'a pas empêché le Japon,

J non plus que les autres pays, d'être lui-même.
On retrouve chez lui des souvenirs artistiques
et industriels longtemps conservés de son ori- j
gine malaise, que les enseignements étrangers
n'ont pu lui faire perdre. On reconnaît par
exemple dans les lames attribuées à A ma
Kuni le moiré des kriss de Java. Cela prou-
verait peut-être que l'industrie la plus impor-
tante du Japon.ce pays guerrier par excellence,
se rappelait encore au viue siècle les procédés
de forge apportés par Zin Mu, son conqué-
rant malais. Les plus anciennes représentations î
de villages au pays du Soleil levant nous mon-
trent des cabanes,dont laconstruction ressemble
à s'y méprendre à celle des habitations rurales
des îles de la Sonde. Les Japonais possédaient
certainement une civilisation très personnelle,
avant leurs premières relations avec la Chine.
Cette civilisation résultait, sans doute, du mé-

j lange des habitudes des conquérants avec celles
des autochtones, Aïnos ou autres.

Plus tard les Coréens et les Chinois, puis,
longtemps après, les Portugais, les Espagnols
et les Hollandais, servirent de modèles aux Japo-
j nais qui les copièrent sans servilité et en restant
j toujours eux-mêmes jusqu'à il y a vingt ans. Ils
fabriquaient pour les étrangers des oeuvres de
j mode et de style étrangers ; mais cependant ils
j produisaient pour eux des œuvres purement ;
japonaises.

Ce que ni les luttes sanglantes des Taira et j
des Minamoto, ni les guerres acharnées des
premiers Shoguns Ashikaga contre la cour de
I Kioto, ni celles de Nobu-Naga contre les Ashi- j

kaga, au xvie siècle, n'avaient pu faire, une
révolution, dont la période troublée dura quelques
années à peine, le produisit en 1868. Après
s'être héroïquement battus en haine des Euro-
péens, les Japonais oublièrent presque qu'ils
étaient Japonais, pour s'européaniser à l'excès.
Ils méprisèrent leurs coutumes, leurs lois, leurs
arts, jusqu'à leurs habillements, pour s'agenouil-
ler devant nos industries. Mais, doués d'une
souplesse merveilleuse, ils eurent bientôt com-
pris qu'ils faisaient fausse roule et travaillèrent
à tempérer les conséquences fâcheuses de leur
fol enthousiasme; maintenant, tout en compre-
nant leur passé, en l'admirant et en l'aimant sin-
cèrement, ils accueillent ce qu'ils trouvent bon
chez nous et s'en emparent en le modifiant à
leur usage. Ils voient clairement à l'heure pré-
sente ce qu'ils peuvent devenir, grâce à ce qu'ils
ont été par eux-mêmes et à ce qu'ils sont par
nous.

Ce peuple nous donne deux grands enseigne-
ments, mon ami; il nous montre l'écueil à
éviter et le progrès à accomplir. Agissons
comme eux, sans pousser jusqu'à leur erreur
et sans tomber davantage dans l'excès contraire.
Nous avons plus d'une ressemblance avec les
Japonais, notre caractère est proche parent du
leur; mais nous ne sommes point des Japonais.
Nous avons, ainsi qu'eux, le sens esthétique
essentiellement éclectique; nous devons en
jouir et l'utiliser. N'étant point de leur race,
nous n'avons point leur idéal. Chaque race porte
son idéal en elle-même; le leur est bon, le nôtre
l'est aussi. H y a des manifestations de l'art dans
lesquelles ils me paraissent nous être supérieurs,
d'autres dans lesquelles nous pourrions sans
doute être leurs maîtres. Ne les copions point
servilement pour tenter de les rendre indépen-
damment de notre génie propre. Etudions-les
sérieusement pour les comprendre bien et bien
profiter de leur acquis.

En les imitant nous leur serions toujours
inférieurs; mais en les négligeant nous ferions
preuve de sotte vanité, et la sottise vaine est une
infériorité plus grande que l'imitation qui a son
point de départ dans l'admiration. Quant aux
procédés industriels, nous leur en avons certes
appris plus d'un clans l'ordre des fabrications
utiles ou nuisibles. Grâce à nous, ils ont des
navires bien construits qui peuvent nous rappro-
cher et des canons des derniers modèles qui
peuvent nous éloigner. Prenons ceux de leurs
procédés qui nous doivent servir, en nous assi-
milant de leur art ce qui nous doit charmer.

Pour revenir aux questions d'art pur, nous
voyons que, dans la figure humaine peinte, ils
nous sont généralement inférieurs comme pré-
cision de lignes d'enveloppe et comme anatomie
de détail et qu'ils nous sont ordinairement
supérieurs comme justesse de mouvements. En
sculpture, ils marchent parfois de pair avec
nous comme style des figures, comme pureté
des têtes, comme élégance des draperies. Leurs
modeleurs de terre, leurs tailleurs de bois
rendent la vie d'une manière merveilleuse.

BULLETINS de L'art pour tous. — N° 70.
 
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