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La chronique des arts et de la curiosité — 1883

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Nr. 3 (20 Janvier)
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https://doi.org/10.11588/diglit.17399#0031
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ET DE LA CURIOSITE

INSTITUT DF FRANGE

(Suite)

Sur les origines de l'industrie des terres cuites, par
M. Léon Heazey, membre de l'Académie. — Lec-
ture faite dans la séance publique annuelle de
rAcadémie des inscriptions et belles-lettres,

Par nue série de méprises et de transpositions»
analogues à celles que nous venons d'étudier,
s'est constitué un autre ij-pe, reproduit aussi très
fréquemment par les terres cuites : celui de l'oi-
seau à tête de femme, que les Grecs, par un
curieux rapprochement avec leurs croyances po-
pulaires, appelèrent Harpie ou Sirène. Dans les
représentations du rituel égyptien, l'épervier à
tête humaine figure l'âme et plus exactement le
« souffle de la vie »; cet oiseau symbolique a des
mains, qu'il porte ordinairement à ses lèvres, pour
boire le filet d'eau céleste, versé par la déesse
Hathor : son sexe est celui même du défunt, et
son menton est souvent pourvu de la barbiche,
qui lui donne un caractère viril. Chez les Grecs,
on ne retrouve pas la Sirène mâle : ce type a été
féminisé, suivant le principe de transformation
que nous avons énoncé plus haut. Cependant une
curieuse figure cypriote de pierre calcaire, que
possède le Louvre, représente encore l'oiseau à
tête humaine avec une barbe carrée.

Dans la conception grecque des Harpies, l'idée
reste encore assez voisine de ce qu'elle était cbez
les Egyptiens. Les Harpies ne sont plus les âmes
mêmes; mais, par leurs noms et par le rôle qui
leur est assigné, elles représentent les souffles de
la tempête et les miasmes mortels qui emportent
les âmes dans l'autre monde : elles restent à ce
titre des déités funèbres, des génies de la mort,
naturellement représentés sur les tombeaux. Les
Sirènes sont une forme adoucie et plus gracieuse
du même type : chez elles, l'idée du souffle ne se
trahit plus que par. leur caractère musical et par
les légendes qui les associent à la vie de la mer et
des matelots; cependant, malgré cette transfor-
mation profonde, fidèles à leur première origine,
elles restent aussi des génies funèbres, associés à
Perséphone et chargés d'accompagner les morts
de leurs chants. C'est pourquoi, par exemple, le
catafalque d'Héphestion portait des figures creuses,
représentant des Sirènes, dans lesquelles furent
enfermés les chanteurs du thrène funéraire.

Ce type fabuleux avait si vivement frappé les
imaginations qu'il a survécu à l'antiquité qui
l'avait créé. En Occident, la Serena était restée
célèbre dans nos légendes du inoyeù-âge :

Serena en mer ante,
Cuntre tempeste cante,
E plure en bel tens,
Itels est sis talens :
E de femme ad faiture
Entresque la ceinture.
E les pez de falcun
E eue de peissun.

Les pieds de faucon sont ici une réminiscence
de la Sirène à corps d'oiseau. Un voyageur me
rapportait que les Orientaux appellent encore
Sirène le guêpier, cet oiseau chasseur, au vol
cadencé, aux couleurs chatoyantes, qui jette dans
l'air une notj musicale , en poursuivant les

abeilles, dont il fait sa proie. Ceci nous conduit à
la dernière transformation, assez inattendue, qu'a
subie parmi nous le souvenir de la Sirène : son
nom a fini par rester au petit oiseau chanteur des
îles Fortunées.

Pour bien expliquer la diffusion de la poétique
image de l'oiseau à tête de femme, il faut peut-
être tenir compte d'un aulre élément qui a dû s'y
introduire, surtout en Phénicie. On sait que les
Orientaux se représentaient volontiers l'esprit
divin sous la forme d'un cercle ailé, d'une sorte
d'oiseau qui devint la colombe sacrée. On connaît
particulièrement le mythe de Sémiramis, cette
reine légendaire, divinisée sous la figure d'une
colombe. Telles sont les hautes et multiples ori-
gines de cette représentation si fréquente dans les
nécropoles grecques, étrusques et italiennes. Cela
ne veut pas dire, toutefois, que l'ouvrier qui la
modelait, le parent ou l'esclave qui croyait faire
acte pieux en plaçant dans un tombeau quelque
petite fiole de terre cuite en forme de Sirène, se
rendissent compte de ces traditions et de ces
doctrines.

Je me contente de ces rapprochements, qu
n'ont pas tous assurément la valeur des faits dé-
montrés; mais l'archéologie n'est point une.
science qui s'établisse par des axiomes. La vérité
archéologique résulte d'une suite de comparaisons
et d'observations multipliées. Ainsi, l'antiquaire
qui étudie une figurine de terre vernissée devra
prendre garde tout d'abord si c'est un ouvrage
purement égyptien ou une imitation de la fabrique
égyptienne, distinction délicate et qui n'est pas
toujours facile à faire. Il ne doit pas oublier non
plus que la fabrication de ces petites images n'a
jamais été plus active et plus florissante que sous
la dynastie saïte, à une époque contemporaine du
développement de l'archaïsme grec et gréco-étrus-
que, et qu'elle s'est continuée certainement sous
la domination perse et jusque sous les Ptolémées,
au temps de la pleine expansion de l'art et de
l'industrie helléniques. Avec ces réserves, nous
croyons que l'influence des terres vernissées
égyptiennes sur l'histoire des terres cuites antiques
et particulièrement sur l'usage des figurines funé-
raires, est un fait général, que l'on ne saurait
mettre en doute.

II

Si l'on veut juger maintenant des transforma-
tions que les Grecs, dès le temps de leur archaïsme
national, avaient fait subir à l'usage funéraire des
terres cuites, c'est à Rhodes qu'il convient surtout
de se transporter, dans cette île qui marquait la
séparation des mers grecques et des mers phéni-
ciennes, et qui était comme le poste avancé du
monde hellénique du côté de l'Orient. Là, les
Grecs se mêlèrent et se frottèrent plus directe-
ment que dans aucune autre de leurs colonies aux
populations orientales, -et particulièrement aux
Phéniciens, qu'ils ne chassèrent du pays que par
une lente et pénible conquête; mais il ne faut pas
oublier qu'ils y apportaient aussi un génie très
personnel, un puissant esprit de direction, capable
de modifier très rapidement les éléments étrangers
qu'ils rencontraient autour d'eux. Un autre fait à
noter, dans l'étude qui nous occupe, c'est que,
dans le courant du vie siècle, Rhodes est un des
pays grecs d'Asie qui profitent le plus activeineq
 
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