La chronique des arts et de la curiosité (1894)

236

LA CHRONIQUE DES ARTS

Le Ministère de l’Instruction publique était
préoccupé de trouver un local pour exposer
toutes ces œuvres d’art, que le ministre,
M. Martini, aurait voulu placer dans une des
villas Boncompagni. Enfin, ces jours-ci, un
compromis a été signé entre M. Baccelli et la
municipalité de Rome. Celle-ci s’oblige à céder
au Gouvernement quelques salons du Palais
de l’Exposition des Beaux-Arts, pour y mettre
la galerie Torlonia et donner plus d’espace à
la galerie d’Art moderne dont les œuvres se
trouvent reléguées çà et là.

Le Gouvernement donnera à la municipalité
une compensation d’environ 22.000 francs par
an. L’inauguration de la nouvelle galerie aura
lieu, on l’espère, cette année.

*** Le statuaire italien Marassi vient de
recevoir de Léon XIII la commande de son
tombeau, qui sera en marbre blanc. Sur le
couvercle du tombeau sera un lion ayant une
griffe sur la tiare. A droite, la statue de la
Foi, un flambeau d’une main, les Saintes-
Ecritures de l’autre. A gauche, la statue de la
Vérité, portant les armoiries de Léon XIII.
Enfin, au-dessus du lion, sur le liane du sé-
pulcre, une inscription concise et taillée en
grandes lettres noires : « Hic Léo XIII p. m.
pulvis est ».

*** On écrit d’Athènes, le 31 août, que les
fouilles pratiquées à Delphes ont amené la
découverte d’une belle statue d’athlète, spé-
cimen de l’art romain.

*** On vient d’inaugurer à Athènes, dans le
Musée d’Olympia, le buste en marbre d’Er-
nest Curtius, offert au célèbre historien par
ses élèves et admirateurs à l’occasion du
quatre-vingtième anniversaire de sa naissance.

--oc-CXX^oo

Les Fouilles de Delphes

{Suite et fin) (1)

Trésor des Athéniens. — Le plan de cet
édifice était connu dès le mois de juin 1893;
aujourd’hui, le monument est complet et a
retrouvé toute sa décoration ; de nombreuses
et très importantes pièces ont été recueillies
en effet, dont voici la liste d’après le rapport
meme de M. Homolle :

1° Morceaux se rajustant à des métopes an-
ciennes ; tête de bœuf provenant d’un des groupes
d’animaux de la Géryonie; — pièce d’angle de la
métope du lion de Némée, où se voient suspen-
dus le manteau et le carquois d’Héraclès; —
jeune homme en court chiton plissé qui faisait
face à l’Athéna précédemment découverte;

2° Métopes ou fragments qui se rattachent à
des séries anciennes; Géryonie, une paire de
bœufs; — Amazon omcicliie, quatre scènes de
combats à pied ou à cheval; — Combats héroï-
ques, duels de guerriers armés de boucliers, cou-
verts de cuirasses et casqués;

3° Métopes formant une série nouvelle, Thé-
séide :

a) Thésée et le Minotaure. Un jeune homme,
en chiton court et plissé, d'une vigueur élégante,
a saisi par la tête un ennemi qu’il va frapper.
En rajustant sur les épaules du vaincu une tête
de taureau découverte en 1893, nous avons déter-
miné le sujet de celte métope et trouvé la clef de
l’interprétation des suivantes, où se rencontre le
même jeune homme;

b) Thésée et Athéna. Le héros, la main levée,
semble adresser la parole à la déesse et attendre
ses ordres ;

c) Thésée et Kerbyon ;

d) Thésée et Périphétès ;

e) Dans, une des métopes de l’année dernière,
nous avions signalé un personnage renversé qui
ressemblait aux brigands vaincus par Thésée, tels
qu’ils apparaissent dans les métopes du Thé-
seion ; je crois maintenant qu’il est permis d’y
reconnaître Skiron;

f) Sur un autre tout poetit fragment, on voit
un tronc d’arbre ; serait-ce le pin de Sinis ?

On aurait alors six sujets empruntés à la lé-
gende de Thésée, e’est-à-clire juste de quoi rem-
plir les six intervalles à décorer entre les trigly-
phes cl’une des principales façades.

Ces nouvelles découvertes établissent, con-
trairement à ce que M. Homolle avait sup-
posé tout d’abord, que les quatre côtés du mo-
nument étaient également décorés.

Une des faces latérales, dit le rapport, devait
être partagée entre la Géryonie et l’Amazonoma-
chie, compléments des exploits d’Hercule et de
Thésée, et qui étaient propres à se faire pendant,
en raison du mélange des figures humaines et des
animaux (bœufs, chevaux).

La quatrième face présentait une succession de
combats singuliers que jusqu’ici je n’ai pu en-
core interpréter ni isolément ni dans leur en-
semble. J’y verrais volontiers des scènes de Gi-
gantomachie, si les dieux qui ont eu la plus
grande part à la défaite des géants ne faisaient
pas défaut, si même il n’était pas douteux qu’au-
cun des combattants fût un dieu.

Ajoutons encore un cheval en ronde bosse, de
dimensions plus fortes que les métopes et tout à
fait semblable à celui qui avait été découvert l’an
passé, mais disposé inversement : l’un et l’autre-
devaient former ensemble les deux acrotères su-
périeurs du Trésor, au sommet des frontons-
Une amazone monte chacun d’eux, symbole des-
légendaires victoires et du récent triomphe des
Athéniens sur les Orientaux.

Entre le Trésor des Athéniens et celui des
Siphniens, à quelques pas du mur où avait été-
retrouvé, l’an passé, l’Apollon archaïque, œuvre
d’un maître argien, sont sortis de terre le corps-
et les cuisses d’une autre statue toute semblable
et de dimensions égales. Ce sont les mêmes pro-
portions un peu courtes, les mêmes formes rondes
et pleines ; c’est la même anatomie sommaire ; la
même manière d’indiquer la ligne des côtes et la
ligne médiane de l’estomac au moyen de simples
traits qui ont la forme d’une ancre renversée, les
poils du pubis par de petits triangles incisés ;
c’est la même disposition de la chevelure, qui,
serrée par un bandeau, s’échappe par-dessous en
boulïant, comme dans les statues archaïques de
Crète et d’Arcadie. Les deux œuvres se ressem-

(1) Voir La Chronique des Arts du 8 septembre 1894.