CINQ IVOIRES SCULPTÉS (PL IV-VIII). en
La miniature de Drogon (ci-dessus n° 9) place à droite le sépulcre qui rappelle ce prodige,
si ce n'est le r/LL&îm. Ce détail est si petit que je puis bien m'en référer pour l'ex-
plication à des considérations exposées ailleurs b
19. Ce n'est pas non plus comme un simple emprunt fait au récit évangélique que le
porte-éponge et le porte-lance paraissent ici ; d'autant que, si l'on se fût proposé surtout la
Mélité historique, on devait plutôt s'interdire la réunion de deux faits qui ne furent ni ne
purent être simultanés -. Mais ces deux circonstances de la Passion se sont rapprochées ici (et
dans bien d'autres monuments) par leur point de contact symbolique, qui a paru devoir l'em-
porter sur l'exactitude matérielle; si les artistes ne s'accordent jamais que des licences ainsi
motivées ou également conformes au langage des Pères, ils auront droit de laisser gronder
les critiques qui y trouveraient à redire. Quoi qu'il en soit des motifs historiques qui donnent
lieu de penser que c'était un Juif et non pas un soldat qui présenta le vinaigre aux lèvres de
Jésus-Christ s, il n'est nullement douteux que celui qui perça le côté de notre Seigneur après
sa mort était un soldat*, et partant Romain (ou du moins Gentil). Mais ce qui n'est pas moins
constant, c'est que les écrivains ecclésiastiques sont à peu près unanimes à considérer ce sol-
dat comme représentant les TMfa'oM.? qui professeront la divinité et accepteront les mérites de
ce supplicié méconnu jusqu'au bout et abreuvé
es détails, pas p!us que l'époque, ne me paraissent nullement
avoir été compris par Fauteur qui Fa fait connaître. Mais
pour nos ivoires, si ce rapprochement était dans l'intention
(ies sculpteurs ils ne l'auraient pas exprimé assez distincte-
ment. Or il s'agit de comprendre leurs visées, non pas de leur
en prêter aucune; quoique, dans le cas présent, ont pût ab-
solument fonder une conjecture assez solide sur la popularité
bien ancienne que le rapprochement du Calvaire et du juge-
ment dernier devait aux célèbres vers sybillins (vi, 26 ; ap.
Galland., /. etc p. 385) :
e O lignum felix in quo Deus ipse pependit!
Nec te terra capit, sed cœli tecta videbis
Quum renovata Dei faciès ignita micabit. *
Cf. Pseudo-Augustin. ( Chrysost. ), Opp. t. v, Appendtar,
p. 276.
* Vitraux de Bourges, n°* 64 et 117, sv. (p. 119, 206-210.)
2 Cf. t. ï, p. 234. Deux de nos artistes, esquivant toute docte
chicane (PI. V et VII), paraissent avoir indiqué par un artiiiee
bizarre de composition que la coïncidence de ces actions était
pour eux une espèce de posfMÏafttm doctrinal sans consé-
quence historique. Car de la façon dont le porte-lance et le
porte-éponge sont placés, il leur serait impossible de conduire
leur mouvement à son terme, soit avec la pique, soit avec le
roseau. Ainsi ces petits plans réservés où l'on a relégué la
scène qui nous occupe seraient moins une ressource pour tirer
parti de l'espace qu'une sorte de finesse pour arriver au com-
promis entre le réel et l'idéal sur un terrain neutre ou indécis.
Je ne sais s'il est besoin de faire remarquer que dans l'ivoire
de Bamberg l'éponge a presque disparu au bout du roseau
d'opprobres par les enfants d'Abraham b L'art
par suite des mêmes causes qui ont dépouillé l'Océan d'une
de ses cornes (si cela peut s'appeler cornes), et entamé la
main droite de Fange assis près du saint sépulcre.
On n'aura pas non plus attendu mon indication pour re-
connaître le vase au vinaigre dans l'espèce de cruche ornée
qui est déposée sur le sol à gauche de la croix.
s Cf. Vitraux de Bourges, n° 62 (p. 117, svv.). La plaisan-
terie cruelle que rapportent les évangélistes en racontant ce
trait de la Passion (Marc., xv, 34-36. —Matth., xxvn, 46-49),
et qui porte sur un jeu de mots entre Elï ou E4?/a et EfmA,
ne pouvait venir qu'en l'esprit d'un homme familiarisé avec
l'histoire sainte. Aussi l'Évangile semble-t-il attribuer posi-
tivement cette parole et Faction qui la suivit à un homme du
peuple (quidam sfanfes...; aaas ea? eis, etc.), car son
langage est bien plus bref et plus indéfini quand il est question
de faits évidemment appartenant aux bourreaux (c'est à dire
aux soldats). Je vois bien d'ici les difficultés que l'on peut faire
là-dessus, et elles ne sont pas malaisées à résoudre ; mais je
n'ai pas entrepris une discussion magistrale sur ce point.
4 Joann., xix, 32-34.
s On peut bien citer en tête Remi d'Auxerre ( HomïL ap.
Amaduzzi, Awecdofa, t. m, 116,147), qui ne marche qu'ap-
puyé sur les Pères de l'Église : « Vinea dicitur populus Israël,
ut in Psalmo (Lxxix, 9) : Vmeam ex Æpppfo fraHSfafâab
et (Jerem. H, 21) Epa ?e pfaMfauô vmea efeefa... Ef de-
deraa; ci vmam M&ere cmn /*ede mùctmn (Matth., xxvir,
34) ; amara vitis, id est populus Judæorum, amaruin poculum
infidelitatis propinat Domino Jesu, etc. H — Pseudo-Augustin.,
De Pavana, iv, 2 (Opp. t. v, appeud.; 269) : « ... Acetum
La miniature de Drogon (ci-dessus n° 9) place à droite le sépulcre qui rappelle ce prodige,
si ce n'est le r/LL&îm. Ce détail est si petit que je puis bien m'en référer pour l'ex-
plication à des considérations exposées ailleurs b
19. Ce n'est pas non plus comme un simple emprunt fait au récit évangélique que le
porte-éponge et le porte-lance paraissent ici ; d'autant que, si l'on se fût proposé surtout la
Mélité historique, on devait plutôt s'interdire la réunion de deux faits qui ne furent ni ne
purent être simultanés -. Mais ces deux circonstances de la Passion se sont rapprochées ici (et
dans bien d'autres monuments) par leur point de contact symbolique, qui a paru devoir l'em-
porter sur l'exactitude matérielle; si les artistes ne s'accordent jamais que des licences ainsi
motivées ou également conformes au langage des Pères, ils auront droit de laisser gronder
les critiques qui y trouveraient à redire. Quoi qu'il en soit des motifs historiques qui donnent
lieu de penser que c'était un Juif et non pas un soldat qui présenta le vinaigre aux lèvres de
Jésus-Christ s, il n'est nullement douteux que celui qui perça le côté de notre Seigneur après
sa mort était un soldat*, et partant Romain (ou du moins Gentil). Mais ce qui n'est pas moins
constant, c'est que les écrivains ecclésiastiques sont à peu près unanimes à considérer ce sol-
dat comme représentant les TMfa'oM.? qui professeront la divinité et accepteront les mérites de
ce supplicié méconnu jusqu'au bout et abreuvé
es détails, pas p!us que l'époque, ne me paraissent nullement
avoir été compris par Fauteur qui Fa fait connaître. Mais
pour nos ivoires, si ce rapprochement était dans l'intention
(ies sculpteurs ils ne l'auraient pas exprimé assez distincte-
ment. Or il s'agit de comprendre leurs visées, non pas de leur
en prêter aucune; quoique, dans le cas présent, ont pût ab-
solument fonder une conjecture assez solide sur la popularité
bien ancienne que le rapprochement du Calvaire et du juge-
ment dernier devait aux célèbres vers sybillins (vi, 26 ; ap.
Galland., /. etc p. 385) :
e O lignum felix in quo Deus ipse pependit!
Nec te terra capit, sed cœli tecta videbis
Quum renovata Dei faciès ignita micabit. *
Cf. Pseudo-Augustin. ( Chrysost. ), Opp. t. v, Appendtar,
p. 276.
* Vitraux de Bourges, n°* 64 et 117, sv. (p. 119, 206-210.)
2 Cf. t. ï, p. 234. Deux de nos artistes, esquivant toute docte
chicane (PI. V et VII), paraissent avoir indiqué par un artiiiee
bizarre de composition que la coïncidence de ces actions était
pour eux une espèce de posfMÏafttm doctrinal sans consé-
quence historique. Car de la façon dont le porte-lance et le
porte-éponge sont placés, il leur serait impossible de conduire
leur mouvement à son terme, soit avec la pique, soit avec le
roseau. Ainsi ces petits plans réservés où l'on a relégué la
scène qui nous occupe seraient moins une ressource pour tirer
parti de l'espace qu'une sorte de finesse pour arriver au com-
promis entre le réel et l'idéal sur un terrain neutre ou indécis.
Je ne sais s'il est besoin de faire remarquer que dans l'ivoire
de Bamberg l'éponge a presque disparu au bout du roseau
d'opprobres par les enfants d'Abraham b L'art
par suite des mêmes causes qui ont dépouillé l'Océan d'une
de ses cornes (si cela peut s'appeler cornes), et entamé la
main droite de Fange assis près du saint sépulcre.
On n'aura pas non plus attendu mon indication pour re-
connaître le vase au vinaigre dans l'espèce de cruche ornée
qui est déposée sur le sol à gauche de la croix.
s Cf. Vitraux de Bourges, n° 62 (p. 117, svv.). La plaisan-
terie cruelle que rapportent les évangélistes en racontant ce
trait de la Passion (Marc., xv, 34-36. —Matth., xxvn, 46-49),
et qui porte sur un jeu de mots entre Elï ou E4?/a et EfmA,
ne pouvait venir qu'en l'esprit d'un homme familiarisé avec
l'histoire sainte. Aussi l'Évangile semble-t-il attribuer posi-
tivement cette parole et Faction qui la suivit à un homme du
peuple (quidam sfanfes...; aaas ea? eis, etc.), car son
langage est bien plus bref et plus indéfini quand il est question
de faits évidemment appartenant aux bourreaux (c'est à dire
aux soldats). Je vois bien d'ici les difficultés que l'on peut faire
là-dessus, et elles ne sont pas malaisées à résoudre ; mais je
n'ai pas entrepris une discussion magistrale sur ce point.
4 Joann., xix, 32-34.
s On peut bien citer en tête Remi d'Auxerre ( HomïL ap.
Amaduzzi, Awecdofa, t. m, 116,147), qui ne marche qu'ap-
puyé sur les Pères de l'Église : « Vinea dicitur populus Israël,
ut in Psalmo (Lxxix, 9) : Vmeam ex Æpppfo fraHSfafâab
et (Jerem. H, 21) Epa ?e pfaMfauô vmea efeefa... Ef de-
deraa; ci vmam M&ere cmn /*ede mùctmn (Matth., xxvir,
34) ; amara vitis, id est populus Judæorum, amaruin poculum
infidelitatis propinat Domino Jesu, etc. H — Pseudo-Augustin.,
De Pavana, iv, 2 (Opp. t. v, appeud.; 269) : « ... Acetum