IVOIRES SCULPTES. VIII, PLAQUES A SUJETS CHRETIENS.
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Ici (p. 60)*paraît d'abord, au sommet de l'ivoire, la Droite divine qui remet en pensée le Père
Éternel dont la voix se lit entendre (Matth. XVII, 5. — Marc. IX, 6. — II Petr. I, 16-18), et
cette parole d'en haut est précisément l'une des significations que remplit la main céleste
dans beaucoup de cas '. Notre-Seigneur, dont la stature est un peu courte et engoncée,
occupe dans le tableau la place d'honneur, comme c'était trop juste. Ses pieds nus, ainsi que
ceux de tous les personnages représentés ici, reposent sur un arc orné qui se divise en
plusieurs zones. C'est ce qui se voit fréquemment dans les peintures et sculptures du moyen
âge où le Fils de Dieu nous est représenté glorifié ; il s'assoit ou pose ses pieds sur
quelque chose comme un arc-en-ciel.
De ses flancs et de dessous cet arc, trois amples rayons se dirigent vers les Apôtres ;
rappelant sans doute ce que disent les évangélistes : « Son visage resplendit comme le
soleil et ses vêtements prirent la blancheur de la neige ; H ou bien : « Un nuage lumineux
environna l'apparition et les disciples furent renversés par la frayeur. » Ce dernier moment
semble être en effet ce que l'artiste a voulu montrer par un disciple (saint Jean?) qui se
prosterne la face contre terre, et un autre qui voile son visage avec ses deux mains. Mais
le moyen âge ne tient pas à représenter absolument une seule circonstance du fait proposé
à l'artiste. Il se donne du large, plus que la sévérité esthétique ne l'approuve en théorie.
Ici, le geste de saint Pierre qui se redresse seul en couvrant un peu son regard de la
main gauche et en tenant de la droite un cartouche vide, doit faire comprendre qu'il s'agit
à la fois du premier instant de la Transfiguration. Le prince des Apôtres est censé dire:
« Seigneur, nous sommes bien ici. Voulez-vous que nous fassions trois tentes ; une pour
vous, une pour Moïse et une pour Élie ? H Nous avons donc deux des principaux moments :
celui où le Fils de l'Homme quitte sa condition accoutumée sur la terre, pour prendre
un instant l'état de corps glorieux, et celui où tout se termine par la nuée lumineuse qui
dérobe la vision aux spectateurs terrestres.
C'est aussi le programme général adopté dans le manuscrit d'Othon, où deux disciples
sont entièrement prosternés, tandis que saint Pierre se tient à peu près debout, adressant
la parole à Jésus-Christ.
Sur notre ivoire, Notre-Seigneur tient (assez maladroitement) un rouleau qui semble
entouré de deux cordons, comme pour rappeler le livre de l'Apocalypse (V, 1-10) scellé de
plusieurs sceaux et que l'Agaieau divin pouvait seul ouvrir. Moïse n'est distingué ni par les
tables de la loi, ni par rayons ou cornes à son front ; mais il se reconnaît facilement par
opposition au prophète Ëlie dont les grands cheveux et le manteau en peau de bête annon-
cent un homme adonné à la vie solitaire Le manuscrit d'Othon 11 n'a pas même cette
distinction entre les personnages de l'Ancien Testament, ni ne donne à Moïse le nimbe
simple qui entoure sa tête sur notre ivoire h Le sculpteur aurait voulu indiquer par là
1. Cf. Caractéristiques des SS., p. 334, sv. J'ai dit à cet
endroit que trois étoiles y indiquaient parfois ia Trinité.
Dans la miniature d'un manuscrit d'Aix-la-Chapelle, prove-
nant do l'empereur Othon H, et qui appartenait àM. de
Horsbach lorsque le P. Martin en dessina plusieurs minia-
tures, la main céleste est remplacée à la Transfiguration par
trois rais de lumière qui descendent sur la tête de Notre-
Seigneur.
2. Sous les pieds de Moïse et d'Élie deux nuages recour-
bés vers la terre semblent faire nimbe à saint Pierre et à
saint Jacques-le-Majeur.
3. Je ne suis pas fâche de faire remarquer ce qu'il y a de
différences entre les compositions du moyen âge sur un
même mystère. Ceux qui n'ont pas regardé de près à ses
diverses œuvres, s'imaginent trop souvent que les artistes
suivaient un patron commun; et le de fet peinture, pu-
blié par M. Didron, porterait à le croire. Ce serait pour-
tant une idée fausse, même pour la Grèce. Sans doute
un fond commun devait subsister, soit par tradition, soit
parce que le sujet était le même; mais bien des fois l'ar-
tiste se permet une certaine liberté dans les détails, tout
en suivant un programme historique traité par d'autres
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Ici (p. 60)*paraît d'abord, au sommet de l'ivoire, la Droite divine qui remet en pensée le Père
Éternel dont la voix se lit entendre (Matth. XVII, 5. — Marc. IX, 6. — II Petr. I, 16-18), et
cette parole d'en haut est précisément l'une des significations que remplit la main céleste
dans beaucoup de cas '. Notre-Seigneur, dont la stature est un peu courte et engoncée,
occupe dans le tableau la place d'honneur, comme c'était trop juste. Ses pieds nus, ainsi que
ceux de tous les personnages représentés ici, reposent sur un arc orné qui se divise en
plusieurs zones. C'est ce qui se voit fréquemment dans les peintures et sculptures du moyen
âge où le Fils de Dieu nous est représenté glorifié ; il s'assoit ou pose ses pieds sur
quelque chose comme un arc-en-ciel.
De ses flancs et de dessous cet arc, trois amples rayons se dirigent vers les Apôtres ;
rappelant sans doute ce que disent les évangélistes : « Son visage resplendit comme le
soleil et ses vêtements prirent la blancheur de la neige ; H ou bien : « Un nuage lumineux
environna l'apparition et les disciples furent renversés par la frayeur. » Ce dernier moment
semble être en effet ce que l'artiste a voulu montrer par un disciple (saint Jean?) qui se
prosterne la face contre terre, et un autre qui voile son visage avec ses deux mains. Mais
le moyen âge ne tient pas à représenter absolument une seule circonstance du fait proposé
à l'artiste. Il se donne du large, plus que la sévérité esthétique ne l'approuve en théorie.
Ici, le geste de saint Pierre qui se redresse seul en couvrant un peu son regard de la
main gauche et en tenant de la droite un cartouche vide, doit faire comprendre qu'il s'agit
à la fois du premier instant de la Transfiguration. Le prince des Apôtres est censé dire:
« Seigneur, nous sommes bien ici. Voulez-vous que nous fassions trois tentes ; une pour
vous, une pour Moïse et une pour Élie ? H Nous avons donc deux des principaux moments :
celui où le Fils de l'Homme quitte sa condition accoutumée sur la terre, pour prendre
un instant l'état de corps glorieux, et celui où tout se termine par la nuée lumineuse qui
dérobe la vision aux spectateurs terrestres.
C'est aussi le programme général adopté dans le manuscrit d'Othon, où deux disciples
sont entièrement prosternés, tandis que saint Pierre se tient à peu près debout, adressant
la parole à Jésus-Christ.
Sur notre ivoire, Notre-Seigneur tient (assez maladroitement) un rouleau qui semble
entouré de deux cordons, comme pour rappeler le livre de l'Apocalypse (V, 1-10) scellé de
plusieurs sceaux et que l'Agaieau divin pouvait seul ouvrir. Moïse n'est distingué ni par les
tables de la loi, ni par rayons ou cornes à son front ; mais il se reconnaît facilement par
opposition au prophète Ëlie dont les grands cheveux et le manteau en peau de bête annon-
cent un homme adonné à la vie solitaire Le manuscrit d'Othon 11 n'a pas même cette
distinction entre les personnages de l'Ancien Testament, ni ne donne à Moïse le nimbe
simple qui entoure sa tête sur notre ivoire h Le sculpteur aurait voulu indiquer par là
1. Cf. Caractéristiques des SS., p. 334, sv. J'ai dit à cet
endroit que trois étoiles y indiquaient parfois ia Trinité.
Dans la miniature d'un manuscrit d'Aix-la-Chapelle, prove-
nant do l'empereur Othon H, et qui appartenait àM. de
Horsbach lorsque le P. Martin en dessina plusieurs minia-
tures, la main céleste est remplacée à la Transfiguration par
trois rais de lumière qui descendent sur la tête de Notre-
Seigneur.
2. Sous les pieds de Moïse et d'Élie deux nuages recour-
bés vers la terre semblent faire nimbe à saint Pierre et à
saint Jacques-le-Majeur.
3. Je ne suis pas fâche de faire remarquer ce qu'il y a de
différences entre les compositions du moyen âge sur un
même mystère. Ceux qui n'ont pas regardé de près à ses
diverses œuvres, s'imaginent trop souvent que les artistes
suivaient un patron commun; et le de fet peinture, pu-
blié par M. Didron, porterait à le croire. Ce serait pour-
tant une idée fausse, même pour la Grèce. Sans doute
un fond commun devait subsister, soit par tradition, soit
parce que le sujet était le même; mais bien des fois l'ar-
tiste se permet une certaine liberté dans les détails, tout
en suivant un programme historique traité par d'autres