IVOIRES SCULPTÉS. X, PEIGNES ORNEMENTÉS.
69
Le style du sculpteur accuse son xif siècle par toute sorte d'habiletés et de maladresses :
habileté, en fait d'ornement, qui était le fort de cette époque ; et maladresse, en fait de
figures, qui était son faible. Aussi les personnages sont-ils relégués dans un espace étroit
qui raccourcit leur stature, ou gène singulièrement l'attitude et les gestes. Mais le respect
des vieilles traditions s'y maintient comme il arrive toujours à cette époque. Ainsi Notre-
Seigneur crucifié étend ses bras presque horizontalement et pose ses deux pieds séparés sur
une petite pièce de bois rapportée à la croix. Il est percé vers le sein droit,
sous l'épaule. Malheureusement la situation donnée au soldat romain ferait croire que la
pique va ressortir au-dessus de l'épaule gauche ; tandis que les vieux écrivains font ordi-
nairement pénétrer le fer jusqu'au cœur '. Voulant éparg-ner sa matière et ne point perdre
de place, le sculpteur a imag'iné de faire fléchir les g-enoux aux deux hommes les plus
voisins du divin crucifié. Cela peut être pris pour une moquerie insultante si l'on veut, car
on prête bien au centurion un témoignage de foi pour le supplicié dont il avait vu la mort
merveilleuse (Luc. XIII, 44-48) ; mais il reste lieu à doute.
Quant à celui qui présente l'éponge, les Pères de l'Ëg-lise en font presque toujours l'em-
blème des Juifs "et ne manquent guère à cette occasion de rappeler les prophéties ^ qui
montraient d'avance l'inEdélité de la nation juive à la prédication du Messie.
La sainte Vierge et saint Jean sont à droite et à gauche, mais sans nimbe, se courbant
sous les deux rosettes à jour qui leur laissent peu de place; et les deux anges qui semblent
vouloir accourir du ciel, sont encore moins à l'aise entre les ornements qui les resserrent
de toute part. Notre-Seigneur étant le seul personnage nimbé, on n'a pas pris la peine de
lui donner un nimbe divin. C'était, du reste, un soin que s'évitent souvent les bas-reliefs de
hautes époques.
Quant au soleil et à la lune, il ne peut y avoir d'embarras sur les médaillons qui leur
sont attribués; tandis qu'ailleurs leur représentation laisse parfois lieu à quelque doute.
On voit du premier coup d'œil que notre peigne de Cologne a subi quelques accidents à
travers les siècles qu'il lui a fallu parcourir pour arriver jusqu'à nous. Le pointillé marque
les parties brisées maintenant, et qui existaient sans doute à l'origine en complétant une
ornementation semblable à ce que fait deviner le reste.
La face B (p. 68) ne contient que de l'ornementation, et il n'est pas besoin de faire remar-
quer avec quel talent l'artiste a su remplir tout le champ qui lui était livré; sans que jamais
ses courbes et fleurons paraissent étriqués le moins du monde, tout en se prêtant aux con-
tours obligatoires. Ensemble et détails répondent fort bien à ce que l'Italie appelle un ou-
vrage de premier jet (df 2?:fr?%2o?i6) ; c'est, du reste, le caractère général de l'ornemente-
tion au moyen âge, mais tout particulièrement auxid siècle et au commencement du xnf.
C'est encore au musée de Cologne qu'appartient l'original du peigne que voici(p. 70), mais
dont l'art a toute la mine d'être asiatique. Ces deux bustes de chevaux adossés s'idéalisent
1. Le P. de Galifet insista sur cette tradition, iorsque le
projet d'une fête du Sacré-Cœur était encore débattu, et n'a
pourtant pas épuisé tous ies textes dont il aurait pu se pré-
valoir en faveur de la cause.
2. Cf. Mélanges d'archéologie, d'histoire, etc. (U' série),
t. H, p. 69, sv.; etc.
3. Ps. Lxxix, 9; etc. — !sai-, V, 1-7. — Jerem. 11, 21. —
Matth. xxi, 33-41; etc. J'en ai parlé aussi en expliquant les
vitraux de Bourges.
L'Église y fait une allusion presque évidente dans la partie
de l'office qui remplace la messe au jour du Vendredi saint,
et qu'on appelle fmpropei'M.
69
Le style du sculpteur accuse son xif siècle par toute sorte d'habiletés et de maladresses :
habileté, en fait d'ornement, qui était le fort de cette époque ; et maladresse, en fait de
figures, qui était son faible. Aussi les personnages sont-ils relégués dans un espace étroit
qui raccourcit leur stature, ou gène singulièrement l'attitude et les gestes. Mais le respect
des vieilles traditions s'y maintient comme il arrive toujours à cette époque. Ainsi Notre-
Seigneur crucifié étend ses bras presque horizontalement et pose ses deux pieds séparés sur
une petite pièce de bois rapportée à la croix. Il est percé vers le sein droit,
sous l'épaule. Malheureusement la situation donnée au soldat romain ferait croire que la
pique va ressortir au-dessus de l'épaule gauche ; tandis que les vieux écrivains font ordi-
nairement pénétrer le fer jusqu'au cœur '. Voulant éparg-ner sa matière et ne point perdre
de place, le sculpteur a imag'iné de faire fléchir les g-enoux aux deux hommes les plus
voisins du divin crucifié. Cela peut être pris pour une moquerie insultante si l'on veut, car
on prête bien au centurion un témoignage de foi pour le supplicié dont il avait vu la mort
merveilleuse (Luc. XIII, 44-48) ; mais il reste lieu à doute.
Quant à celui qui présente l'éponge, les Pères de l'Ëg-lise en font presque toujours l'em-
blème des Juifs "et ne manquent guère à cette occasion de rappeler les prophéties ^ qui
montraient d'avance l'inEdélité de la nation juive à la prédication du Messie.
La sainte Vierge et saint Jean sont à droite et à gauche, mais sans nimbe, se courbant
sous les deux rosettes à jour qui leur laissent peu de place; et les deux anges qui semblent
vouloir accourir du ciel, sont encore moins à l'aise entre les ornements qui les resserrent
de toute part. Notre-Seigneur étant le seul personnage nimbé, on n'a pas pris la peine de
lui donner un nimbe divin. C'était, du reste, un soin que s'évitent souvent les bas-reliefs de
hautes époques.
Quant au soleil et à la lune, il ne peut y avoir d'embarras sur les médaillons qui leur
sont attribués; tandis qu'ailleurs leur représentation laisse parfois lieu à quelque doute.
On voit du premier coup d'œil que notre peigne de Cologne a subi quelques accidents à
travers les siècles qu'il lui a fallu parcourir pour arriver jusqu'à nous. Le pointillé marque
les parties brisées maintenant, et qui existaient sans doute à l'origine en complétant une
ornementation semblable à ce que fait deviner le reste.
La face B (p. 68) ne contient que de l'ornementation, et il n'est pas besoin de faire remar-
quer avec quel talent l'artiste a su remplir tout le champ qui lui était livré; sans que jamais
ses courbes et fleurons paraissent étriqués le moins du monde, tout en se prêtant aux con-
tours obligatoires. Ensemble et détails répondent fort bien à ce que l'Italie appelle un ou-
vrage de premier jet (df 2?:fr?%2o?i6) ; c'est, du reste, le caractère général de l'ornemente-
tion au moyen âge, mais tout particulièrement auxid siècle et au commencement du xnf.
C'est encore au musée de Cologne qu'appartient l'original du peigne que voici(p. 70), mais
dont l'art a toute la mine d'être asiatique. Ces deux bustes de chevaux adossés s'idéalisent
1. Le P. de Galifet insista sur cette tradition, iorsque le
projet d'une fête du Sacré-Cœur était encore débattu, et n'a
pourtant pas épuisé tous ies textes dont il aurait pu se pré-
valoir en faveur de la cause.
2. Cf. Mélanges d'archéologie, d'histoire, etc. (U' série),
t. H, p. 69, sv.; etc.
3. Ps. Lxxix, 9; etc. — !sai-, V, 1-7. — Jerem. 11, 21. —
Matth. xxi, 33-41; etc. J'en ai parlé aussi en expliquant les
vitraux de Bourges.
L'Église y fait une allusion presque évidente dans la partie
de l'office qui remplace la messe au jour du Vendredi saint,
et qu'on appelle fmpropei'M.