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MÉLANGES D'ARCHÉOLOGIE.
nos jours? C'est affaire à débattre en Picardie par ceux qui pourront dépouilier les vieux
documents avec quelque foisir. Quant à l'exécution de l'original, elle est digne d'un orfèvre;
avec cette différence seulement, toute à l'avantag-e de l'artiste, que le fer ne se prête pas
aux délicatesses de travail qui sont faciles avec l'arg-ent et l'or.
Leforg-eron capable d'inventer ou même d'exécuter pareil ouvrag-e au marteau, mériterait
bien que son nom fût arrivé jusqu'à nous. Il nous montre d'ailleurs que la province savait
se tirer d'affaire, g-râce aux centres de production qui se groupaient partout autour d'une
cathédrale. Evêque, chapitre etégiises nombreuses, paroissiales ou conventuelles, assuraient
l'existence d'une foule d'hommes capables qui trouvaient emploi à leurs aptitudes. Les
apprentis, après s'y être formés, pouvaient aller faire leur tour de France pour compléter
Féducation d'un mais ils n'avaient pas manqué de modèles dans leur jeunesse, et re-
trouvaient de quoi s'entretenir la main autant que le g^oùt quand ils revenaient pour rem-
placer leur père.
Cela était vrai sous beaucoup de rapports. Que l'on voie ce que sont devenues aujourd'hui
des villes privées de leur ancienne chaire épiscopale, comme Noyon, Lisieux, Avranches,
Aleth, Orang-e, Apt, Die, Sarlat, Rieux, etc.; ou même celles qui ont encore un évêché avec
les réductions de la mense épiscopale et des bénéfices capifulaires, comme Mende, Autun,
Digne, Luçon, Montauban, Rhodez, etc.; etc. Jadis théologâe et connaissances littéraires ou
historiques, musique et art du dessin se développaient comme nécessairement sous une in-
fluence constante à l'ombre des cathédrales et des abbayes. L'homme d'étude y rencontrait
non-seulement des bibliothèques, mais encore à qui parler pour prendre conseil et diriger ses
recherches. Au lieu d'un grand Conservatoire central pour la musique des théâtres parisiens,
chaque diocèse avait sa maîtrise qui formait sans cesse des contrepointistes souvent fort
passables ; si bien que plusieurs de nos grands compositeurs modernes y sont éclos. Le
bourg- d'Einsiedeln (Notre-Dame-des-Ermites) par exemple, dans le canton de Schwytz, nous
a donné, sous le premier Empire et la Restauration, le plus habile modeleur en cire que pos-
sédât Paris alors ; et plusieurs de ses petits bas-reliefs feraient fort bonne figure dans nos
musées. Il ne s'exécuta g-uère, durant tout ce temps-là, une pièce remarquable d'orfèvrerie
française où les plus riches morceaux de ciselure fussent autre chose que des calques de
ses œuvres. Sa famille (les Curig-er) a fourni plusieurs noms au de Füssli, et
peut-être celui dont je parle est-il Joseph-Antoine (nommé Courig-uer ou Courig-uier, je
crois, par les Parisiens) qu'on y cite comme ayant travaillé dès 1784 pour le duc d'Orléans'.
Cependant je l'ai vu encore en 1820 avec une chevelure toute blanche, mais continuant à
manier ses fins ébauchoirs qui savaient exécuter de charmants portraits moins grands qu'un
ong-le parfois. Lui et ses frères ou neveux s'étaient formés autour de l'abbaye suisse actuel-
lement bien dépossédée, quoique des milliers de pèlerins continuent à s'y rendre. Autre
foyer à demi éteint par les révolutions, qui parlent tant de progrès !
I. En ce cas, il aura sans doute composé dès lors et mo-
delé ces beaux groupes de chasses qui servaient comme de
boutons aux ciocAes d'un grand service de table, et qui in-
diquaient tout d'abord ia nature des mets avant qu'on les
eût découverts. Cela reparut en ciselures à une exposition de
1819, je crois, et tout simplement remis à neuf; mais pré-
senté à peu près comme si c'eût été t'ouvrage d'un orfèvre
contemporain (M. Odiot). Le public put mordre à cet appât,
qui aura recommandé l'of&cine; mais les juges du concours
n'eurent point la bonhomie de s'y laisser prendre : sachant
bien que la France ne possédait plus alors un seul ciseleur
capable d'éxécuter pareils travaux. Au fond, ce n'étaient
que des chefs-d'œuvres sauvés à la révolution, lorsque Phi-
lippe-Joseph Égalité fit remettre publiquement à la Monnaie
son argenterie, comme don patriotique (en réservant pour
l'avenir ce qui valait cent fois mieux par la main-d œuvrejquc
par la matière); et je ne dis pas que ce ne fût une assez
bonne idée. On les exhuma, d'Angleterre probablement,
après la Restauration; sans qu'ils eussent guère besoin
d'autre atelier que celui des brunisseuses.
MÉLANGES D'ARCHÉOLOGIE.
nos jours? C'est affaire à débattre en Picardie par ceux qui pourront dépouilier les vieux
documents avec quelque foisir. Quant à l'exécution de l'original, elle est digne d'un orfèvre;
avec cette différence seulement, toute à l'avantag-e de l'artiste, que le fer ne se prête pas
aux délicatesses de travail qui sont faciles avec l'arg-ent et l'or.
Leforg-eron capable d'inventer ou même d'exécuter pareil ouvrag-e au marteau, mériterait
bien que son nom fût arrivé jusqu'à nous. Il nous montre d'ailleurs que la province savait
se tirer d'affaire, g-râce aux centres de production qui se groupaient partout autour d'une
cathédrale. Evêque, chapitre etégiises nombreuses, paroissiales ou conventuelles, assuraient
l'existence d'une foule d'hommes capables qui trouvaient emploi à leurs aptitudes. Les
apprentis, après s'y être formés, pouvaient aller faire leur tour de France pour compléter
Féducation d'un mais ils n'avaient pas manqué de modèles dans leur jeunesse, et re-
trouvaient de quoi s'entretenir la main autant que le g^oùt quand ils revenaient pour rem-
placer leur père.
Cela était vrai sous beaucoup de rapports. Que l'on voie ce que sont devenues aujourd'hui
des villes privées de leur ancienne chaire épiscopale, comme Noyon, Lisieux, Avranches,
Aleth, Orang-e, Apt, Die, Sarlat, Rieux, etc.; ou même celles qui ont encore un évêché avec
les réductions de la mense épiscopale et des bénéfices capifulaires, comme Mende, Autun,
Digne, Luçon, Montauban, Rhodez, etc.; etc. Jadis théologâe et connaissances littéraires ou
historiques, musique et art du dessin se développaient comme nécessairement sous une in-
fluence constante à l'ombre des cathédrales et des abbayes. L'homme d'étude y rencontrait
non-seulement des bibliothèques, mais encore à qui parler pour prendre conseil et diriger ses
recherches. Au lieu d'un grand Conservatoire central pour la musique des théâtres parisiens,
chaque diocèse avait sa maîtrise qui formait sans cesse des contrepointistes souvent fort
passables ; si bien que plusieurs de nos grands compositeurs modernes y sont éclos. Le
bourg- d'Einsiedeln (Notre-Dame-des-Ermites) par exemple, dans le canton de Schwytz, nous
a donné, sous le premier Empire et la Restauration, le plus habile modeleur en cire que pos-
sédât Paris alors ; et plusieurs de ses petits bas-reliefs feraient fort bonne figure dans nos
musées. Il ne s'exécuta g-uère, durant tout ce temps-là, une pièce remarquable d'orfèvrerie
française où les plus riches morceaux de ciselure fussent autre chose que des calques de
ses œuvres. Sa famille (les Curig-er) a fourni plusieurs noms au de Füssli, et
peut-être celui dont je parle est-il Joseph-Antoine (nommé Courig-uer ou Courig-uier, je
crois, par les Parisiens) qu'on y cite comme ayant travaillé dès 1784 pour le duc d'Orléans'.
Cependant je l'ai vu encore en 1820 avec une chevelure toute blanche, mais continuant à
manier ses fins ébauchoirs qui savaient exécuter de charmants portraits moins grands qu'un
ong-le parfois. Lui et ses frères ou neveux s'étaient formés autour de l'abbaye suisse actuel-
lement bien dépossédée, quoique des milliers de pèlerins continuent à s'y rendre. Autre
foyer à demi éteint par les révolutions, qui parlent tant de progrès !
I. En ce cas, il aura sans doute composé dès lors et mo-
delé ces beaux groupes de chasses qui servaient comme de
boutons aux ciocAes d'un grand service de table, et qui in-
diquaient tout d'abord ia nature des mets avant qu'on les
eût découverts. Cela reparut en ciselures à une exposition de
1819, je crois, et tout simplement remis à neuf; mais pré-
senté à peu près comme si c'eût été t'ouvrage d'un orfèvre
contemporain (M. Odiot). Le public put mordre à cet appât,
qui aura recommandé l'of&cine; mais les juges du concours
n'eurent point la bonhomie de s'y laisser prendre : sachant
bien que la France ne possédait plus alors un seul ciseleur
capable d'éxécuter pareils travaux. Au fond, ce n'étaient
que des chefs-d'œuvres sauvés à la révolution, lorsque Phi-
lippe-Joseph Égalité fit remettre publiquement à la Monnaie
son argenterie, comme don patriotique (en réservant pour
l'avenir ce qui valait cent fois mieux par la main-d œuvrejquc
par la matière); et je ne dis pas que ce ne fût une assez
bonne idée. On les exhuma, d'Angleterre probablement,
après la Restauration; sans qu'ils eussent guère besoin
d'autre atelier que celui des brunisseuses.