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Camera Work: A Photographic Quarterly — 1913 (Special number)

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[Gabriel Reuillard] Vers L’Amorphisme [reprint from “Les Hommes du Jour,” May 3, 1913]
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https://doi.org/10.11588/diglit.31330#0077
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VERS L’AMORPHISME

L’HEURE est grave, tres grave. Nous sommes k
un toumant de l’histoire de l’Art. Les recher-
J ches patientes, les tentatives passionnees, les
essais audacieux de novateurs hardis sur lesquels
une verve aussi feroce que stupidement facile s’est
trop longtemps excercee, vont enfin aboutir k la formule
tant convoitee; la formule une et multiple qui renferm-
era en elle tout l’univers visible et sentimental; la
formule lib re et tyrannique qui s’imposera aux esprits,
dirigera les mains, inspirera les cceurs; la formule defin-
itive encore que transitoire et n’ayant, au fond, qu’une
valeur d’indication subtile et precise a la fois.
Expliquons nous.
II y a des annees qu’on bataille et qu’on marche vers
un but eclatant. Les pre'curseurs, les Claude Monet,
les Renoir, les Cezanne promptement surpasses, par la
petite troupe neoimpressionniste et la vaillante phalange
pointilliste oh brillent d’un pur eclat les Signac et les
Seurat ont indique largement la route k suivre. A leur
suite, se sont rues les fauves, Gauguin en tete. Yinrent
ensuite les Matisse. Disons-le tout de suite. Ces peint-
res savaient encore peindre; quelquesuns me me dessinaient.
On peut juger par lk du retard inoui de leurs concep-
tions d’une esthetique surannee. Toutefois, ils faisaient
de louables efforts pour parvenir hl’Art veritable, lequel
consiste k negliger purement et simplement la forme pour
ne s’occuper que de la chose en soi et a ne point voir
l’universel en tant qu’apparence fatalement provisoire.
De toute evidence, apres avoir rendu un juste hommage
k ces purs artistes, il fallait les abandonner k mi-cote et
se lancer vertigineusement sur le clair chemin de
l’amorphisme.
C’est alors que le cubisme fit son apparition, bientot
suivi par le conisme. Pourquoi avoir reproche k ces
peintres leurs preoccupations geometriques ? II leur etait
difficile de concevoir les objets sous une forme moins
rudimentaire et ils demeuraient, dans une certain
mesure, victimes des preoccupations et des prejuges de
leur epoque. A premiere vue, Pobjet doit etre ramene
k l’etat de simple notion de dimensions. II ne vaut que
par ses dimentions et ses rapports avec Pambiance
lumineuse rapports qui varient avec les positions de
Pobjet et Pintensite de la lumiere qui le baigne.
Remarquons que, dans cette conception dejk temeraire
et dans cette vision etrangement lucide de Pinterpret-
ation de la beaute disse'minee et parsemee dans le flot
universel, aucune place n’etait reservee k Pame des
choses. Mais passons. Les cubistes ont apporte leur
pierre, si l’on peut dire. Ils ont donne leur effort.
Nous n’avons pas k leur reclamer davantage.
Le cubisme, d’ailleurs, comme tous les grands Arts,
s’est replie sur lui-meme et subdivise en plusieurs
courants. D’abord scientifique, puis physique, il est
devenu, instinctif et enfin—c’est 1 k la forme superieure
— orphique. L’orphisme, jusqu’k ce jour — si nous
n^gligeons le futurisme, essai impetueux, mais manquant
de science veritable — est le dernier mot de Part con-
temporain. C’est Paboutissant logique de toutes les
tentatives d’hier. C’est le premier pas fait vers la
formule inevitable, vers l’amorphisme.
Dejk, les Rouault, les Matisse, les Derain, les Picasso,
les Van Dongen, les Jean Puy, les Picaba, les Georges
Bracque, les Metzinger, les Gleizes, les Duchamp (dont
on ne peut oublier l’irresistible Nu descendant un
escalier (1912), ni le Jeune Homme (1912), semblent
avoir compris et admis la necessite de supprimer ab-
solument la forme et de s’en tenir uniquement k la
couleur. Il y a mieux k faire, cependant. Il y a a
decomposer la couleur qui peut evoquer jusqu’a un
certain point la forme et k la desassocier, pour laisser a
l’oeil le soin de synthetiser et reconstruire.

Ainsi, peu k peu, Pamorphisme s’impose. Certes, on
poussera des cris de putois, en pre'sence des oeuvres
prochaines des jeunes pionniers de l’Art. Mais nous
sommes quelques critiques inde'pendants, ennemis du
bluff, et sans rapport aucun avec les marchands de
tableaux, pour defendre l’Art nouveau, l’Art de demain,
PArt de toujours. Pour aujourd’hui, contentons-nous de
publier ici le manifeste, trop court, mais combien sug-
gests, de l’ecole amorphiste. Les esprits non prevenus
et les veritables intelligences jugeront.
MANIFESTE DE L’ECOLE AMORPHISTE
Guerre a la Forme !
La Forme, voila Vennemi !
Tel est notre programme.
Cest de Picasso qu’on a dit qu’il etudiait un objet
comme un chirurgien disseque un cadavre.
De ces cadavres genants que sont les objets, nous ne
voulons plus.
La lumiere nous sufflt. La lumiere absorbe les objets.
Les objets ne valent que par la lumiere ou ils baignent.
La matiere n’est qu'un reflet et un aspect de Venergie
universelle. Des rapports de ce reflet a sa cause, qui est
Venergie lumineuse, naissent ce qu'on appelle impropre-
ment les objets, et s'eiablit ce non-sens: la forme.
C’est a nous d’indiquer ces rapports. C’est a Vobserv-
ateur, au regardeur, de reconstituer la forme, a la fois,
absente et necessairement vivante.
Exemple: Prenons Voeuvre geniale de Popaul Picador:
Femme au bain:

Popaul Picador.

Cherchez la femme, dira-t-on. Quelle erreur !
Par Vopposition des teintes et la diffusion de la lumiere,
la jemme n'est-ellepas visible a Vceilnu, et quels barbares
pourraient reclamer serieusement que le peintre s’exerce
inutilement a esquisser un visage, des seins et des jamb est
Prenons maintenant La Mer, du meme artiste.

Popaul Picador.

Vous ne voyez rien au premier regard. Lnsistez.
Avec Vhabitude, vous verrez que Veau vous viendra a la
bouche.
Tel est Vamorphisme.
Nous nous dressons contre la Forme, la Forme dont on
nous a rebattu les yeux et les oreilles, la Foorme devant
laquelle Vagenouillent les Bridoisons de la peinture.

From “Les Hommes du Jour”
 
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