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La caricature: revue morale, judiciaire, littéraire, artistique, fashionable et scénique — 1830 (Nr. 1-9)

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Numéro 6
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https://doi.org/10.11588/diglit.13563#0044
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CARICATURES

MORALES, RELIGIEUSES, POLITIQUES, LITTÉRAIRES, SCÉNIQUES, etc.

LES LITANIES ROMANTIQUES.

M. S..... t[‘ii jouit en çc moment, à Paris, de la singulière célé-
brité qu’y donne une grande fortune, ne sachant par quelle spécialité se
singulariser, s’est constitué le Mécène de la littérature. Tous les mardis,
les hommes qui passent à Paris pour avoir du talent sont conviés à un
dîner, pour lequel son cuisinier tâche de se surpasser; et, depuis six
heures jusqu’à minuit, les adeptes , les néophytes, les génies, les cathé-
cliumènes font tout à la fois du chyle et de l’esprit.

Malgré le bon accueil acquis aux poètes, aux romanciers et aux drama-
tistes qui se lèvent sur l’horizon littéraire, il n’y a qu’un petit nombre
d’auteurs admis à connaître la pensée intime du patron.

M. S. est un homme de quarante ans environ, petit, maigre , à

cheveux noirs, à sourcils épais , peau brune, les yeux' enfoncés et bor-
dés d’un grand cercle fauve légèrement ridé. Il parle peu; mais ses
remarques annoncent toujours une connaissance profondede la littérature.
Il devine l’idée-mèrc d’un chef-d’œuvre avec le talent d’un critique con-
sommé. 11 est difficile. Il sent la poésie en homme qui en est, idolâtre; et,
comme il se pique de savoir*découvrir les beautés des œuvres dédaignées
par le public, pour obtenir son suffrage, le plus beau titre d’un auteur
est — une chute. Mais le sens délicat dont est doué M. de S..., devient,
à entendre ses familiers, la source d’un malheur perpétuel ; car la poésie
qu’il, rêve, il ne la trouve nulle part complète, grande, forte, que —
dans ses propres conceptions. Parlez-lui du Mangeur d’Opium, dos Contes
d’Espagne, de Melmoth’s, de Smarra, duGiaour, du rêve de Jean Paul,
de la Ronde du Sabbat, etc.?.... Oh! alors, il s’émeut, il s’anime, et
trouve, pour peindre ses idées, des expressions qui saisissent, qui le
font même , dit-on, reconnaître pour le chef de la génération puissante,
aux mains de laquelle est confiée la gloire du XIXe siècle !_

Un de mes amis ayant répondu de moi, corps pour corps , je fus in-
troduit dans celte maison sacrée; et, après y avoir dîné plusieurs fois,
après y avoir lu quelques morceaux sur lesquels je comptais pour pro-
duire de l’elfct, j’eus l’inappréciable avantage de plaire à M. S., et

d’être mis au rang de ceux à qui son âme se révèle. Cette amitié ne
laisse pas que d’être fort agréable, car notre généreux amphytrion se-
court avec grâce les littérateurs dont les compositions obtiennent son
approbation, et ne redemande jamais l’argent qu’il prête.

.l’arrivai à un tel degré de faveur, que M. S.... ne me déguisa plus scs
opinions. Quand je lui lus une nouvelle ode de M. Victor Hugo, il me
dit en haussant les épaules ;

— C’est encore trop clair! trop expliqué! il ne laisse rien à deviner !...

Si je lui déclamais une harmonie de M. de Lamartine.

— Beaux accords !. C’est une lyre qui n’a qu’une corde.Ce

poète nous rabâche l’avenir !... Mais il. a , parfois , de beaux nuages !...

Toutes ces sentences annonçaient un esprit si dédaigneux, que je ne
doutai pas qu’il ne fût en possession d’un grand secret de poésie...

— Chateaubriand?... lui dis-je, un soir, afin de voir si quelque chose
était sacré pour lui.

Il fit une petite moue, et me répondit :

— Pas une situation nouvelle !.. C’est du style !.. Travail d’ébéniste!..

-— Et M. Cousin?....

— Oh, beau!... sublime !... prodigieux!... Il y a dix apocalypses dans

cet homme-là !.

Le soir où je lui lus mon célèbre conte fantastique intitulé : La Peau
de Chagrin, il m’offrit de me l’acheter mille écus , à condition de le
lui laisser imprimer à vingt exemplaires. J’y consentis. Il me remercia
de cet acte de condescendance, comme d’une faveur; et alors il acheva
mon initiation, en me proposant d’assister à une lecture qu’il devait faire,
vers minuit,quand il n’yaurait plus dans le salon que ses amis intimes...
J’acceptai.

Le jeune auteur, auquel je devais mon entrée au logis, vint à moi, et
me dit d’un air de mystère ;

— De la prudence, et imitez nous.,...

Je n’avais pas besoin de cette recommandation. Je commençais à en-
trevoir que M. S. était dominé par quelque manie, et que mes

amis la respectaient, soit par compassion, soit par intérêt. Nous nous
groupâmes sur des chaises, sur des divans; et tous, dans l’attitude de
lamentins humant l’air frais sur le rivage , nous ouvrîmes les oreilles en
regardant le poète par excellence, qui, placé devant la cheminée , tous-
sait en dépliant un papier.... Il lut d’une voix lente et grave la pièce sui-
vante, où, par des procédés typographiques, l’imprimeur a essayé de re-
produire les points d’orgue, les soupirs et les œillades par lesquels
Mt- S»-., sépara, fractionna, fragmenta les phrases de cette œuvre.

CROQUIS.

Ce sont des voix confuses.faibles, graves, claires, riches, sombres; —

une vague harmonie, — semblable aux sons des cloches répandus dans les
campagnes, par une matinée de printemps, un dimanche, à travers les jeunes
fouillées, sous un ciel bleu.— puis de blanches figures, de beaux che-

veux, des fleurs , — un rire ingénu , —des jeux sans pensée, sans fatigue....

— des châteaux d’argile bâtis au bord d’une source. — des cailloux blancs,
verts, jaunes ou rouges, ramasssés dans l’eau.—L’eau! —frissonnant sur des
pieds nuds.—-Pour un lien,les pleurs mouillent des yeux vifs...—LA MORT
se dresse avec ses os blanchis qui craquent, ses orbites sans prunelles, ses

dents sans lèvres, et le jour passe à travers ses côtes noires.Elle emporte

la mère, la grand’mère, la nourrice, —le bon fermier. Les habits sont noirs:

— voilà tout... — Les marguerites poussent sur les tombes: — Dieu ! les jolies
fleurs.... — Elle m’aime, un peu, beaucoup, passionnément....—Voici des
pensées d’homme. — Orphelin.... — des livres, des études!— Apprendre : —
le passé,— le présent,—la loi, — la religion, —le bien, le mal.— Un homme
a Ir nte-deux vertèbres. — Un lys est un liliacée. — Il y a eu un déluge. —
Y a-t-il un enfer ...

-— Une femme apparaît belle comme un désir, — jeune comme une fleur
fraîche éclose. — Un petit pied. —La grande tempête de cœur s’élève. —
11 y a là un vieillard. — Tuez -le? — Il est mort. — Son cadavre sert d’oreiller
aux deux amans. —La vie passe entre eux comme un fer chaud. -—Us se
-comprenaient pour le crime, ils ne se comprennent plus pour le bien....

— Le vice unit, mais il sépare. — Un grand fantôme pâle se lève: — L’in-
> crédulité ! — Dieu?... c'est moi!... — Et le fantôme se rassied sur des volumes
poudreux, sur une masse d’or qui ne le nourrit pas. — Le concert continue.

— 11 étourdit.— Le temps s’écoule comme de la glace qui fond au soleil.—Un
jour LA MORT reparaît flamboyante avec un glaive à la main. — I! y a eu un
duel!... — Sa voix retentit dans les oreilles, comme un bruit qui réveille au
milieu de la nuit. — Alors elle se fait comprendre : — elle explique la cam-
pagne, et commente le lever du soleil, — elle conseille le mariage. — Le
commerce arrive avec ses espérances trompées et ses chagrins réels. — L’am-
bition se montre, comme un colporteur qui étale des rubans, des ajuste-
tnens, des dentelles, des écharpes. — Sa balle est pour tout le monde, —
seulement, il lui faut de l’argent. —Alors Henri s’assied sur un gril, et vit
sur un brasier ardent. — Tantôt il se retourne sur le flanc gauche, tantôt sur
le flanc droit. — Ce n’est plus un concert!... —c’est une mêlée, un com-
bat, une bataille. — Les volées de canon étourdissent.—Il faut marcher!..
il faut périr. —Pourquoi?... — Marche! — En avant ! — La jambe fait souf-
frir.— La maladie se hisse de la tête aux pieds. —Elle tenaille le cadavre
en attendant que la mort le prenne.— Arlequin vous amuse avec des ho-
chets: — ce sont des châteaux commencés, — de grands châteaux en pierre
de taille... — des fermes à réparer... — des reports à la Bourse... — une fille
d’Opéra... — Farces classiques!., du mouvement et du bruit.— Toutà coup,
dans l’ombre, pointe une petite lumière qui grandit insensiblement : — Henri!..
Henri ! crie une voix d’en bas.... C’est la complice impatiente d’être seule au
rendez-vous... — Tout ce qui était obscur devient clair, et tout ce qui était
clair devient obscur. —Un vieux prêtre arrive, dit trois paroles.... — L’ave-
nir scintille et fait cabrer le cheval superbe : il dresse les oreilles !...—Une
vieille femme, froide, noire, veut vous embrasser; mais elle vous mord.—
Tout est dit.... — Où vais-je ?... où suis-je ?... Dans la lumière ou dans l’om-
bre ?... — Adieu, mes enfans!... Soyez unis!.... je veillerai sur vous. — Ah!

bah!. -— Le lendemain, ils se disputent sur le cercueil, et jouent aux dés

votre meilleur fauteuil, car ils veulent tous l’avoir. —Voilà bien des

choses pour une once de boue placée entre deux silences !...

Quand la lecture fut terminée, il sc fit un grand soupir. Puis, chacun de
nous, se réveillant de la stupeur où il paraissait plongé, dit son mot d’é-i
loges, avec un accent, un geste, une physionomie appropriés à son ca-
ractère. Ce furent les acclamations de tout un chœur de chrétiens à l’é-
glise , par un moment d’extase.

— C’est biblique !.
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