CINQUANTE-NEUVIÈME ANNÉE
Prix du Numéro ï 26 centimes*
VENDREDI 31 JANVIER 1890
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 18 fr.
Six mois. 36 —
Un an... 72 —
Les abonnements partent des 1" et 16 de chaque mois
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
IME H RE VÉRON
Uédacteur en Clief
BUREAUX
DE LA RÉDACTION ET DE L1 ADMINISTRATION
Rue de la Victoire, 20
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 20 fr.
Six mois. <0 —
Un an. 80 —
L'abonnement d'un an donne droit à la prime gratuits
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIE15IIE VERON’
Uédacteur eu Chef
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, fermier de la publicité
92, Rue Richelieu
LE CHARIVARI
Les souscripteurs dont l’abonnement expire
le 31 Janvier sont priés de le renouveler
immédiatement, s’ils ne veulent pas éprouver
d’interruption dans l’envoi du journal.
BULLETIN POLITIQUE
11 y a des spectacles qu’il faudrait véritablement
épargner au public, si l’on tient à sauvegarder la di-
gnité de la justice.
On devrait, par exemple, ne pas étaler au grand
jour les conflits qui éclatent entre deux parquets se
disputant acerbement la gloire d’avoir découvert un
assassin, surtout quand, en réalité, la découverte de
cet assassin n’est due qu’à une délation impré-
vue.
Il s’écliange depuis quelques jours entre Lyon et
Paris, et vice versa, des notes aigres douces, — plus
aigres que douces, — qui ne sont pas faites pour édi-
fier la galerie.
Il convient de dire que la première attaque semble
être venue de Paris, où M. Goron a l’air de faire au
moins autant de bruit que de besogne. Lyon, là-
dessus, lui a rivé sou clou de la belle façon, en affir-
mant que lui, Goron, s’était tout d’abord moqué des
magistrats lyonnais, qui voulaient voir Gouffé dans
le cadavre de Millery.
Et là-dessus on s’arrache les lambeaux de ce pau-
vre cadavre avec un acharnement qui finit vraiment
par répugner.
Est-ce que M. le ministre de la justice ne pour-
rait pas donner quelques sages conseils et faire en-
tendre aux combattants que leurs luttes sont déplo-
rables?
C’est une initiative qu’il aurait dû prendre dès que
les premières récriminalions ont été échangées. Mais
mieux vaut tard que jamais.
Il est absolument nécessaire d’imposer silence à
ces attrapages pitoyables. La loi,hélas! a déjà perdu,
en France, les trois quarts de son autorité. Veut-on
qu’elle perle le reste?
La Chambre vient de nommer la grrrande com-
mission des douanes.
On sait que, l’année prochaine, expirera le traité
de commerce signé à Francfort après la guerre et
qui fut comme ia sanction de la paix nouvelle.
Il y a donc grande importance à se préparer, car
les queslions d’intérêt peuvent, à un moment donné,
engendrer des complications inextricables. .
La commission (les douanes, qui a été élue, est en
grande majorité républicaine.
C’est donc le parti républicain qui sera responsable
tout seul, le moment venu. IL importe qu’il réflé-
chisse sérieusement à cette responsabilité écrasante.
Le système protectionniste paraît l’avoir définiti-
vement emporté dans la composition de la commis-
sion, bien que quelques fibre-échangistes y soient
renforcés par des indécis, et la conséquence paraît
devoir être le non renouvellement des traités expi-
rants.
Maintenant on va voir à l’œuvre les bo commis-
saires.
Ce chiffre-là m’effraie diablement, et je crois qu’on
aura bien du mal à aboutir, quand bb messieurs
voudront successivement faire montre d’éloquence
ou tout au moins de bavardage.
^Pas de raison pour qu’on n’en arrive pas à nom-
mer des commissions de cent membres. Cela me
paraît dépourvu de tout sens pratique.
Enfin, attendons la suite.
Les ruines du palais de Saint-Cloud viennent de
s’écrouler.
Peu s’en est fallu qu’il n’y eût les accidents graves.
Cette histoire de Saint-Cloud est un exemple bur-
lesque et écœurant de l’incurie administrative qui
sévit dans toute notre pauvre France.
N’est-il pas honteux qu’on ait laissé pendant vingt
ans subsister ces traces de nos deuils? N’est-il pas
ridicule que pendant ces mêmes vingt ans il ne se
soit pas trouvé un ministre — et Dieu sait si l’on en
a changé 1 — capable de prendre l’initiative d’un
nettoyage intelligent?
Mais comment s’étonner de ce qui arrive à Saint-
Cloud, lorsqu’à Paris même nous voyons toujours
se dresser la hideuse carcasse noircie de la Cour des
comptes, lorsqu’on n’a pas même eu la pudeur,pour
l’Exposition, de faire disparaître ces débris doulou-
reux ou de les réparer?
Il faut espérer cependant que l’écroulement de
Saint-Cloud secouera un peu l’apathie gouverne
mentale et contribuera à nous délivrer de ces fan-
tômes, évoquant le perpétuel souvenir de nos dé-
faites ou de nos tueries anti fraternelles.
Pierre Véron.
LA POUCE DE L’AVENIR
La tournure de plus en plus singulière que prend
la mystérieuse affaire Gonflé est une douce réclame
pour le somnambulisme extralucide.
Certains pseudo savants , en empruntant leurs
procédés et jusqu’à leurs boniments aux charlatans
des foires, ont déjà consacré, sous le nomd’hypno ■
tisrne, ce même magnétisme dont la Faculté s’était
tant moquée, vers l’an dix-huit cent ei quelques...
Aujourd’hui, nos docteurs, beaucoup plus « fin de
siècle », sont revenus à de meilleurs sentiments et
se font des réputations européennes avec des « bla-
gues » surannées, qu’ils se donnent les gants d’avoir
inventées, alors qu’elles étaient déjà un peu usées
du temps du baron du Potet.
Mais cela n’est rien auprès de ce qui nous pend
au nez.
La science a le droit de médire, de se dédire et
môme de se conlredne, sans quoi elle ne serait plus
la science.
On sait, ou l’en croit qu’on sait, et puis, tout à
coup, on sait qu’on ne savait pas.
Rien de plus logique; l’homme absurde est celui
qui ne change jamais.
De tons les savants, le médecin est bien alors le
plus raisonnable, car c’est de tous celui qui, le plus
facilement, le plus rapidement, dit blanc après avoir
dit noir, et vice verset.
D où la place importante que le magnétisme,
l’hypnotisme, la suggestion, jadis honnis et vilipen-
dés, ont prise dans la médecine contemporaine.
Or, cette place, voilà que ces sciences, jadis occultes,
aujourd’hui de premier plan,sont à la veille de la con-
quérir aussi en matière judiciaire.
Il y a deux ou trois mois, à l’époque où la police
et la magistrature combinées, les agents de la sûreté
de Paris et le juge d’instruction de Lyon, agissant
de concert, pateaugeaient à qui mieux mieux dans
l’affaire de la disparition de l’huissier Gonflé et de la
découverte de la malle de Millery, un de nos con-
frères eut une idée de génie.
Quand tous les autres reporters interviewaient
M. Goron, qui ne leur apprenait rien, et pour cause,
le confrère en question alla tranquillement chez une
somnambule, une de ces sorcières patentées qui
perchent au troisième étage d’un immeuble parisien
et qui, pour un petit présent de cent sous ou de
vingt francs (suivant le quartier), vous dévoilent en
cinq sec le passé et l’avenir.
Il mit dans les mains de la dame un morceau du
papier de la fameuse malle (fond blanc à petites fleurs
bleues) :
O petite ileur bleue, ô fleur de l’idéal,
Que diable alliez-vous faire au fond de cette malle?
Et il lui demanda, à brûle-pourpoint, pas à la
(leur ni à la malle, mais à la somnambule :
— Voyons, ma vieille, que pensez-vous de ça?
Et la somnambule, clignant de l’œil, lui raconta
sans barguigner qu’elle « voyait » :
« .... Une jeune femme cousant un sac, dans une
grande chambre ; un sac fait avec un morceau de
toile qu’un homme (répondant au signalement
d’Eyraud) lui avait apporté, etc., etc... »
Enfin, au moins dans ses principales lignes, abso-
lument la même scène que Gabrielle Bompard, re-
tour de Québec, a fait connaître au brigadier Jaunie
et au juge d’instruction.
A ce moment-là, on dauba fortement sur l’histoire
servie par le confrère.
Les autres reporters, furieux de n’avoir pas eu, les
premiers, cette idée originale, s’accordèrent à la pro-
clamer fantasque, presque ridicule.
Et voici que, tout à coup, de par la déposition
d’un témoin oculaire et auriculaire des tragiques
événements, la version de la somnambule (an troi-
Prix du Numéro ï 26 centimes*
VENDREDI 31 JANVIER 1890
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 18 fr.
Six mois. 36 —
Un an... 72 —
Les abonnements partent des 1" et 16 de chaque mois
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
IME H RE VÉRON
Uédacteur en Clief
BUREAUX
DE LA RÉDACTION ET DE L1 ADMINISTRATION
Rue de la Victoire, 20
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 20 fr.
Six mois. <0 —
Un an. 80 —
L'abonnement d'un an donne droit à la prime gratuits
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIE15IIE VERON’
Uédacteur eu Chef
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, fermier de la publicité
92, Rue Richelieu
LE CHARIVARI
Les souscripteurs dont l’abonnement expire
le 31 Janvier sont priés de le renouveler
immédiatement, s’ils ne veulent pas éprouver
d’interruption dans l’envoi du journal.
BULLETIN POLITIQUE
11 y a des spectacles qu’il faudrait véritablement
épargner au public, si l’on tient à sauvegarder la di-
gnité de la justice.
On devrait, par exemple, ne pas étaler au grand
jour les conflits qui éclatent entre deux parquets se
disputant acerbement la gloire d’avoir découvert un
assassin, surtout quand, en réalité, la découverte de
cet assassin n’est due qu’à une délation impré-
vue.
Il s’écliange depuis quelques jours entre Lyon et
Paris, et vice versa, des notes aigres douces, — plus
aigres que douces, — qui ne sont pas faites pour édi-
fier la galerie.
Il convient de dire que la première attaque semble
être venue de Paris, où M. Goron a l’air de faire au
moins autant de bruit que de besogne. Lyon, là-
dessus, lui a rivé sou clou de la belle façon, en affir-
mant que lui, Goron, s’était tout d’abord moqué des
magistrats lyonnais, qui voulaient voir Gouffé dans
le cadavre de Millery.
Et là-dessus on s’arrache les lambeaux de ce pau-
vre cadavre avec un acharnement qui finit vraiment
par répugner.
Est-ce que M. le ministre de la justice ne pour-
rait pas donner quelques sages conseils et faire en-
tendre aux combattants que leurs luttes sont déplo-
rables?
C’est une initiative qu’il aurait dû prendre dès que
les premières récriminalions ont été échangées. Mais
mieux vaut tard que jamais.
Il est absolument nécessaire d’imposer silence à
ces attrapages pitoyables. La loi,hélas! a déjà perdu,
en France, les trois quarts de son autorité. Veut-on
qu’elle perle le reste?
La Chambre vient de nommer la grrrande com-
mission des douanes.
On sait que, l’année prochaine, expirera le traité
de commerce signé à Francfort après la guerre et
qui fut comme ia sanction de la paix nouvelle.
Il y a donc grande importance à se préparer, car
les queslions d’intérêt peuvent, à un moment donné,
engendrer des complications inextricables. .
La commission (les douanes, qui a été élue, est en
grande majorité républicaine.
C’est donc le parti républicain qui sera responsable
tout seul, le moment venu. IL importe qu’il réflé-
chisse sérieusement à cette responsabilité écrasante.
Le système protectionniste paraît l’avoir définiti-
vement emporté dans la composition de la commis-
sion, bien que quelques fibre-échangistes y soient
renforcés par des indécis, et la conséquence paraît
devoir être le non renouvellement des traités expi-
rants.
Maintenant on va voir à l’œuvre les bo commis-
saires.
Ce chiffre-là m’effraie diablement, et je crois qu’on
aura bien du mal à aboutir, quand bb messieurs
voudront successivement faire montre d’éloquence
ou tout au moins de bavardage.
^Pas de raison pour qu’on n’en arrive pas à nom-
mer des commissions de cent membres. Cela me
paraît dépourvu de tout sens pratique.
Enfin, attendons la suite.
Les ruines du palais de Saint-Cloud viennent de
s’écrouler.
Peu s’en est fallu qu’il n’y eût les accidents graves.
Cette histoire de Saint-Cloud est un exemple bur-
lesque et écœurant de l’incurie administrative qui
sévit dans toute notre pauvre France.
N’est-il pas honteux qu’on ait laissé pendant vingt
ans subsister ces traces de nos deuils? N’est-il pas
ridicule que pendant ces mêmes vingt ans il ne se
soit pas trouvé un ministre — et Dieu sait si l’on en
a changé 1 — capable de prendre l’initiative d’un
nettoyage intelligent?
Mais comment s’étonner de ce qui arrive à Saint-
Cloud, lorsqu’à Paris même nous voyons toujours
se dresser la hideuse carcasse noircie de la Cour des
comptes, lorsqu’on n’a pas même eu la pudeur,pour
l’Exposition, de faire disparaître ces débris doulou-
reux ou de les réparer?
Il faut espérer cependant que l’écroulement de
Saint-Cloud secouera un peu l’apathie gouverne
mentale et contribuera à nous délivrer de ces fan-
tômes, évoquant le perpétuel souvenir de nos dé-
faites ou de nos tueries anti fraternelles.
Pierre Véron.
LA POUCE DE L’AVENIR
La tournure de plus en plus singulière que prend
la mystérieuse affaire Gonflé est une douce réclame
pour le somnambulisme extralucide.
Certains pseudo savants , en empruntant leurs
procédés et jusqu’à leurs boniments aux charlatans
des foires, ont déjà consacré, sous le nomd’hypno ■
tisrne, ce même magnétisme dont la Faculté s’était
tant moquée, vers l’an dix-huit cent ei quelques...
Aujourd’hui, nos docteurs, beaucoup plus « fin de
siècle », sont revenus à de meilleurs sentiments et
se font des réputations européennes avec des « bla-
gues » surannées, qu’ils se donnent les gants d’avoir
inventées, alors qu’elles étaient déjà un peu usées
du temps du baron du Potet.
Mais cela n’est rien auprès de ce qui nous pend
au nez.
La science a le droit de médire, de se dédire et
môme de se conlredne, sans quoi elle ne serait plus
la science.
On sait, ou l’en croit qu’on sait, et puis, tout à
coup, on sait qu’on ne savait pas.
Rien de plus logique; l’homme absurde est celui
qui ne change jamais.
De tons les savants, le médecin est bien alors le
plus raisonnable, car c’est de tous celui qui, le plus
facilement, le plus rapidement, dit blanc après avoir
dit noir, et vice verset.
D où la place importante que le magnétisme,
l’hypnotisme, la suggestion, jadis honnis et vilipen-
dés, ont prise dans la médecine contemporaine.
Or, cette place, voilà que ces sciences, jadis occultes,
aujourd’hui de premier plan,sont à la veille de la con-
quérir aussi en matière judiciaire.
Il y a deux ou trois mois, à l’époque où la police
et la magistrature combinées, les agents de la sûreté
de Paris et le juge d’instruction de Lyon, agissant
de concert, pateaugeaient à qui mieux mieux dans
l’affaire de la disparition de l’huissier Gonflé et de la
découverte de la malle de Millery, un de nos con-
frères eut une idée de génie.
Quand tous les autres reporters interviewaient
M. Goron, qui ne leur apprenait rien, et pour cause,
le confrère en question alla tranquillement chez une
somnambule, une de ces sorcières patentées qui
perchent au troisième étage d’un immeuble parisien
et qui, pour un petit présent de cent sous ou de
vingt francs (suivant le quartier), vous dévoilent en
cinq sec le passé et l’avenir.
Il mit dans les mains de la dame un morceau du
papier de la fameuse malle (fond blanc à petites fleurs
bleues) :
O petite ileur bleue, ô fleur de l’idéal,
Que diable alliez-vous faire au fond de cette malle?
Et il lui demanda, à brûle-pourpoint, pas à la
(leur ni à la malle, mais à la somnambule :
— Voyons, ma vieille, que pensez-vous de ça?
Et la somnambule, clignant de l’œil, lui raconta
sans barguigner qu’elle « voyait » :
« .... Une jeune femme cousant un sac, dans une
grande chambre ; un sac fait avec un morceau de
toile qu’un homme (répondant au signalement
d’Eyraud) lui avait apporté, etc., etc... »
Enfin, au moins dans ses principales lignes, abso-
lument la même scène que Gabrielle Bompard, re-
tour de Québec, a fait connaître au brigadier Jaunie
et au juge d’instruction.
A ce moment-là, on dauba fortement sur l’histoire
servie par le confrère.
Les autres reporters, furieux de n’avoir pas eu, les
premiers, cette idée originale, s’accordèrent à la pro-
clamer fantasque, presque ridicule.
Et voici que, tout à coup, de par la déposition
d’un témoin oculaire et auriculaire des tragiques
événements, la version de la somnambule (an troi-