1SIST01RE DE LA RÉVOLUTION DE 1870-71.
Y
côté la ruine et le pillage avec ce mot : République,
et de l'autre des moissons, des fermes prospères,
le spectacle des bonheurs privés, avec ce vocable
sauveur: l'Empire. Rien n'y fit. L'opposition radi-
cale l'emporta à Paris et dans toutes les grandes
villes, et réunit une minorité souvent plus qu'hono-
rable dans beaucoup de départements. Les candi-
dats élus à Paris s'étaient bravement affirmés irré-
conciliables. Quant aux candidats gouvernementaux,
MM. Balagny, Devinck, Bouley, Savard, etc., non-
seulement ils n'étaient pas publiquement soutenus
par le pouvoir, mais ils n'osaient même pas se don-
ner comme bonapartistes. Ils s'appelaient indépen-
dants. Leur défaite n'en fut pas moins complète.
La vieille opposition était, dans plusieurs circon-
scriptions, battue par les démocrates nouveaux ve-
nus, plus ardents et plus audacieux. En 4863, les
candidats hostiles à l'empire avaient réuni 143,470
suffrages ; en 1869, — et l'on pouvait mesurer par
là le chemin parcouru par l'esprit de liberté, — ils
en recueillaient pins de 250,000.
Paris avait d'ailleurs manifesté l'esprit qui l'ani-
mait dans la lutte caractéristique entre M. Emile
OUivier et Bancel. C'était là, en effet, l'élection qui
passionnait le public et qui inquiétait le pouvoir.
La lutte entre M. Rochefort et M. Jules Favre,
entre M. Gambetta et M. Garnot, n'était qu'une
lutte de nuances; ici, il s'agissait d'une rivalité de
principes. M. Emile OllLvier, déjà soupçonné d'être
un favori de l'empereur, avait-ii, oui ou non, dé-
mérité de ses électeurs parce qu'il poursuivait cette
chimère d'une union entre l'empire et la liberté?
Avait-il perdu leur confiance parce que, délaissant
l'opposition radicale que ses souvenirs personnels,
l'image de son père emprisonné et de son frère
mort lui faisaient un devoir de poursuivre, il avait
tourné doucement à l'opposition dynastique, ou plu-
tôt parce qu'il inclinait à la tendresse dynastique?
Fallait-il lui préférer un proscrit de Décembre, in-
connu la veille à Paris, mais qui entrait en lice
avec deux armes terribles, son éloquence singu-
lière, entraînante, et l'épreuve de son exil ? Là était
le combat fiévreux et dont le gouvernement et la
démocratie attendaient anxieusement le résultat.
Désiré Bancel s'était révélé à nous, un soir, dans
un repas libre de francs-maçons où, prenant la pa-
role, il avait passionné, séduit,emporté tout son au-
ditoire. Acteur autant qu'orateur, sa voix avait à
la fois des modulations et des tonnerres. Il avait le
geste et l'accent, l'attitude, ce qui fait que le dis-
cours plaît aux yeux en même temps qu'à l'âme.
Ses Haranams fh l'exil s'imposent par je ne sais
quelle verve enflammée, qui me semble moins ve-
nir d'une inspiration personnelle que d'une érudi-
tion bien digérée et habilement mise en œuvre. En
un mot, ce fut un orateur, un grand artiste, un
virtuose admirable à qui la maladie qui devait
l'emporter ne permit pas de marquer dans l'As-
semblée la place due à son talent, mais qih" sut,
dans les réunions publiques électorales, enthou-
siasmer la foule en lui parlant toujours un noble,
pur et sain langage, lui prêchant la liberté avec
Camille, non avec Hébert, et combattant la tyran-
nie avec la marotte gauloise de Rabelais ou l'arme
sans tache de Corneille. Bancel conquit au surplus
tous les suffrages. Le candidat Emile QlHvier fat
outrageusement battu. Que si les électeurs du Var
n'eussent pas été séduits par sa profession de foi,
semblable à une bucolique, le futur ministre de
l'empire n'entrait ni à la Chambre ni à l'Acadé-
mie.
Paris n'a pas oublié cette soirée poudreuse où,
dans la fièvre du soir, sur les boulevards encom-
brés, on se passait de main en main les résultats
des élections. Ce fut une belle heure de joie pa-
triotique et de victorieux espoir. Tel patriote, qui
fût mort au lendemain de cette journée de mai, eût
pu sourire en se disant que la France était sauvée
et se réveillait la grande nation. La lutte pourtant
n'était pas terminée. Il restait encore à faire les
élections complémentaires de Paris et, cette fois,
c'était entre M. Jules Favre et M. Rochefort que la
lutte allait se livrer. On avait oublié bien vite les
rudes campagnes entreprises par M. Favre contre
M. Rouher à propos de la question mexicaine; son
entrée à l'Académie, sa profession de foi spiritua-
liste, son humeur catholique lui enlevaient bien
des sympathies. On put croire qu'on lui préfére-
rait ce spirituel M. Rochefort, qui offrait de résou-
dre la question sociale en dix minutes et se conten-
tait d'une boutade pour réduire la misère : « Je
demande que, pour vivre, les ouvrières ne soient
par forcées de se tuer. » C'était un trait, rien de
plus, et la question sociale, que nous devons étu-
dier, travailler et résoudre en faisant la part de
appétits et des besoins, cela sous peine de nous
voir engloutis, cette capitale question demande
plus de temps et plus d'études que ne lui en accor-
dait le pamphlétaire. Mais, à cette heure, M. Ro-
chefort représentait, dans sa forme la plus agressive
et la plus insolente, l'opposition contre l'empire,
mieux que cela, l'opposition directe à l'empereur
et à l'impératrice. Le nom seul de l'auteur delà
Lanterne était devenu une injure pour les Tuileries.
On l'inscrivait sur un bulletin comme on eût tracé
une nasarde sur un mur. La cour était irritée con-;
tre ce gamin de Paris, blafard et maigre, qui. fai-
sait du Paul-Louis Courier avec le style de Duvert
et Lauzanne, et combattait pour le droit avec l'arme
du vaudeville. Inconscient d'ailleurs, ignorant,
luttant par amour du tapage, aimant la vie fa-
cile, rêvant le brouet de Sparte du fond d'un ca-
binet de restaurant, jouant contre l'empire cette
partie d'opposition comme il eût engagé une partie
Y
côté la ruine et le pillage avec ce mot : République,
et de l'autre des moissons, des fermes prospères,
le spectacle des bonheurs privés, avec ce vocable
sauveur: l'Empire. Rien n'y fit. L'opposition radi-
cale l'emporta à Paris et dans toutes les grandes
villes, et réunit une minorité souvent plus qu'hono-
rable dans beaucoup de départements. Les candi-
dats élus à Paris s'étaient bravement affirmés irré-
conciliables. Quant aux candidats gouvernementaux,
MM. Balagny, Devinck, Bouley, Savard, etc., non-
seulement ils n'étaient pas publiquement soutenus
par le pouvoir, mais ils n'osaient même pas se don-
ner comme bonapartistes. Ils s'appelaient indépen-
dants. Leur défaite n'en fut pas moins complète.
La vieille opposition était, dans plusieurs circon-
scriptions, battue par les démocrates nouveaux ve-
nus, plus ardents et plus audacieux. En 4863, les
candidats hostiles à l'empire avaient réuni 143,470
suffrages ; en 1869, — et l'on pouvait mesurer par
là le chemin parcouru par l'esprit de liberté, — ils
en recueillaient pins de 250,000.
Paris avait d'ailleurs manifesté l'esprit qui l'ani-
mait dans la lutte caractéristique entre M. Emile
OUivier et Bancel. C'était là, en effet, l'élection qui
passionnait le public et qui inquiétait le pouvoir.
La lutte entre M. Rochefort et M. Jules Favre,
entre M. Gambetta et M. Garnot, n'était qu'une
lutte de nuances; ici, il s'agissait d'une rivalité de
principes. M. Emile OllLvier, déjà soupçonné d'être
un favori de l'empereur, avait-ii, oui ou non, dé-
mérité de ses électeurs parce qu'il poursuivait cette
chimère d'une union entre l'empire et la liberté?
Avait-il perdu leur confiance parce que, délaissant
l'opposition radicale que ses souvenirs personnels,
l'image de son père emprisonné et de son frère
mort lui faisaient un devoir de poursuivre, il avait
tourné doucement à l'opposition dynastique, ou plu-
tôt parce qu'il inclinait à la tendresse dynastique?
Fallait-il lui préférer un proscrit de Décembre, in-
connu la veille à Paris, mais qui entrait en lice
avec deux armes terribles, son éloquence singu-
lière, entraînante, et l'épreuve de son exil ? Là était
le combat fiévreux et dont le gouvernement et la
démocratie attendaient anxieusement le résultat.
Désiré Bancel s'était révélé à nous, un soir, dans
un repas libre de francs-maçons où, prenant la pa-
role, il avait passionné, séduit,emporté tout son au-
ditoire. Acteur autant qu'orateur, sa voix avait à
la fois des modulations et des tonnerres. Il avait le
geste et l'accent, l'attitude, ce qui fait que le dis-
cours plaît aux yeux en même temps qu'à l'âme.
Ses Haranams fh l'exil s'imposent par je ne sais
quelle verve enflammée, qui me semble moins ve-
nir d'une inspiration personnelle que d'une érudi-
tion bien digérée et habilement mise en œuvre. En
un mot, ce fut un orateur, un grand artiste, un
virtuose admirable à qui la maladie qui devait
l'emporter ne permit pas de marquer dans l'As-
semblée la place due à son talent, mais qih" sut,
dans les réunions publiques électorales, enthou-
siasmer la foule en lui parlant toujours un noble,
pur et sain langage, lui prêchant la liberté avec
Camille, non avec Hébert, et combattant la tyran-
nie avec la marotte gauloise de Rabelais ou l'arme
sans tache de Corneille. Bancel conquit au surplus
tous les suffrages. Le candidat Emile QlHvier fat
outrageusement battu. Que si les électeurs du Var
n'eussent pas été séduits par sa profession de foi,
semblable à une bucolique, le futur ministre de
l'empire n'entrait ni à la Chambre ni à l'Acadé-
mie.
Paris n'a pas oublié cette soirée poudreuse où,
dans la fièvre du soir, sur les boulevards encom-
brés, on se passait de main en main les résultats
des élections. Ce fut une belle heure de joie pa-
triotique et de victorieux espoir. Tel patriote, qui
fût mort au lendemain de cette journée de mai, eût
pu sourire en se disant que la France était sauvée
et se réveillait la grande nation. La lutte pourtant
n'était pas terminée. Il restait encore à faire les
élections complémentaires de Paris et, cette fois,
c'était entre M. Jules Favre et M. Rochefort que la
lutte allait se livrer. On avait oublié bien vite les
rudes campagnes entreprises par M. Favre contre
M. Rouher à propos de la question mexicaine; son
entrée à l'Académie, sa profession de foi spiritua-
liste, son humeur catholique lui enlevaient bien
des sympathies. On put croire qu'on lui préfére-
rait ce spirituel M. Rochefort, qui offrait de résou-
dre la question sociale en dix minutes et se conten-
tait d'une boutade pour réduire la misère : « Je
demande que, pour vivre, les ouvrières ne soient
par forcées de se tuer. » C'était un trait, rien de
plus, et la question sociale, que nous devons étu-
dier, travailler et résoudre en faisant la part de
appétits et des besoins, cela sous peine de nous
voir engloutis, cette capitale question demande
plus de temps et plus d'études que ne lui en accor-
dait le pamphlétaire. Mais, à cette heure, M. Ro-
chefort représentait, dans sa forme la plus agressive
et la plus insolente, l'opposition contre l'empire,
mieux que cela, l'opposition directe à l'empereur
et à l'impératrice. Le nom seul de l'auteur delà
Lanterne était devenu une injure pour les Tuileries.
On l'inscrivait sur un bulletin comme on eût tracé
une nasarde sur un mur. La cour était irritée con-;
tre ce gamin de Paris, blafard et maigre, qui. fai-
sait du Paul-Louis Courier avec le style de Duvert
et Lauzanne, et combattait pour le droit avec l'arme
du vaudeville. Inconscient d'ailleurs, ignorant,
luttant par amour du tapage, aimant la vie fa-
cile, rêvant le brouet de Sparte du fond d'un ca-
binet de restaurant, jouant contre l'empire cette
partie d'opposition comme il eût engagé une partie