HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE i 870-71.
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fui les conseils du gouvernement, lorsque, brus-
quement, l'empire, qui s'était tu en juin à propos
de« projets allemands sur le Saint-Gothard, se re-
dressa en juillet, à la nouvelle de la candidature
d'un prince prussien.
M. Gochery, député du Loiret, déposa, le 5 juil-
let, au nom du centre gauche, une interpellation
adressée au gouvernement sur l'affaire Hohen-
zollern. Le lendemain, M. de Gramont répondait,
de ce ton froid et hautain, à la fois gentilhom-
mesque et diplomatique qu'il affectait à la tribune :
« 11 est vrai que le maréchal Prim a offert au
prince Léopold de Hohenzollern la couronne d'Es-
pagne et que ce dernier l'a acceptée. Mais le peu-
ple espagnol ne s'est point encore prononcé, et
nous ne connaissons point encore les détails vrais
d'une négociation qui nous a été cachée.
« Aussi une discussion ne saurait-elle aboutir
maintenant à aucun résultat pratique ; nous vous
prions, messieurs, de l'ajourner.
« Nous n'avons cessé de témoigner nos sympa-
thies à la nation espagnole, et d'éviter tout ce qui
aurait pu avoir les apparences d'une immixtion
quelconque dans les affaires intérieures d'une noble
et grande nation en plein exercice de sa souve-
raineté ; nous ne sommes pas sortis, à l'égard des
divers prétendants au trône de la plus stricte neu-
tralité, et nous n'avons jamais témoigné pour au-
cun d'eux ni préférence ni éloignement.
« Nous persistons dans cette conduite. Mais nous
ne croyons pas que le respect des droits d'un peu-
ple voisin nous oblige à souffrir qu'une puissance
étrangère, en plaçant un de ses princes sur le trône
de Charles-Quint, puisse déranger à notre détri-
ment l'équilibre actuel des forces en Europe
(Bruyants applaudissements), et mettre en péril les
intérêts et l'honneur de la France. (Nouveaux ap-
plaudissements.)
« Cette éventualité, nous en avons le ferme es-
poir, ne se réalisera pas.
« Pour l'empêcher, nous comptons à la fois sur
la sagesse du peuple allemand et sur l'amitié du
peuple espagnol.
« S'il en était autrement, fort de votre appui,
messieurs, et de celui de la nation, nous saurions
remplir notre devoir sans hésitation et sans fai-
blesse. (Mouvement général et prolongé.—- Applau-
dissements répétés.)
— Vous voulez donc la guerre ? s'écrie aussitôt
M. Crémieux.
M. Emile Ollivier répliqua :
— Le gouvernement désire la paix, il la désire
avec passion, mais avec honneur..... Si nous
croyons un jour la guerre inévitable, nous ne l'en-
gagerons qu'après avoir demandé et obtenu votre
concours.
Le garde des sceaux laissait encore échapper là
une parole naïve. Comment! il consentait à ne
faire la guerre qu'après avoir obtenu le concours
du Corps législatif! Croyait-il donc qu'il fût pos-
sible de la déclarer sans l'assentiment des repré-
sentants du pays? Hélas! cette aveugle majorité,
toujours docile aux volontés, aux caprices et jus-
qu'aux espérances du maître, avait tellement ap-
plaudi à la déclaration hautaine pour la Prusse, de
M. de Gramont, que M. Emile Ollivier lui-même
télégraphiait à l'empereur, après la séance : « Le
mouvement, au premier moment, a dépassé le but.
On eût dit que c'était une déclaration de guerre (1)».
C'en était une, en réalité, mais le gouvernement
voulait au moins sauver les apparences. Seulement
ce qui prouve que la guerre était décidée par lui, ce
sont ces deux dépêches, datées du jour même de
la déclaration de M. de Gramont :
« L'ambassadeur d'Espagne au ministre de la guerre,
à Madrid.
Paris, 6 juillet.
« Loin d'avoir atténué les effets de la première
impression, la déclaration du gouvernement et l'at-
titude du Corps législatif peuvc être considérées
comme le présage certain d'uat> guerre contre la
Prusse, si un prince prussien devenait roi d'Es-
pagne [suivent chiffres).
« 0l0zaga. !)
« À Sa Majesté l'empereur, à Saint-Cloud.
Paris, 6 juillet.
« Recevez mes félicitations les plus ardentes. La
France entière vous suivra. L'enthousiasme est
unanime.
« persigny. »
Dès le G juillet, Napoléon recevait donc les féli-
citations de M. de Persigny. Dès le 6, la guerre
était considérée comme certaine. Le 8, M. deLeusse,
député, télégraphiait déjà à M. Beuckc, maire à
Selta (Bas-Rhin) : « Envoyez un homme intelligent
à Rastadt, sur le Rhin, et télégraphiez-moi ce que
font les pontonniers badois ». Les journaux du mi-
nistère dépassaient, par leur ardeur belliqueuse,
les espérances mêmes du gouvernement. Ce fut un
cruel spectacle, en effet, pour tout homme de sang-
froid et de sens commun, pour tout citoyen ami do
sa patrie et ennemi de la guerre, que le spectacle
offert par ces journaux dévoués qui hurlaient leur
chauvinisme et le faisaient consister à jeter l'injure
à tous ceux dont la ferme conscience tentait de
s'opposer à la surprise d'une déclaration de guerre
qui pouvait déchaîner sur le pays les plus épou
vantables maux» Un moment, entre les journaa;
(i) Dépêches trouvées à Saint-Cloud (publiéesà Berlii
àBruxelles),
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fui les conseils du gouvernement, lorsque, brus-
quement, l'empire, qui s'était tu en juin à propos
de« projets allemands sur le Saint-Gothard, se re-
dressa en juillet, à la nouvelle de la candidature
d'un prince prussien.
M. Gochery, député du Loiret, déposa, le 5 juil-
let, au nom du centre gauche, une interpellation
adressée au gouvernement sur l'affaire Hohen-
zollern. Le lendemain, M. de Gramont répondait,
de ce ton froid et hautain, à la fois gentilhom-
mesque et diplomatique qu'il affectait à la tribune :
« 11 est vrai que le maréchal Prim a offert au
prince Léopold de Hohenzollern la couronne d'Es-
pagne et que ce dernier l'a acceptée. Mais le peu-
ple espagnol ne s'est point encore prononcé, et
nous ne connaissons point encore les détails vrais
d'une négociation qui nous a été cachée.
« Aussi une discussion ne saurait-elle aboutir
maintenant à aucun résultat pratique ; nous vous
prions, messieurs, de l'ajourner.
« Nous n'avons cessé de témoigner nos sympa-
thies à la nation espagnole, et d'éviter tout ce qui
aurait pu avoir les apparences d'une immixtion
quelconque dans les affaires intérieures d'une noble
et grande nation en plein exercice de sa souve-
raineté ; nous ne sommes pas sortis, à l'égard des
divers prétendants au trône de la plus stricte neu-
tralité, et nous n'avons jamais témoigné pour au-
cun d'eux ni préférence ni éloignement.
« Nous persistons dans cette conduite. Mais nous
ne croyons pas que le respect des droits d'un peu-
ple voisin nous oblige à souffrir qu'une puissance
étrangère, en plaçant un de ses princes sur le trône
de Charles-Quint, puisse déranger à notre détri-
ment l'équilibre actuel des forces en Europe
(Bruyants applaudissements), et mettre en péril les
intérêts et l'honneur de la France. (Nouveaux ap-
plaudissements.)
« Cette éventualité, nous en avons le ferme es-
poir, ne se réalisera pas.
« Pour l'empêcher, nous comptons à la fois sur
la sagesse du peuple allemand et sur l'amitié du
peuple espagnol.
« S'il en était autrement, fort de votre appui,
messieurs, et de celui de la nation, nous saurions
remplir notre devoir sans hésitation et sans fai-
blesse. (Mouvement général et prolongé.—- Applau-
dissements répétés.)
— Vous voulez donc la guerre ? s'écrie aussitôt
M. Crémieux.
M. Emile Ollivier répliqua :
— Le gouvernement désire la paix, il la désire
avec passion, mais avec honneur..... Si nous
croyons un jour la guerre inévitable, nous ne l'en-
gagerons qu'après avoir demandé et obtenu votre
concours.
Le garde des sceaux laissait encore échapper là
une parole naïve. Comment! il consentait à ne
faire la guerre qu'après avoir obtenu le concours
du Corps législatif! Croyait-il donc qu'il fût pos-
sible de la déclarer sans l'assentiment des repré-
sentants du pays? Hélas! cette aveugle majorité,
toujours docile aux volontés, aux caprices et jus-
qu'aux espérances du maître, avait tellement ap-
plaudi à la déclaration hautaine pour la Prusse, de
M. de Gramont, que M. Emile Ollivier lui-même
télégraphiait à l'empereur, après la séance : « Le
mouvement, au premier moment, a dépassé le but.
On eût dit que c'était une déclaration de guerre (1)».
C'en était une, en réalité, mais le gouvernement
voulait au moins sauver les apparences. Seulement
ce qui prouve que la guerre était décidée par lui, ce
sont ces deux dépêches, datées du jour même de
la déclaration de M. de Gramont :
« L'ambassadeur d'Espagne au ministre de la guerre,
à Madrid.
Paris, 6 juillet.
« Loin d'avoir atténué les effets de la première
impression, la déclaration du gouvernement et l'at-
titude du Corps législatif peuvc être considérées
comme le présage certain d'uat> guerre contre la
Prusse, si un prince prussien devenait roi d'Es-
pagne [suivent chiffres).
« 0l0zaga. !)
« À Sa Majesté l'empereur, à Saint-Cloud.
Paris, 6 juillet.
« Recevez mes félicitations les plus ardentes. La
France entière vous suivra. L'enthousiasme est
unanime.
« persigny. »
Dès le G juillet, Napoléon recevait donc les féli-
citations de M. de Persigny. Dès le 6, la guerre
était considérée comme certaine. Le 8, M. deLeusse,
député, télégraphiait déjà à M. Beuckc, maire à
Selta (Bas-Rhin) : « Envoyez un homme intelligent
à Rastadt, sur le Rhin, et télégraphiez-moi ce que
font les pontonniers badois ». Les journaux du mi-
nistère dépassaient, par leur ardeur belliqueuse,
les espérances mêmes du gouvernement. Ce fut un
cruel spectacle, en effet, pour tout homme de sang-
froid et de sens commun, pour tout citoyen ami do
sa patrie et ennemi de la guerre, que le spectacle
offert par ces journaux dévoués qui hurlaient leur
chauvinisme et le faisaient consister à jeter l'injure
à tous ceux dont la ferme conscience tentait de
s'opposer à la surprise d'une déclaration de guerre
qui pouvait déchaîner sur le pays les plus épou
vantables maux» Un moment, entre les journaa;
(i) Dépêches trouvées à Saint-Cloud (publiéesà Berlii
àBruxelles),