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Claretie, Jules
Histoire de la Rev́olution de 1870-71 (Band 1): Chute de l'empire, la guerre, le gouvernement de la défense nationale, la paix, le siège de Paris, la Commune de Paris, le gouvernement de M. Thiers — Paris, 1872

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https://doi.org/10.11588/diglit.13402#0018
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HISTOIRE DE LA RÉ\OLUTION DE 1870-71.

se retrouvait, après dos années de sommeil, telle
qu'auparavant, éprise de son même idéal de liberté
républicaine, et M. Pelletan pouvait avec raison
écrire à M. de Persigny : « La France aime-t-elle
toujours la liberté? Le dernier scrutin fait la
réponse. Il n'y a pas une ville de quelque impor-
tance qui n'ait voté pour la liberté; et plus on ira,
plus on l'aimera, car le jeûne aiguise la faim (l). »

Il semblait d'ailleurs que cette date de juin 1863
eût marqué, pour l'empire, le signal de la male-
chance et de la décrépitude. Les symptômes de
décadence allaient s'accentuer encore avec les an-
nées qui suivirent. Et comme si le destin eût voulu
enlever à l'empire les plus fermes ou du moins les
plus intelligents de ses soutiens, les complices de
Décembre tombaient, mouraient emportés, les uns
après les autres, par des maladies soudaines et
comme frappés par le doigt d'une justice invi-
sible. Morny, qui venait de lancer la France dans
l'aventure sinistre du Mexique, succombait à ce
mal lent et bizarre qui est le mal de ce temps
appauvri, l'anémie. Billault mourait aussi, Wa-
lewski allait bientôt le suivre. On raconte que,
lorsque M. de Morny eut succombé, l'impératrice
voulut voir dé près le cadavre. Elle le considéra
longuement,, terrifiée de la ressemblance de ce mort
avec son frère vivant, puis, succombant à l'émo-
tion, s'évanouit. Peut-être eut-elle le pressentiment
que cet homme à l'intelligence souple, alerte et
soudaine, et dont le regard, d'un bleu pâle, voyait
nettement les choses, peut-être comprit-elle que
ce blasé, ce sceptique, ce mondain débauché était
pourtant de tous ceux qui entouraient l'empereur
celui qui eût pu détourner de l'empire bien des
catastrophes à venir. On fit au comte de Morny,
devenu duc de je ne sais quel emprunt ou de je ne
sais quelle fusillade, des funérailles solennelles, et
l'on eut raison. Ce n'était pas seulement l'homme
de Décembre qui se dirigeait vers la tombe, c'était
le régime de Décembre tout entier.

Il y a dans l'opinion publique, si prompte cepen-
dant à s'égarer, des irrésistibles courants et de sin-
guliers instincts de divination. Lorsque Morny
mourut, il n'y eut qu'un cri : L'empire est perdu.
Lorsque l'expédition du Mexique fut entreprise, il
n'y eut qu'un mot : C'est la campagne d'Espagne
de Napoléon III. Les Français devaient, en effet,
rencontrer dans les chinacos mexicains de nou-
veaux guérilleros aussi redoutables que ceux de
Mina, et dans Juarez un adversaire plus dangereux
que le Palafox de Saragosse. La catastrophe de
Queretaro dépasse de beaucoup, au surplus, dans
sa grandeur et son horreur shakspeariennes, tous
les drames des guerres espagnoles. Ce fut un crime
nouveau que celui d'aller prendre dans son palais

(1) E. Pelletait, l'Ombre de 89.

allemand cet archiduc d'Autriche et, faisant mi-
roiter devant ses yeux éblouis les perspectives d'un
empire nouveau d'un nouveau Montezuma, de le
jeter comme en proie aux gens des Terres Chaudes
et de l'abandonner à sa fortune après lui avoir
promis de le défendre jusqu'à la fin. Maximilien, am-
bitieux romanesque, s'était laissé griser par ce chi-
mérique rêveur, Bonaparte. Il sut ce que lui coûta
l'aventure et ce que peut, à la fin, un peuple résolu
combattant pour son indépendance et contre l'é-
tranger. Il y avait, parmi les curiosités des Tuileries,
une photographie du gilet et de l'habit que portait
Maximilien le jour de son exécution. Les trace? de
balles étaient marquées sur ces guenilles saignantes.
Il dut plus d'une fois contempler ces sinistres
images, l'homme qui avait envoyé au delà des
mers l'archiduc dont le corps repose maintenant,
sous les plis ironiques de drapeaux tricolores et
sous les armes impériales, dans les caveaux des
Capucins de Vienne, auprès des tombeaux sculptés
des princes et des archiducs d'Autriche.

On se rappelle l'épouvante du monde officiel
lorsque, pendant les préparatifs de l'Exposition uni-
verselle, les journaux donnèrent connaissance de
cette dépêche de Juarez écrite au général Berrio-
zaba et datée de San Luis de Potosi : « Ami, vive la
pairie, Queretaro a été fris de vive force ce matin,
15 mai, à huit heures. » Quelque temps après, pen-
dant qu'il distribuait les récompenses aux expo-
sants, tandis que le sultan, assis aux côtés de l'im-
pératrice, regardait cette cohue d'Anglais, de
Hongrois, d'Allemands, de Russes, d'Américains,
de Maures accourus à Paris, Napoléon reçut la
nouvelle de l'exécution de Maximilien. On suspen-
dit toutes les fêtes et la cour prit le deuil. Encore
si c'eût été là le seul deuil causé par cette entre-
prise dont l'affaire des bons Jecker fut seule le
prétexte (1). Mais qui dira ce que cette expédition
a coûté à la France d'hommes et d'argent, de sang
et de richesses? Ajoutez qu'elle habitua les troupes
à la guerre de piraterie et de pillage, et qu'elle
contribua à désorganiser une armée qui ne connais-
sait déjà plus qu'à demi la discipline et la patrie.

Ainsi, tout avortait des projets de Bonaparte.
Cette Exposition universelle même, dont il voulait
faire comme une revanche industrielle de la France
sur les victoires récentes de la Prusse, avuiicut.
Somptueuse, gigantesque, elle fut surtout bizarre.
Le grandiose n'est point la grandeur. Ce fut une
sorte de kermesse immense où se coudoyèrent les
nations, un décor d'opéra, tenant du bazar tuni-
sien et du rideck hollandais, je ne sais quoi de
grisant et d'épileptique qui ne ressembla guère à

(l) Quelle destinée ! Les fusillades de la Commune devaient
coucher le banquier, le tripoteur d'affaires, côte à côte avec
ce magistrat voltairien, M. Bonjean,et cet honnête homme,
Gustave Chaudey.
 
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