armi les brusques disparitions qui ont assombri
le commencement de l’année et mis en deuil le
monde artistique, la mort d’Antoine Marmontel
est celle qui a provoqué l’émotion la plus vive
. w et p|us profonqe dans les milieux intellectuels
les plus différents. Non-seulement le professeur regretté avait
formé par son enseignement d’un demi-siècle plusieurs géné-
rations de virtuoses et de compositeurs, mais au double titre
d’annotateur des classiques du piano et de musicographe érudit,
il avait fourni un apport considérable à la bibliothèque musicale
du xixe siècle. Enfin, sa rare intuition esthétique, son goût
éclairé pour toutes les formes de la production, son éclectisme
raisonné l’avaient mis au premier rang des grands collectionneurs,
de ceux qui ne détiennent pas les richesses d’art dans un but
de jouissance égoïste, mais dont la galerie est un musée ouvert
à toutes les admirations éclairées.
Ayant passé la redoutable échéance de quatre-vingts ans,
Marmontel ne comptait plus des années de grâce mais des
années de gloire ; il semblait à tous les habitués de cette maison
de la rue de Calais où il recevait les anciens amis et les
nouveaux venus avec la même affabilité, la même bienveillance
toujours en éveil, que cette belle et vénérable vieillesse fut à
l’abri des atteintes de la mort. Il y eut autant de surprise que
de tristesse dans l’explosion unanime des regrets quand on
apprit tout à coup que le maître venait d’être enlevé par une
courte maladie et qu’on ne reverrait plus, dans ses entours
familiers, cette physionomie à la fois énergique et fine, d’une