L'ËCLIFSfe
A.W I S
Voici le nouveau dessin de Gill, annoncé en tête de notre
dernier numéro.
Un melon ! pourquoi ce melon ?
Ah ! voila ! — Gill a longuement pesé, l'un après l'autre,
dans ses mains trop spirituelles, chacun des sujets d'une
actualité palpitante de cette semaine.
Tous, sans exception, lui ont paru offrir des côtés dange-
reux.
Alors, il s'est dit que faire le portrait, sans retouches,
d'un gros personnage, très en faveur en ce moment, et dans
lequel certes personne ne sera tenté de se reconnaître, était
son unique planche de salut.
Et il a fait un melon. {Cucurbitus melo).
Espérons que les lecteurs ne le trouveront pas trop
avancé.
saveur, tandis que son concierge consomme dans sa loge un me-
lon parfumé, exquis, la fleur, le roi des melons et le melon des
rois.
Telle est la vie ; une contradiction perpétuelle, un choc d'indi-
gence et de gaieté, de fortune et de tristesee. Le melon rend les s annuel n'a rien de folâtre. Oh ! que j'ai faim Oup ^
riches moins orgueilleux; il fait savourer aux pauvres la coupe On ne m'y reprendra plus. Ah ! mais non.
Là SAISON DES MELONS
J'aime le meloD, tooi.
Je suis comme Odry, dans je ne sais plus quelle pièce.
Odry n'aimait pas un monsieur, parce que ce monsieur n'ai-
mait pas le melon, et Odry avait raison.
L'homme qui n'aime pas le melon est peu fait pour compren-
dre les saintes joies du foyer. — Est-il rien de plus doux que de
manger du melon en famille? — Cet homme, en outre, n'a pas
pour une obole de poésie dans l'âme. 11 voit aveo une coupable
indifférence la marche variée des saisons, et son cœur ne se di-
late pas à l'arrivée des cantaloups, qui annonoent l'été et ses
mille splendeurs.
Car le melon qui paraît, c'est l'été qui vient.
Pas d'été, pas de melons. To be or not to be.
Le melon suit les fraises, ces courriers embaumés qui parfu-
ment sa venue ; il précède les pèches, ces reines de nos vergers,
qui s'enveloppent de leur robe de pourpre et de velours.
Le melon, c'est la campagne à domicile pour le Parisien, com-
me l'hirondelle, s'il faut en croire les romances, est la liberté
pour le prisonnier. Oui, Je maintiens mon dire : l'homme qui
n'aime le melon manque de sens poétique.
Il n'admire pas la nature dans uno de ses manifestations les
plus sucrées.
Comment ne pas s'extasier, en effet, à la vue d'un melon brodé,
d'un cantaloup ou d'un melon de Malte, les trois types principaux
Quel chef-d'œuvre que le fruit du melon brodé, ce fruit revêtu
d'une écorce peu épaisse et couverte d'une espèce de réseau gri-
sâtre qui simule une broderie 1
Et le cantaloup, avec ses côtes saillantes, séparées par de pro-
fonds sillons, quel poème!
Sans compter que le cantaloup est divers et ondoyant : il y a
le cantaloup orar-ge, le cantaloup hâtif d'Allemagne, le cantaloup
petit prescott, le cantaloup gros prescott, le cantaloup boule de Siam
(boule de Siam esc joli I), te cantaloup argenté couronne', le canta-
loup gros noir de Hollande, le cantaloup de Portugal, le melon mogol
à chair blanche, le melon mogol à chair verte,,, ouf 1
Le Dictionnaire de la conversation, si utile à M. Timcthée Trltnm,
du Petit Journal, consacre ainsi trois cents lignes au melon, trois
cents lignes qu'il a fait rédiger par M. Jules Saint-Amour, lequel
nous apprend que Cantaloup vient de Cantalupo, nom d'une pro-
priété du pape où l'on cultivait avec succès cette espèce.
Quand je vous dis que tout ce qui touche au melon est poéti-
que 1
Mais revenons à Paris pendant la saison des melons.
Cette rue, si triste hier, la voici tout à coup peuplée, vivante :
peuplée de doux parfums qui grimpent jusqu'aux mansardes,
pour faire rêver aux griséttes le dîner sur l'herbe et la promenade
à Saint-Cloud ; peuplée d'acheteurs qui viennent, a chaque in-
stant, interroger Iss cantaloups, les peser, les sentir, commerce
innocemment fallacieux, où le marchand garantit, la main sur le
cœur, les parfums, le jus et le sucre qui se trouvent enfermés
sous l'écorce de son melon.
Heureuse époque de l'année, où l'homme le plus riche ne craint
pas de venir tirer lui-même à cette loterie si féoor.de en dé-
boires.
Ctiel type que l'homme qui a la prétention de savoir choisir
un melon ! quel nez ! quel galbe !
Frédéric Soulié s'est un jour amusé à le crayonner. Lisez :
« Comme son cœur bat quand Je couteau pénètre dans l'écorce
du melon de son choix 1 11 est sur la sellette, il ne respire plas,
il est melon ou peu s'en faut.
« Beau triomphe, si sa main a été heureuse ! mais si par mal-
heur il a acheté une citrouille ou une coloquinte, alors quelle
amertume ! quel suicide ! quel déchirement d'estomac I »
On a vu des octogénaires mourir d'un cantaloup mal choisi...
et d'une atteinte de goutte.
Les melons peuvent pousser aux réflexions les plus philosophi-
ques.
Un homme riche, mettons un agent de change, — fait souvent
emplette à grand prix d'un melon sans goût, sans bouquet, sans
croyance
de sucre et d'ananas dea riches; il nécessite les dîners en ville
il réconcilie les femmes et les maris : c'est la pomme de la con-
cerde.
Cette pomme de concorde fut cependant convertie un jour en
véritable pomme de discorde. Voioi à quelle occasion ;
Paul Blaquières, le regretté compositeur, on voulait beaucoup
à un de ses confrères en musique.
ES il levait à une charge à son intention.
Or, un jour, Blaquières apprend que son confrère devait avoir
à déjeuner chez lui lo directeur d'un théâtre lyrique, grand ama-
teur du melon.
Blaquières arrête immédiatement son plan : c'était machiavé-
lique,
Il attend la sortie de la ménagère de l'infortuné croquonotes ;
1 la suit jusque chez le fruitier, et là, attend d'un pied ferme.
— Je voudrais avuir un melon, dit la cuisinière ; mais là, tout
ce que vous aurez de meilleur.
— Choïssissez
— Combien '?
— pent sous.
— J'en donne six francs, dit Blaquières avec un sourire mé-
phistophélique.
— Alors, je prends celui-ci.
— J'en donne six francs,
Iique.
— Mais cet autre ?
— J'en donne six francs, hurle encore Blaquières, de plus en
plus saianique.
On fit ainsi huit ou dix marchands de comestibles, la bonne du
compositeur persistant à aoheter son melon et Blaquières suren-
chérissant toujours.
Le soir, il se trouvait à la tête de cinquante-deux cantaloups,
de quoi s'établir fruitier.
Mais le rival abhorré n'avait pas eu de melon à offrir à son
invité !
II est temps de conclure.
— Vous ne savez pas jouer au whist? disait Talleyrand à un
jeune homme, quelle triste vieillesse vous vous préparez !
— Voulez-vous avoir une vieillesse heureuse et pleine d'émo-
tions ? dirons-nous à notre tour ; achetez vos melons vous-même !
Nox
Blaquières, toujours diabo-
THÉÂTRE DE L'ECLÏPSE
LA CARPE ET LE DÉPUTÉ
Comédie en un acte
PERSONNAGES
est devenu le restaurant des remords I N'avoir pa<
cri, un bruit, un coup de couteau à papier! Ri T**8
Mon silence même n'a pas été traité d'éloquent, Je m„ ** ' r'en
rir. Je meurs pour la France, mais l'héroïsme aaJ 7**mDlt"
8 traitemeDt
suis lag
LK8 MÊÎ.IKSi
SCENE II
***l QT7BLQUES ROSEAUX
quelques.roseaux, entre eux.
On a dit que l'homme était un roseau pensant, quelle
Le, député que voici est bien la preuve du contraire.
mjure!
vieat.ii
«ans le
faire ici, cet inutile, sur l'herbe moite, à l'heure pudio
brisn frémit entre nos bras, (Quels bras?) °ù
premier RossAtij avec un souvenir classique.
Ohé, Mid&s ! ohé, Midas !
deuxième roseau, auec un souvenir romantique
Ohé, BottomI ohé, BottomI
LE DÉPUTÉ
Oh oui ! j'ai les oreilles de cet animal dont le Bis sert dai
train des équipages. Que la Sénat avait raison de preacrir
l'immortalité de Vdne ! la
LA HONTE
{Elle plaque une quatrième rougeur vive, etc.)
la cloche, à la cantonnade.
Ding! ding 1 — Le souper des gens est sur table. Us vont man.
ger les morceaux exquis que le maître d'hôtel a laissés, par h "
sard, de côté. Un vin excellent (caveau C, porte-bouteille 8) leureai
versé dans de larges hanaps. 0 bonheur ! — Ding I ding !
LE DÉPUTÉ.
Hélas I — Elus, élus, m'avez-vous abandonné ?
LA FAIM
Imbécile 1... Dévore ta honte (dame, quand on a faim),
la honte, ellemet une pâleur vive,., etc.
LE DÉPULÉ
Non. Je veux mourir ici, sur ce sol que mes ancêtres ont cul-
tivê, sans chercher à briller sur les bancs du Corps législatif
Etaient-ils dans le vrai, mes aïeux 1 ah ! oui, par exemple! {Use
couche,) Adieu, bois, vergers, ciel pavillon de l'homme, admira-
ble nature, Salut, pour la dernière fois. [Il s'endort.)
SCÈNE III
UN DÉPUTÉ, naturellement.
QUELQUES ROSEAUX, de la gauche aans doute.
UNE CARPE, joli cas de longévité extraordinaire.
LA CLOCHE DU CHATEAU, grande utilité.
LA HONTE, personnage muet.
LA FAIM, personnage bavard.
La scène représente le bord d'un étang, au tond d'un noble parc, sous
des ombrages séculaires. La brise du soir s'élève. Le crépuscule nait.
Tout annonce que )a terre harassée demande la clôture.
Au lever du rideau, ou voil le dépnté en question, en- grand uniforme,
mais souillé de poussière, assis sur lo gazon. It se tient la lôte dans
les mains. A côté de lui reposent un bâton de voyage et un paquet mal
noué qui laisse sortir des brochures jaunes et b\eues, par douzaines.
SCÈNE PREMIÈRE
la. cloche, sonnant dans le lointain.
Ding, ding, ding... Madame est servie, Les domestiques on
mis leurs gants. La soupe (oh ! pardon !) le potage fume sur la
table. Une odeur exquise emplit l'office. Le rôti a pris toute sa
couleur. On va lui percer le flanc, ran tan plan, tire lire, ding,
ding, ding I
la faim. {Elle chatouiller estomac du député.)
Tout ça c'est très-joli, mais il faut secouer cela. Allons, du cou-
rage, Allons dîner.
LA HONTE.
{Elle plaque une rougeur vive sur le front du député )
LE DÉPUTÉ
Non ! — La Chambre a fermé ses portes, et me voilà à celles de
mon château, et je n'ose rentrer.
— « Parle ! ne fut-ce qu'une fois, a dit ma femme, mais parle :
que ton nom soit inscrit au Moniteur.
Et j'ai attendu la dernière année, le dernier mois, la dernière
semaine, le dernier jour, la dernière heure, la dernière minute...
et je n'ai rien dit, rien, pas même : 6c» .' {à là droite.)
la honte, elle plaque une seconde rougeur vive, etc.
LA FAIM
Allons donc, grand lâche! Trois jours sans manger! Revenir à
pied, la nuit. Entrer par la petite porte du parc. Et n'oser affron-
ter le reeard d'une faible femme.
LES MEMES — UNE CARPE
La carpe sort la tête de l'eau mystérieusement. Elle tient au bec une
couronne de glaïeuls et de nénuphars. D'ua saut, elle est sur lo rivage.
D'un second faut, elle vient se plantera la hauteur du crâne du députe.
Elle dépose la couronne qu'elle porte sur le sinciput dénudé de l'homme
d'Etal,'et murmure (oui, elle murmure) :
Moi, cas de longévité extraordinaire, carpe de deux cents ans,
je la décerne, cette fraîche couronne, au nom des poissons de cet
étang, tes esclaves respectueux,
Reçois, jeune élève de la majorité, ce prix du silence parfait.
Le mutisme inintelligent trouve toujours sa récompense.
Dors, ô mon maître, et que tes songes soient aussi légers que.,,
les rapports établis depuis peu entre ta femme et un gentleman
des environs.
(Elle dit,$t baillant quatre fois, retourne à sauts comptés dans l'onde
qui Vaccueille avec calme,
LES ROSEAUX
A demain, le soleil et la lumière!
(La toile tombe,)
Ernest d'Hsrvllt,
UNE CURIEUSE VENTE
On annonce, en effet, pour un temps prochain, non pour l'année
prochaine, une vente singulière, et que je crois unique dans son
genre. C'est celle d'une collection de cachets anciens et modernes
ornés de devises.
Le hasard m'a précisément fait conserver dans mes tiroirs un
certain nombre de lettres de confrères plus ou moins illustres.
L'annonce de cette vente m'a donné l'idée de relever sur les
enveloppes, celles des devises qui se sont conservées intactes, et
c'est le résultat de cette recherche que je consigne plus bas,
Ab Jove principium. Victor Hugo a pour devise trois mots qui
indiquent à eux seuls sa manière da travailler
FAIRE ET REFAIRE.
Lamartine, mystique ;
SPIRA SPERA
Dumas, qui le croirait? a pour devise cet aphorisme emprein
du plus profond septicÏBme :
O TOUT LASSE, TOUT PASSE, TCUT CASSE.»
Et cependant qui moins que ce travailleur infatigable devrait
dire :a Tout tasse?»Qui moins que l'écrivain illustre depuis bien-
tôt près d'un demi-aiècle peut dire :« tout passe?» Qui moins que
ce jeune et vigoureux vieillard peut s'apercevoir que«(oui casse.»
«RAISON M OBLIGE. »
LE DEPUTE
Pas un mot ! Etre resté muet pendant cinq ans ! cinq ! Oh ! oh 1
oh ! (Il verse quelques pleurs amers.)
la honte, elle plaque une troisième rougeur vive, etc.
LE DÉPUTÉ
Oh I La Honte. Les remords ! Comme je les nourris ! Mon cœur
Ecrivait Balzac. Il eût bien mieux fait, le pauvre
qui poursuivit par un labeur de géant la fortune sans
de dire avec Frédéric Soulié :
« S'AGITER SANS AVANCER. »
Charles Nodier disait aussi :
a RAISON LE VEUT. »
La devise d'Alphonse Karr est bîen amère et bien juste :
« JE NE CRAINS QUE CEUX QUE j'aIME. »
Non moins fîôre est celle de Souvestre :
espoir ni crainte
mime,
atteindre
ro
<#!"
,,,10»
. •>» «
r,i0>^
W*<*
lai»»
Ida"
'«il
A.W I S
Voici le nouveau dessin de Gill, annoncé en tête de notre
dernier numéro.
Un melon ! pourquoi ce melon ?
Ah ! voila ! — Gill a longuement pesé, l'un après l'autre,
dans ses mains trop spirituelles, chacun des sujets d'une
actualité palpitante de cette semaine.
Tous, sans exception, lui ont paru offrir des côtés dange-
reux.
Alors, il s'est dit que faire le portrait, sans retouches,
d'un gros personnage, très en faveur en ce moment, et dans
lequel certes personne ne sera tenté de se reconnaître, était
son unique planche de salut.
Et il a fait un melon. {Cucurbitus melo).
Espérons que les lecteurs ne le trouveront pas trop
avancé.
saveur, tandis que son concierge consomme dans sa loge un me-
lon parfumé, exquis, la fleur, le roi des melons et le melon des
rois.
Telle est la vie ; une contradiction perpétuelle, un choc d'indi-
gence et de gaieté, de fortune et de tristesee. Le melon rend les s annuel n'a rien de folâtre. Oh ! que j'ai faim Oup ^
riches moins orgueilleux; il fait savourer aux pauvres la coupe On ne m'y reprendra plus. Ah ! mais non.
Là SAISON DES MELONS
J'aime le meloD, tooi.
Je suis comme Odry, dans je ne sais plus quelle pièce.
Odry n'aimait pas un monsieur, parce que ce monsieur n'ai-
mait pas le melon, et Odry avait raison.
L'homme qui n'aime pas le melon est peu fait pour compren-
dre les saintes joies du foyer. — Est-il rien de plus doux que de
manger du melon en famille? — Cet homme, en outre, n'a pas
pour une obole de poésie dans l'âme. 11 voit aveo une coupable
indifférence la marche variée des saisons, et son cœur ne se di-
late pas à l'arrivée des cantaloups, qui annonoent l'été et ses
mille splendeurs.
Car le melon qui paraît, c'est l'été qui vient.
Pas d'été, pas de melons. To be or not to be.
Le melon suit les fraises, ces courriers embaumés qui parfu-
ment sa venue ; il précède les pèches, ces reines de nos vergers,
qui s'enveloppent de leur robe de pourpre et de velours.
Le melon, c'est la campagne à domicile pour le Parisien, com-
me l'hirondelle, s'il faut en croire les romances, est la liberté
pour le prisonnier. Oui, Je maintiens mon dire : l'homme qui
n'aime le melon manque de sens poétique.
Il n'admire pas la nature dans uno de ses manifestations les
plus sucrées.
Comment ne pas s'extasier, en effet, à la vue d'un melon brodé,
d'un cantaloup ou d'un melon de Malte, les trois types principaux
Quel chef-d'œuvre que le fruit du melon brodé, ce fruit revêtu
d'une écorce peu épaisse et couverte d'une espèce de réseau gri-
sâtre qui simule une broderie 1
Et le cantaloup, avec ses côtes saillantes, séparées par de pro-
fonds sillons, quel poème!
Sans compter que le cantaloup est divers et ondoyant : il y a
le cantaloup orar-ge, le cantaloup hâtif d'Allemagne, le cantaloup
petit prescott, le cantaloup gros prescott, le cantaloup boule de Siam
(boule de Siam esc joli I), te cantaloup argenté couronne', le canta-
loup gros noir de Hollande, le cantaloup de Portugal, le melon mogol
à chair blanche, le melon mogol à chair verte,,, ouf 1
Le Dictionnaire de la conversation, si utile à M. Timcthée Trltnm,
du Petit Journal, consacre ainsi trois cents lignes au melon, trois
cents lignes qu'il a fait rédiger par M. Jules Saint-Amour, lequel
nous apprend que Cantaloup vient de Cantalupo, nom d'une pro-
priété du pape où l'on cultivait avec succès cette espèce.
Quand je vous dis que tout ce qui touche au melon est poéti-
que 1
Mais revenons à Paris pendant la saison des melons.
Cette rue, si triste hier, la voici tout à coup peuplée, vivante :
peuplée de doux parfums qui grimpent jusqu'aux mansardes,
pour faire rêver aux griséttes le dîner sur l'herbe et la promenade
à Saint-Cloud ; peuplée d'acheteurs qui viennent, a chaque in-
stant, interroger Iss cantaloups, les peser, les sentir, commerce
innocemment fallacieux, où le marchand garantit, la main sur le
cœur, les parfums, le jus et le sucre qui se trouvent enfermés
sous l'écorce de son melon.
Heureuse époque de l'année, où l'homme le plus riche ne craint
pas de venir tirer lui-même à cette loterie si féoor.de en dé-
boires.
Ctiel type que l'homme qui a la prétention de savoir choisir
un melon ! quel nez ! quel galbe !
Frédéric Soulié s'est un jour amusé à le crayonner. Lisez :
« Comme son cœur bat quand Je couteau pénètre dans l'écorce
du melon de son choix 1 11 est sur la sellette, il ne respire plas,
il est melon ou peu s'en faut.
« Beau triomphe, si sa main a été heureuse ! mais si par mal-
heur il a acheté une citrouille ou une coloquinte, alors quelle
amertume ! quel suicide ! quel déchirement d'estomac I »
On a vu des octogénaires mourir d'un cantaloup mal choisi...
et d'une atteinte de goutte.
Les melons peuvent pousser aux réflexions les plus philosophi-
ques.
Un homme riche, mettons un agent de change, — fait souvent
emplette à grand prix d'un melon sans goût, sans bouquet, sans
croyance
de sucre et d'ananas dea riches; il nécessite les dîners en ville
il réconcilie les femmes et les maris : c'est la pomme de la con-
cerde.
Cette pomme de concorde fut cependant convertie un jour en
véritable pomme de discorde. Voioi à quelle occasion ;
Paul Blaquières, le regretté compositeur, on voulait beaucoup
à un de ses confrères en musique.
ES il levait à une charge à son intention.
Or, un jour, Blaquières apprend que son confrère devait avoir
à déjeuner chez lui lo directeur d'un théâtre lyrique, grand ama-
teur du melon.
Blaquières arrête immédiatement son plan : c'était machiavé-
lique,
Il attend la sortie de la ménagère de l'infortuné croquonotes ;
1 la suit jusque chez le fruitier, et là, attend d'un pied ferme.
— Je voudrais avuir un melon, dit la cuisinière ; mais là, tout
ce que vous aurez de meilleur.
— Choïssissez
— Combien '?
— pent sous.
— J'en donne six francs, dit Blaquières avec un sourire mé-
phistophélique.
— Alors, je prends celui-ci.
— J'en donne six francs,
Iique.
— Mais cet autre ?
— J'en donne six francs, hurle encore Blaquières, de plus en
plus saianique.
On fit ainsi huit ou dix marchands de comestibles, la bonne du
compositeur persistant à aoheter son melon et Blaquières suren-
chérissant toujours.
Le soir, il se trouvait à la tête de cinquante-deux cantaloups,
de quoi s'établir fruitier.
Mais le rival abhorré n'avait pas eu de melon à offrir à son
invité !
II est temps de conclure.
— Vous ne savez pas jouer au whist? disait Talleyrand à un
jeune homme, quelle triste vieillesse vous vous préparez !
— Voulez-vous avoir une vieillesse heureuse et pleine d'émo-
tions ? dirons-nous à notre tour ; achetez vos melons vous-même !
Nox
Blaquières, toujours diabo-
THÉÂTRE DE L'ECLÏPSE
LA CARPE ET LE DÉPUTÉ
Comédie en un acte
PERSONNAGES
est devenu le restaurant des remords I N'avoir pa<
cri, un bruit, un coup de couteau à papier! Ri T**8
Mon silence même n'a pas été traité d'éloquent, Je m„ ** ' r'en
rir. Je meurs pour la France, mais l'héroïsme aaJ 7**mDlt"
8 traitemeDt
suis lag
LK8 MÊÎ.IKSi
SCENE II
***l QT7BLQUES ROSEAUX
quelques.roseaux, entre eux.
On a dit que l'homme était un roseau pensant, quelle
Le, député que voici est bien la preuve du contraire.
mjure!
vieat.ii
«ans le
faire ici, cet inutile, sur l'herbe moite, à l'heure pudio
brisn frémit entre nos bras, (Quels bras?) °ù
premier RossAtij avec un souvenir classique.
Ohé, Mid&s ! ohé, Midas !
deuxième roseau, auec un souvenir romantique
Ohé, BottomI ohé, BottomI
LE DÉPUTÉ
Oh oui ! j'ai les oreilles de cet animal dont le Bis sert dai
train des équipages. Que la Sénat avait raison de preacrir
l'immortalité de Vdne ! la
LA HONTE
{Elle plaque une quatrième rougeur vive, etc.)
la cloche, à la cantonnade.
Ding! ding 1 — Le souper des gens est sur table. Us vont man.
ger les morceaux exquis que le maître d'hôtel a laissés, par h "
sard, de côté. Un vin excellent (caveau C, porte-bouteille 8) leureai
versé dans de larges hanaps. 0 bonheur ! — Ding I ding !
LE DÉPUTÉ.
Hélas I — Elus, élus, m'avez-vous abandonné ?
LA FAIM
Imbécile 1... Dévore ta honte (dame, quand on a faim),
la honte, ellemet une pâleur vive,., etc.
LE DÉPULÉ
Non. Je veux mourir ici, sur ce sol que mes ancêtres ont cul-
tivê, sans chercher à briller sur les bancs du Corps législatif
Etaient-ils dans le vrai, mes aïeux 1 ah ! oui, par exemple! {Use
couche,) Adieu, bois, vergers, ciel pavillon de l'homme, admira-
ble nature, Salut, pour la dernière fois. [Il s'endort.)
SCÈNE III
UN DÉPUTÉ, naturellement.
QUELQUES ROSEAUX, de la gauche aans doute.
UNE CARPE, joli cas de longévité extraordinaire.
LA CLOCHE DU CHATEAU, grande utilité.
LA HONTE, personnage muet.
LA FAIM, personnage bavard.
La scène représente le bord d'un étang, au tond d'un noble parc, sous
des ombrages séculaires. La brise du soir s'élève. Le crépuscule nait.
Tout annonce que )a terre harassée demande la clôture.
Au lever du rideau, ou voil le dépnté en question, en- grand uniforme,
mais souillé de poussière, assis sur lo gazon. It se tient la lôte dans
les mains. A côté de lui reposent un bâton de voyage et un paquet mal
noué qui laisse sortir des brochures jaunes et b\eues, par douzaines.
SCÈNE PREMIÈRE
la. cloche, sonnant dans le lointain.
Ding, ding, ding... Madame est servie, Les domestiques on
mis leurs gants. La soupe (oh ! pardon !) le potage fume sur la
table. Une odeur exquise emplit l'office. Le rôti a pris toute sa
couleur. On va lui percer le flanc, ran tan plan, tire lire, ding,
ding, ding I
la faim. {Elle chatouiller estomac du député.)
Tout ça c'est très-joli, mais il faut secouer cela. Allons, du cou-
rage, Allons dîner.
LA HONTE.
{Elle plaque une rougeur vive sur le front du député )
LE DÉPUTÉ
Non ! — La Chambre a fermé ses portes, et me voilà à celles de
mon château, et je n'ose rentrer.
— « Parle ! ne fut-ce qu'une fois, a dit ma femme, mais parle :
que ton nom soit inscrit au Moniteur.
Et j'ai attendu la dernière année, le dernier mois, la dernière
semaine, le dernier jour, la dernière heure, la dernière minute...
et je n'ai rien dit, rien, pas même : 6c» .' {à là droite.)
la honte, elle plaque une seconde rougeur vive, etc.
LA FAIM
Allons donc, grand lâche! Trois jours sans manger! Revenir à
pied, la nuit. Entrer par la petite porte du parc. Et n'oser affron-
ter le reeard d'une faible femme.
LES MEMES — UNE CARPE
La carpe sort la tête de l'eau mystérieusement. Elle tient au bec une
couronne de glaïeuls et de nénuphars. D'ua saut, elle est sur lo rivage.
D'un second faut, elle vient se plantera la hauteur du crâne du députe.
Elle dépose la couronne qu'elle porte sur le sinciput dénudé de l'homme
d'Etal,'et murmure (oui, elle murmure) :
Moi, cas de longévité extraordinaire, carpe de deux cents ans,
je la décerne, cette fraîche couronne, au nom des poissons de cet
étang, tes esclaves respectueux,
Reçois, jeune élève de la majorité, ce prix du silence parfait.
Le mutisme inintelligent trouve toujours sa récompense.
Dors, ô mon maître, et que tes songes soient aussi légers que.,,
les rapports établis depuis peu entre ta femme et un gentleman
des environs.
(Elle dit,$t baillant quatre fois, retourne à sauts comptés dans l'onde
qui Vaccueille avec calme,
LES ROSEAUX
A demain, le soleil et la lumière!
(La toile tombe,)
Ernest d'Hsrvllt,
UNE CURIEUSE VENTE
On annonce, en effet, pour un temps prochain, non pour l'année
prochaine, une vente singulière, et que je crois unique dans son
genre. C'est celle d'une collection de cachets anciens et modernes
ornés de devises.
Le hasard m'a précisément fait conserver dans mes tiroirs un
certain nombre de lettres de confrères plus ou moins illustres.
L'annonce de cette vente m'a donné l'idée de relever sur les
enveloppes, celles des devises qui se sont conservées intactes, et
c'est le résultat de cette recherche que je consigne plus bas,
Ab Jove principium. Victor Hugo a pour devise trois mots qui
indiquent à eux seuls sa manière da travailler
FAIRE ET REFAIRE.
Lamartine, mystique ;
SPIRA SPERA
Dumas, qui le croirait? a pour devise cet aphorisme emprein
du plus profond septicÏBme :
O TOUT LASSE, TOUT PASSE, TCUT CASSE.»
Et cependant qui moins que ce travailleur infatigable devrait
dire :a Tout tasse?»Qui moins que l'écrivain illustre depuis bien-
tôt près d'un demi-aiècle peut dire :« tout passe?» Qui moins que
ce jeune et vigoureux vieillard peut s'apercevoir que«(oui casse.»
«RAISON M OBLIGE. »
LE DEPUTE
Pas un mot ! Etre resté muet pendant cinq ans ! cinq ! Oh ! oh 1
oh ! (Il verse quelques pleurs amers.)
la honte, elle plaque une troisième rougeur vive, etc.
LE DÉPUTÉ
Oh I La Honte. Les remords ! Comme je les nourris ! Mon cœur
Ecrivait Balzac. Il eût bien mieux fait, le pauvre
qui poursuivit par un labeur de géant la fortune sans
de dire avec Frédéric Soulié :
« S'AGITER SANS AVANCER. »
Charles Nodier disait aussi :
a RAISON LE VEUT. »
La devise d'Alphonse Karr est bîen amère et bien juste :
« JE NE CRAINS QUE CEUX QUE j'aIME. »
Non moins fîôre est celle de Souvestre :
espoir ni crainte
mime,
atteindre
ro
<#!"
,,,10»
. •>» «
r,i0>^
W*<*
lai»»
Ida"
'«il