SUPPLÉMENT DE L'ECLIPSE.
VOYAGE AUTOUR DE LA CHAMBRE
l'effet des méditations prolongées? mais il est à
remarquer que les mains de papier posées sur le
tapis "vert sont généralement couvertes des traits
de plume les plus élégants. 11 semblerait que' rien
comme le séjour des commissions ne développe le
sentiment exquis du dessin. (Voir page 3.)
A propos de peinture, poussons la porte du sa-
lon affecté au 12° bureau. Il y a là un petit sou-
venir intéressant de l'occupation prussienne. La
main d'un ennemi rageur a troué, justement à la
hauteur'de la tète du vainqueur, le tableau de la
bataille de Lutzen, par M. Beanme.
J'espère que ce témoignage de mesquinerie, venu
de haut,— c'est l'état-major impérial qui habitait
le palais, — sera précieusement conservé.
Des bureaux, un joli escalier de pierre conduit
au foyer du théâtre, ancien foyer des spectateurs,
devenu foyer des acteurs.
Au fond, une immense cheminée, au pied de
laquelle quelques députés, qui continuent d'allonger
les jambes — par habitude — ont l'air de Lillipu-
tiens.
Par les portières relevées de l'entrée, l'œil
plonge sur cette adorable salle, inaugurée en mai
1770 pour le mariage de Louis XVI. C'est là que,
dix-neuf ans après, sur un plancher analogue
sans doute â celui qui couvre actuellement les bai-
gnoires et le parterre, les gardes du corps se réu-
nissaient dans ce banquet fameux... Mais nous
sommes là pour regarder et non pour nous sou-
venir.
Au fond de la salle, l'œil s'arrête d'abord natu-
rellement sur
Ce meuble et le bureau du président qui le sur-
monte tranchent par leur aspect « sérieux » avec
la fragilité manifeste de tout ce qui les environne.
C'est massif, c'est carré, c'est solide, taillé en
plein cœur d'acajou, avec des applications où le
bronze n'a pas été ménagé.
Saluons. Ce sont deux vétérans de nos luttes
parlementaires.
S'ils n'ont pas l'air plus gai, si on les entend
gémir quelquefois, c'est peut-être qu'ils ont la nos-
talgie du palais Bourbon, d'où on les a extraits
pour l'embellissement de la salle actuelle.
Ils y ont apporté ce double cachet de gravité
qu'ils doivent à leur construction puissante aussi
bien qu'à leur grand âge.
La tribune, faite pour résister aux coups de
poing et supporter en se jouant le flot des tem-
Les sténographes.
pètes parlementaires, date du règne de Louis-
Philippe.
C'est assez dire tout ce que ce respectable mo-
nument a entendu.
Ah ! s'il voulait causer !
Quant au bureau du président, il peut, à tous
les titres, lui jeter l'interpellation de Job à Magnus :
— Jeune homme, taisez-vous !
Car c'est le propre bureau du conseil des Cinq-
Cents dans leur salle de Saint-Cloud.
UK<7
La loge des secrétaires.
Comme si la griffe fatale du destin y voulait
marquer encore le détestable souvenir de bru-
maire, un aigle, aux ailes déployées, se voit sur la
lourde sonnette d'acier, — que dis-ie, sonnette? —
sur la cloche à déjeuner qui y est scellée.-
Au-dessous de l'aigle, on Ut :
Hommage à M. le président de l'Assemblée légis-
lative, par Fichet.
Si Huret le savait :
Connaissez-vous ces bouées ingénieuses qui por-
tent une cloche dans leur armature de fer ? Tant
que la mer est calme, la cloche se tait, mais que la
tempête se déchaîne, et la cloche bondit et caril-
lonne.
La cloche présidentielle me rappelle toujours
ces bouées à sonnerie.
Au pied de la tribune, à droite et à gauche,
deux planchettes à hauteur d'appui, avec un ca-
dran à secondes au-dessus. C'est le poste de mes-
sieurs
Les sténographes.
Ceux qui se tiennent debout, la plume à la main,
au côté gauche de l'orateur, sont les rondeurs,
ainsi nommés du roulement continu qu'ils opèrent
en se succédant de deux en deux minutes.
Sur un mouvement de son collègue, prêt depuis
un moment à le remplacer, le sténographe à l'œu-
vre se repousse pour lui céder la place. La feuille
chargée d'hiéroglyphes sténographiques est aussi-
tôt traduite par lui dans une salle ad hoc ménagée
dans les coulisses (côté cour.)
C'est là qu'iront le relancer les députés dési-
reux d'adoucir les angles d'une phrase trop vive ou
de voir figurer au compte rendu les interruptions
qu'ils ont pu jeter, d'une voix plus ou moins sûre,
à travers la discussion.
— Avez-vous pris'note de mon interruption? ré-
clame un député qui tient à sa prose. Quand
M. Thiers a dit : etc., je me suis écrié : « Ah ! bah ! »
C'est très-important. Il ne faudrait pas l'oublier.
Un autre rectifie :
— Vous avez consigné seulement les deux mots :
« Prenez garde !» J'ai dit : « Prenez garde ! c'est en
refusant l'appui d'un parti, qu'à tort ou à raison le
pays, dans un rare aveuglement... etc. »
Vingt lignes comme cela !
— Mais, fait son interlocuteur effaré. C'est tout
un discours dans l'autre !
Le sténographe qui a sa place marquée du côté
opposé, c'est-à-dire à la droite de l'orateur, est ce
qu'on appelle le réviseur.
Il reste un quart d'heure à son poste et fait un
travail d'ensemble qui sert à remettre Tordre dans
les notes plus complètes, mais moins uniformes des
rouleurs.
Le réviseur a encore une spécialité : celle, étant
au-dessous du verre d'eau, de le recevoir sur la
tête dans les séances orageuses, quand un orateur
trop bouillant occupe la tribune.
Déjà les loges s'emplissent. La première au com-
plet sera certainement
La loge de messieurs les secrétaires,
toute bourrée d'élégantes curieuses. Je ne sais pas
plus âpres que les femmes à solliciter des billets,
pour les plus fastidieuses discussions. Il est vrai
que les discussions en elles-mêmes leur importent
si peu !
Tout ce qu'elles souhaitent, c'est de pouvoir ra-
conter le lendemain :
— J'étais à la Chambre hier, au moment du ta-
page, X a parlé. Il se met bien mal. Je ne lui
croyais pas le nez si long.
Scruter du fond de leur lorgnette les puissants
du jour, se faire montrer les violents, telle est l'oc-
cupation très-occupante de nos jolies femmes à la
Chambre.
Avertissons-les obligeamment qu'elles ne sau-
raient trop se mettre en garde contre ces prétendus
plans de l'Assemblée qui donnent les noms des
députés en même temps que leur place.
MM. les députés, très-remuants pour la plupart,
occupent plus souvent la place d'un collègue que
la leur. De là des méprises sans fin pour le naïf, qui,
suivant son plan du doigt, s'écrie après un quart
d'heure de recherches :
— Tiens,' ce petit fluet, c'est Batbie.
Ou bien :
La loge des anciens députés.
— Ce gros brun, là-bas, avec toute sa barbe
c'est Changarnier.
La loge des anciens députés.
Tous grincheux quoique souriants. Un air à part.
L'air du monsieur qui assiste comme invité au ma-
riage de la demoiselle qu'il comptait épouser.
Ne leur demandez pas si les affaires vont bien.
— Des affaires auxquelles ils ne président pas !-
Si tel projet de loi est heureux?
— Un projet de loi qu'ils n'ont pas déposé!
Si tel impôt doit être productif?
— Un impôt qu'ils n'ont pas voté!
Mais les électeurs n'auront que ce qu'ils mé-
ritent.
— Des électeurs qui ne les nomment pas 1
Ce qui se dépense dans cette tribune, pendant
une séance, de clignements d'yeux, de hochements
de tète, de haussements d'épaules, de gestes de pro-
fonde pitié est incalculable.
Ah ! on n'accusera pas ces messieurs de cacher
leur façon de penser!
La loge diplomatique.
La loge des journalistes.
Mais il serait peut-être plus adroit de la dissi-
muler davantage.
La loge diplomatique,
vulgairement le grand collecteur. C'est là que le
garçons de service empilent, concurremment avec
les représentants des différentes puissances, les
retardataires, les habitués de la maison, ceux dont
la place est prise, ceux qui n'en ont pas, etc., etc.
Le résultat, qui ne manque pas de gaité, est de
faire prendre M. Prudhomme pour un diplomate,
et de placer à côté de lord Lyons un vitrier qui lui
demande après chaque discours :
VOYAGE AUTOUR DE LA CHAMBRE
l'effet des méditations prolongées? mais il est à
remarquer que les mains de papier posées sur le
tapis "vert sont généralement couvertes des traits
de plume les plus élégants. 11 semblerait que' rien
comme le séjour des commissions ne développe le
sentiment exquis du dessin. (Voir page 3.)
A propos de peinture, poussons la porte du sa-
lon affecté au 12° bureau. Il y a là un petit sou-
venir intéressant de l'occupation prussienne. La
main d'un ennemi rageur a troué, justement à la
hauteur'de la tète du vainqueur, le tableau de la
bataille de Lutzen, par M. Beanme.
J'espère que ce témoignage de mesquinerie, venu
de haut,— c'est l'état-major impérial qui habitait
le palais, — sera précieusement conservé.
Des bureaux, un joli escalier de pierre conduit
au foyer du théâtre, ancien foyer des spectateurs,
devenu foyer des acteurs.
Au fond, une immense cheminée, au pied de
laquelle quelques députés, qui continuent d'allonger
les jambes — par habitude — ont l'air de Lillipu-
tiens.
Par les portières relevées de l'entrée, l'œil
plonge sur cette adorable salle, inaugurée en mai
1770 pour le mariage de Louis XVI. C'est là que,
dix-neuf ans après, sur un plancher analogue
sans doute â celui qui couvre actuellement les bai-
gnoires et le parterre, les gardes du corps se réu-
nissaient dans ce banquet fameux... Mais nous
sommes là pour regarder et non pour nous sou-
venir.
Au fond de la salle, l'œil s'arrête d'abord natu-
rellement sur
Ce meuble et le bureau du président qui le sur-
monte tranchent par leur aspect « sérieux » avec
la fragilité manifeste de tout ce qui les environne.
C'est massif, c'est carré, c'est solide, taillé en
plein cœur d'acajou, avec des applications où le
bronze n'a pas été ménagé.
Saluons. Ce sont deux vétérans de nos luttes
parlementaires.
S'ils n'ont pas l'air plus gai, si on les entend
gémir quelquefois, c'est peut-être qu'ils ont la nos-
talgie du palais Bourbon, d'où on les a extraits
pour l'embellissement de la salle actuelle.
Ils y ont apporté ce double cachet de gravité
qu'ils doivent à leur construction puissante aussi
bien qu'à leur grand âge.
La tribune, faite pour résister aux coups de
poing et supporter en se jouant le flot des tem-
Les sténographes.
pètes parlementaires, date du règne de Louis-
Philippe.
C'est assez dire tout ce que ce respectable mo-
nument a entendu.
Ah ! s'il voulait causer !
Quant au bureau du président, il peut, à tous
les titres, lui jeter l'interpellation de Job à Magnus :
— Jeune homme, taisez-vous !
Car c'est le propre bureau du conseil des Cinq-
Cents dans leur salle de Saint-Cloud.
UK<7
La loge des secrétaires.
Comme si la griffe fatale du destin y voulait
marquer encore le détestable souvenir de bru-
maire, un aigle, aux ailes déployées, se voit sur la
lourde sonnette d'acier, — que dis-ie, sonnette? —
sur la cloche à déjeuner qui y est scellée.-
Au-dessous de l'aigle, on Ut :
Hommage à M. le président de l'Assemblée légis-
lative, par Fichet.
Si Huret le savait :
Connaissez-vous ces bouées ingénieuses qui por-
tent une cloche dans leur armature de fer ? Tant
que la mer est calme, la cloche se tait, mais que la
tempête se déchaîne, et la cloche bondit et caril-
lonne.
La cloche présidentielle me rappelle toujours
ces bouées à sonnerie.
Au pied de la tribune, à droite et à gauche,
deux planchettes à hauteur d'appui, avec un ca-
dran à secondes au-dessus. C'est le poste de mes-
sieurs
Les sténographes.
Ceux qui se tiennent debout, la plume à la main,
au côté gauche de l'orateur, sont les rondeurs,
ainsi nommés du roulement continu qu'ils opèrent
en se succédant de deux en deux minutes.
Sur un mouvement de son collègue, prêt depuis
un moment à le remplacer, le sténographe à l'œu-
vre se repousse pour lui céder la place. La feuille
chargée d'hiéroglyphes sténographiques est aussi-
tôt traduite par lui dans une salle ad hoc ménagée
dans les coulisses (côté cour.)
C'est là qu'iront le relancer les députés dési-
reux d'adoucir les angles d'une phrase trop vive ou
de voir figurer au compte rendu les interruptions
qu'ils ont pu jeter, d'une voix plus ou moins sûre,
à travers la discussion.
— Avez-vous pris'note de mon interruption? ré-
clame un député qui tient à sa prose. Quand
M. Thiers a dit : etc., je me suis écrié : « Ah ! bah ! »
C'est très-important. Il ne faudrait pas l'oublier.
Un autre rectifie :
— Vous avez consigné seulement les deux mots :
« Prenez garde !» J'ai dit : « Prenez garde ! c'est en
refusant l'appui d'un parti, qu'à tort ou à raison le
pays, dans un rare aveuglement... etc. »
Vingt lignes comme cela !
— Mais, fait son interlocuteur effaré. C'est tout
un discours dans l'autre !
Le sténographe qui a sa place marquée du côté
opposé, c'est-à-dire à la droite de l'orateur, est ce
qu'on appelle le réviseur.
Il reste un quart d'heure à son poste et fait un
travail d'ensemble qui sert à remettre Tordre dans
les notes plus complètes, mais moins uniformes des
rouleurs.
Le réviseur a encore une spécialité : celle, étant
au-dessous du verre d'eau, de le recevoir sur la
tête dans les séances orageuses, quand un orateur
trop bouillant occupe la tribune.
Déjà les loges s'emplissent. La première au com-
plet sera certainement
La loge de messieurs les secrétaires,
toute bourrée d'élégantes curieuses. Je ne sais pas
plus âpres que les femmes à solliciter des billets,
pour les plus fastidieuses discussions. Il est vrai
que les discussions en elles-mêmes leur importent
si peu !
Tout ce qu'elles souhaitent, c'est de pouvoir ra-
conter le lendemain :
— J'étais à la Chambre hier, au moment du ta-
page, X a parlé. Il se met bien mal. Je ne lui
croyais pas le nez si long.
Scruter du fond de leur lorgnette les puissants
du jour, se faire montrer les violents, telle est l'oc-
cupation très-occupante de nos jolies femmes à la
Chambre.
Avertissons-les obligeamment qu'elles ne sau-
raient trop se mettre en garde contre ces prétendus
plans de l'Assemblée qui donnent les noms des
députés en même temps que leur place.
MM. les députés, très-remuants pour la plupart,
occupent plus souvent la place d'un collègue que
la leur. De là des méprises sans fin pour le naïf, qui,
suivant son plan du doigt, s'écrie après un quart
d'heure de recherches :
— Tiens,' ce petit fluet, c'est Batbie.
Ou bien :
La loge des anciens députés.
— Ce gros brun, là-bas, avec toute sa barbe
c'est Changarnier.
La loge des anciens députés.
Tous grincheux quoique souriants. Un air à part.
L'air du monsieur qui assiste comme invité au ma-
riage de la demoiselle qu'il comptait épouser.
Ne leur demandez pas si les affaires vont bien.
— Des affaires auxquelles ils ne président pas !-
Si tel projet de loi est heureux?
— Un projet de loi qu'ils n'ont pas déposé!
Si tel impôt doit être productif?
— Un impôt qu'ils n'ont pas voté!
Mais les électeurs n'auront que ce qu'ils mé-
ritent.
— Des électeurs qui ne les nomment pas 1
Ce qui se dépense dans cette tribune, pendant
une séance, de clignements d'yeux, de hochements
de tète, de haussements d'épaules, de gestes de pro-
fonde pitié est incalculable.
Ah ! on n'accusera pas ces messieurs de cacher
leur façon de penser!
La loge diplomatique.
La loge des journalistes.
Mais il serait peut-être plus adroit de la dissi-
muler davantage.
La loge diplomatique,
vulgairement le grand collecteur. C'est là que le
garçons de service empilent, concurremment avec
les représentants des différentes puissances, les
retardataires, les habitués de la maison, ceux dont
la place est prise, ceux qui n'en ont pas, etc., etc.
Le résultat, qui ne manque pas de gaité, est de
faire prendre M. Prudhomme pour un diplomate,
et de placer à côté de lord Lyons un vitrier qui lui
demande après chaque discours :
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Voyage autour de la chambre
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré
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Inschrift/Wasserzeichen
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Kommentar
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L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré, 5.1872, Supplement zu Nr. 197, S. 155_7
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CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg