L'ÉCLIPSÉ
PRIMES DE L'ÉCLIPSÉ
LA REVANCHE
L'idée qui fait bouillonner les cerveaux, l'espoir qui fait
bondir les cœurs ont pris — sinon un corps — un buste!...
La Revanche vit désormais — dans le marbre et le stuc,
— celui-ci popularisant celui-là !
Un artiste a pétri pour nous cette image de nos rêves.
~L'Édipse offre à ses abonnés la statuette de la Revanche.
Chacun voudra avoir cette figure sous les yeux.
La statuette de la Revanche, avec son piédestal, prise dans
nos bureaux : 6 francs ; emballée avec soin et prête à être expé-
diée: 7 francs.
Le port reste à la charge du destinataire.
2" prime : Album de la LUNE et de l'ÉCLIPSE
Cent dessins les plus célèbres de Gill, réduits au moyen d'un
procédé graphique tout nouveau, formant un album élégant
et portatif.
Les dessins ainsi reproduits sont d'une délicatesse et d'une
fidélité parfaite, et de plus en les a finement coloriés.
Le prix de l'Album, pris au bureau, est de 6 francs. (Ajouter
1 franc pour le recevoir franco dans les départements.)
A L'OREILLE DU LECTEUR
Notre dessin paraît aujourd'hui sans titre et sans légende.
Pourquoi?
— « Ainsi le veulent les Dieux ! » répondrait un ancien.
Notre dessin paraît donc sans légende et sans titre, mais
notre public, sans être César (ce dont le ciel le préserve !) saura
bien lui trouver des — Commentaires.
Qui dit Commentaires dit explications.
D'ailleurs, il n'est pas besoin d'être grand clerc pour deviner
que si parmi tous les nombreux métiers que peuvent exercer
les hommes, il s'en trouve qui soient malpropres, mais hon-
nêtes, il s'en rencontre parfois qui sont aussi malhonnêtes que
malpropres.
UN MÉTIER SALISSANT
Par exemple, c'est celui qui consiste à barbouiller au moyen
de l'unique couleur que l'on possède les choses qui autrefois
étaient de trois couleurs.
Ça réussit parfois. On arrive à les teindre d'une façon uni-
forme, momentanément; mais après s'être mis beaucoup de
taches, après s'être embrené jusqu'au coude, on n'a fait qu'une
fort méchante besogne.
Et souvent, enfin, on reconnaît qu'on a travaillé pour le roi
que vous savez.
La couleur peut très-bien ne pas tenir.
La couleur peut ne pas tenir à l'endroit où on la met, mais
l'ôter de ses doigts qui en sont tout imprégnés, c'est plus diffi-
cile. Et tous les teinturiers le savent mieux personne.
La couleur passe sur l'étoffe, mais les mains restent teintes.
Mais parlons d'autre chose.
SI les Dieux l'avaient permis, — pour continuer à parler comme
l'ancien, — nous aurions pu vous offrir une jolie image. Mais
les Dieux ne l'ont pas permis. — Mais qui sait? Si vous êtes
bien sages, nous pourrons peut-être vous en faire cadeau plus
tard.
L'image en question, que nous avons remise dans nos car-
tons avec regret, représente :
LES PRÉTENDANTS DE FRANGINE
Francine, une jolie et fraîche bouquetière offre un bouquet
de roses rouges et blanches et de bleuets au bien-aimé de son
cœur, un robuste plébéien, franc du collier, dur au travail, et
loyal jusqu'au bout des ongles.
Derrière la jolie fille se trouvent trois prétendants, forts dé-
sappointés, mais aya-nt pour fiches de consolation, trois fleurs
que leur abandonne la bouquetière ; ces trois fleurs sont, on le
sait de reste, le lys, la violette et la crête de coq.
Car maintenant, les orléanistes peuvent effeuiller une fleur
du nom de crête de coq, laquelle appartient à la famille des ama-
rantacées.
L'Éclipsé.
LE DRAPEAU COIN DE FEU
Au milieu de ce grand vaudeville à tiroir, de c.ette bouffon-
nerie offenbachique, que l'on nomme la fusion, vient de se
produire un incident du burlesque le mieux réussi, une scène
beaucoup plus comique que toutes les autres.
Nos lecteurs ont reconnu la combinaison nouvelle du double
drapeau, dont les journaux retentissent depuis huit jours.
*
Il n'y a que les fusionnâtres pour trouver des expédients de
cette force.
Désespérant d'amener le peuple français à ne pas rire comme
trente-quatre millions de bossus à la vue d'tm pan de chemise
national ;
Voyant, d'un autre côté, toute chance perdue d'amener le
comte de Chambord à accepter le drapeau tricolore,
Ils se sont dit :
— Palsembleu !... que nous sommes donc bêtes de nous em
têter sur un détail aussi futile !... Coupons la poire ea deux :
la France gardera son drapeau tricolore, et Henry V son dra-
peau blanc. De cette façon tout le monde sera content.
*
* * 1 - ,
Là-dessus, on est reparti à négocier sur de nouveaux frais, et
le fusionnomètre de l'ingénieur de Falloux a remonté de vingt-
quatre degrés à l'ombre.
*
Sauf que voilà encore un sujet d'opérette bouffe gâché par la
politique, nous n'avons rien à reprendre à ce nouveau projet,
qui repose sur la plus louable tolérance, puisqu'il tend à consa-
crer la liberté du drapeau, —comme celle de la boulangerie...
Car nous ne ferons pas aux fusionnistes l'injure de croire qu'a-
près avoir accordé le drapeau blanc à l'un et le drapeau trico-
lore aux autres, ils aient l'intention de ne pas permettre à
chaque citoyen d'arborer la couleur nationale qui lui convien-
dra le mieux, — ainsi que cela se fait pour les rubans de cha-
peaux que les brunes portent jaunes ou rouges, pendant que
les blondes les choisissent verts ou bleus, selon leur teint.
* * •
La combinaison du drapeau libre nous convient comme tout
ce qui a pour base le respect des goûts et des couleurs.
Comme pour les abricots, nous aurons donc le drapeau de
plein vent, —qui sera l'étendard dclanalion, de l'armée, etc., etc.
Et ce drapeau de serre — qui sera celui du roi — et ne sortira
januiis des Tuileries.
Le plein vent a beaucoup plus de goût et est bien mieux ap-
précié, c'est connu.
Mais aussi, il en faut pour tout le monde.
*\
Nous sommes d'autant plus heureux que l'on ait pensé à
transiger ainsi sur une .question capitale, que c'est là une porte
ouverte à tous les arrangements possibles.
Du moment où l'on est décidé à adopter ce système, qui ré-
serve toutes les sympathies et donne satisfaction à toutes les
exigences, il n'est plus d'obstacles à la restauration monar-
chique.
***
En effet, comment ne pas tomber d'accord sur tous les points
en litige, du moment où l'on part de ce principe que le roi fera
ce qu'il voudra dans sa chambre et le peuple ce qu'il voudra
dans la rue.
La charte octroyée sur ces bases, nous la signons des deux
mains.
*
* *
Nous ferons même mieux.
Nous en rédigerons nous-même le projet.
Partant du. « chacun son drapeau », rien n'est plus aisé que
d'appliquer ce système à toutes les clauses de ce contrat so-
lennel.
Vous allez voir.
* *
CHARTE EN PARTIE DOUBLE
Octroyée à- la France par S. M. Henry V.
Nous, Henri-Charles-Ferdinand-Marie-Dieudonné d'Artois,
duc de Bordeaux, comte de Chambord, par la grâce de Dieu
et par la volonté du peuple, — qui a été dûment consulté en la
personne de M. Belcastel, — roi de France et de Navarre-,
Octroyons à nos bien-aimés sujets, au moment de remonter
sur le trône de nos aïeux, la charte suivante, à laquelle nous
jurons fidélité :
article premier
La France conserve son drapeau tricolore ; ce drapeau flotte
sur tous les monuments publics.
Le roy conserve son drapeau blanc. Il couche avec. Ce dra-
peau flotte sur les Tuileries.
Les passants sont libres de le prendre pour un drap royal que
l'on fait sécher au soleil, après un accident nocturne et égale-
ment royal.
art. ii
La nation nomme une Assemblée qui seule fait les lois.
Le Roy a le droit de les trouver mauvaises et do conter ses
peines au concierge des Tuileries.
Il peut même en faire d'autres, et les faire afficher dans son
palais.
Mais, seules, celles de l'Assemblée sont exécutoires en France.
art. iii
L'Assemblée seule déclare la guerre.
Dans ce cas, l'armée reçoit directement ses ordres et se met
en campagne.
Le Roy,, dans ses Tuileries, peut aussi déclarer la guerre
pour s'amuser.
Mais, alors, personne ne bouge.
art. iv
Le suffrage universel est inviolable.
Le Roy, dans ses Tuileries, a droit, en s'y soumettant, do le
déclarer imbécile.
art. v
Le Roy nomme ses ministres.
L'Assemblée les casse.
Le Roy en nomme d'autres, jusqu'à ce qu'il en trouve que
l'Assemblée ne casse pas.
art. vi
L'Assemblée fixe la liste civile du Roy.
Le Roy a le droit, dans ses Tuileries, de trouver qu'elle n'est
pas assez forte.
Dans ce cas, aucun pouvoir ne peut s'opposer à ce qu'il fasse
des économies sur son chauffage.
art. vu
Le coq gaulois couronne la hampe des étendards nationaux.
Le Roy, dans ses Tuileries, a le droit de ne manger que des
potages de pâtes d'Italie découpées en fleurs de lys.
art. viii
Sont abolis toute distinction de castes, tous titres nobi-
liaires etc., etc.
Le Roy, dans ses Tuileries, peut inonder de blasons tous ses
domestiques et jusqu'aux sphnx de fonte de ses chenets de che-
minée.
art. ix
Tous les emplois nobles, grades etc., etc., sont obtenus au
mérite.
Mais le Roy, dans ses Tuileries, peut accorder à la faveur, la
fourniture de ses chaussettes, et l'entretien de ses tapis.
art. x et dernier
Enfin, à titre de transaction suprême, et pour que ni le Roy
ni la nation ne puissent jamais se jalouser dans leurs préro-
gatives.
Afin, en un mot,- que de droits respectifs bien entendus ne
puisse jamais jaillir aucun conflit-
Il est convenu formellement ceci :
La royauté légitime héréditaire et absolue est le gouvernement
des Tuilleries depuis la place de la Concordejusqu'à la grille de
la place de la Concorde ;
Et la République celui du reste de la France.
LÉON BIENVENU.
IL A LE BEC-DE-CANE!
types parisiens
Il serait peut-être long de vous raconter, même compendieu-
sement, comment je me liai avec un de mes bons amis d'au-
jourd'hui, qu'on ne désignait, — à la réunion où nous nous
rencontrâmes pour la première fois, comme dans le quartier
que nous habitons tous deux, — que sous le nom de « le fils
Bricole. »
D'ailleurs, ce n'est pas « du fils Bricole » que j'ai .particuliè-
rement à vous parler; c'est surtout l'honorable ascendant de ce
garçon que je veux vous présenter ici.
Donc, occupons-nous, sans plus tarder, du père Bricole.
Le père Bricole est un des bons types de la boa ne ville de
Paris, un vieux commerçant de Mionnête roche ; sous une en-
veloppe un peu rude, il a le meilleur cœur du monde. Mais son
langage est quelque peu original, par exemple. Ei si jamais oh
condamne à mort un membre de l'Académie français*, je coa-
seillerai de le conduire chez le père Bricole, au lieu de le mener
sur le lieu des exécutions. Ça reviendra au même. Il suffira de
quelques-unes des phrases du père Bricole pour faire tomber
l'académicien coupable en pâmoison. Et la mort ne tardera pas
à venir glacer le cœur du puriste condamné à entendre les
hardis néologismes, les comparaisons folles, les mots exorbi-
tants du père Bricole.
Le père Bricole vend tout cq qu'on peut vendre. Le fonds
de sa boutique est celui d'un lampiste, il est vrai, mais vous
pouvez hardiment entrer dans le magasin du père Bricole et
lui demander n'importe quoi, du mouron, par exemple. Cette
commande insolite n'étonnera pas le père Bricole. Il ne s'en
fâchera pas. Au contraire. Il vous priera de vous asseoir. Et
cinq minutes après votre entrée, il vous offrira une botte de
mouron frais, au prix coûtant.
Ma première entrevue avec le père Bricole fut gaie. On peut
la raconter, même devant les dames.
Je fus amené un soir chez le père Bricole par le fils Bricole,
qui jouait un peu ce jour-là le rôle d'un entant prodigue de
retour à la maison paternelle.
Je devais servir de médiateur entre le père justement irrité
et le fils repentant, qui revenait au bercail après trois jours
d'absence. Le fils Bricole avait, à cette époqne-là, vingt ans, et
le garçon, vous le comprenez, était en âge de voler de ses pro-
pres ailes, dût-il perdre quelques-unes de ses plumes. Mais le
papa Bricole ne l'entendait pas ainsi. Il adorait son fils ; il en
était fier. Et il aurait voulu le conserver à portôo de ses « cla-
ques et de son égide, jusqu'à la fin des fins,» comme il le disait.
J'accompagnai donc le fils Bricole chez son papa, le jour delà
réconciliation, et je dîn^ai dans la famille. On avait tué le veau
gras, au figuré comme au propre. Et ce fut à table que le père
Bricole donna, pour la première fois, devant mol, carrière à sa
langue fantaisiste.
On avait été silencieux jusqu'à la soupe. Mais après la soupe,
quand le veau fit son apparition, et, découpé, passa 3ur nos as-
siettes, j'entendis M. Bricole dire à son lils, avec un bon sou-
rire qui annonçait que tout était pardonné :
— Hé, dis donc, Suce-la-GrlUarde, pouaae-le forme sur le ti-
rant, ton amil
Suce-la-fJrillarde, comme petit nom d'amitié, me parut in-
génieux; mais pousse-le ferme sur le tirant pour dire — invite
ton ami à reprendre du veau, me sembla également bien
trouvé.
Mon air étonné et charmé frappa le père Bricole, et il ajouta
en me tutoyant :
— Fais pas attentien, mon vieux-sans-côte, et tords la croûte.
Vieux-sans-cotes était une allusion à mon manque d'embon-
point qui me piqua en plein cœur. J'étais à peine remis du
coup que le père Bricole reprit, en riant son bon rire :
— Ne te fâche pas, dis donc, hé! Graissendiable!
Le mot me désarma, et — je poussai ferme, sur le tirant, comm»
on m'en priait.
— C'est ça, c'est très-cà, mon vieux-sous-sol, interrompit le
père Bricole, en m'envoyant un baiser par-dessus la table, du
bout des doigts, c'est ça, c'est très-ça. Mange en plein ! mange
en plein, mon petit frise-la-gamelle.
Frise-la-gamelle était dur. Mais la cordialité du père Bricole
faisait passer par-dessus tout.
Le dîner, semé de mots semblables, s'acheva tranquillement.
La mère et la sœur du fils Bricole allèrent vaquer à leurs
occupations ménagères, et nous restâmes tous les trois, le père
Bricole, le fils Bricole et moi, autour de la table, devant une
bouteille de vin d'extra achetée pour la circonstance. Puis vin-
rent la pipe du papa et la cigarette des deux jeunes gens.
Après les premières bouffées, le père Bricole me tira par la
manche, et, sans s'inquiéter de la présence de son fils, glissa
dans mon sein les quelques réflexions que lui avait inspirées la
fuite de son fils, et le projet, abandonné du reste par celui-ci,
de ne plus loger sous le toit paternel.
— Et qu'est-ce qu'il veut, ce cheval-là! dit le père Bricole,
Puisqu'il a le bec-de-cane !
Mais, papa!.., fit le fils coupable.
Tais-toi, nez sale ! Je vais expliquer à monsieur. Tire ta fu-
mée et laisse-nous, voyons! Oui, monsieur, il a le bec-de-
cane. Eh ! bien, alors, qu'est-ce qu'il lui faut, à ce chien-là.
Dis-moi ça un peu, ma vieille lampe, voyons, qu'est-ce que ça
lui fait ?
— Pardon, glissai-je, pardon. Qu'est-ce que c'est que cela, le
bec-de-cane ?
— Eh ! bien, est-il troué, ce petit-là ! Le bec-de-cane, c'est le
bec-de-cane, parbleu!
— Le bec-de-cane, c'est le passe-partout de la boutique, nie
souffla dans l'oreille le fils Bricole.
— Eh ! bien, reprit le père Bricole en me tapant sur l'é-
paule avec force, tu comprends, alors, vieux clou ; il a le bec-
de-cane ! Il peut sortir et rentrer à l'heure qu'il lui plaît. Je
ferme les lanternes là-dessus. Ni vu, ni connu, je t'em...brasse.
Il n'a pas besoin d'aller se loger en ville, ce trotte-salô-là ! Tas
d'Arpelles ! Dis-lui ça, vieille branche, dis-lui ça. Il t'écoutera.
Il a le bec-dc-cane. Faut pas faire le malin.
— En effet, dis-je au fils Bricole, si tu as le bec-de-cane...
qu'est-ce qu'il te faut de plus ?
— Là, tu l'entends, ton ami, tu entends ce qu'il dit ? Tu as
le bec-de-cane. Eh! bien, fiche-nous la paix... et bonsoir...tout
est oublié.
Il n'y eut pas d'autre incident tout le reste de la soirée.
ERNEST Û'HERVILLY
PRIMES DE L'ÉCLIPSÉ
LA REVANCHE
L'idée qui fait bouillonner les cerveaux, l'espoir qui fait
bondir les cœurs ont pris — sinon un corps — un buste!...
La Revanche vit désormais — dans le marbre et le stuc,
— celui-ci popularisant celui-là !
Un artiste a pétri pour nous cette image de nos rêves.
~L'Édipse offre à ses abonnés la statuette de la Revanche.
Chacun voudra avoir cette figure sous les yeux.
La statuette de la Revanche, avec son piédestal, prise dans
nos bureaux : 6 francs ; emballée avec soin et prête à être expé-
diée: 7 francs.
Le port reste à la charge du destinataire.
2" prime : Album de la LUNE et de l'ÉCLIPSE
Cent dessins les plus célèbres de Gill, réduits au moyen d'un
procédé graphique tout nouveau, formant un album élégant
et portatif.
Les dessins ainsi reproduits sont d'une délicatesse et d'une
fidélité parfaite, et de plus en les a finement coloriés.
Le prix de l'Album, pris au bureau, est de 6 francs. (Ajouter
1 franc pour le recevoir franco dans les départements.)
A L'OREILLE DU LECTEUR
Notre dessin paraît aujourd'hui sans titre et sans légende.
Pourquoi?
— « Ainsi le veulent les Dieux ! » répondrait un ancien.
Notre dessin paraît donc sans légende et sans titre, mais
notre public, sans être César (ce dont le ciel le préserve !) saura
bien lui trouver des — Commentaires.
Qui dit Commentaires dit explications.
D'ailleurs, il n'est pas besoin d'être grand clerc pour deviner
que si parmi tous les nombreux métiers que peuvent exercer
les hommes, il s'en trouve qui soient malpropres, mais hon-
nêtes, il s'en rencontre parfois qui sont aussi malhonnêtes que
malpropres.
UN MÉTIER SALISSANT
Par exemple, c'est celui qui consiste à barbouiller au moyen
de l'unique couleur que l'on possède les choses qui autrefois
étaient de trois couleurs.
Ça réussit parfois. On arrive à les teindre d'une façon uni-
forme, momentanément; mais après s'être mis beaucoup de
taches, après s'être embrené jusqu'au coude, on n'a fait qu'une
fort méchante besogne.
Et souvent, enfin, on reconnaît qu'on a travaillé pour le roi
que vous savez.
La couleur peut très-bien ne pas tenir.
La couleur peut ne pas tenir à l'endroit où on la met, mais
l'ôter de ses doigts qui en sont tout imprégnés, c'est plus diffi-
cile. Et tous les teinturiers le savent mieux personne.
La couleur passe sur l'étoffe, mais les mains restent teintes.
Mais parlons d'autre chose.
SI les Dieux l'avaient permis, — pour continuer à parler comme
l'ancien, — nous aurions pu vous offrir une jolie image. Mais
les Dieux ne l'ont pas permis. — Mais qui sait? Si vous êtes
bien sages, nous pourrons peut-être vous en faire cadeau plus
tard.
L'image en question, que nous avons remise dans nos car-
tons avec regret, représente :
LES PRÉTENDANTS DE FRANGINE
Francine, une jolie et fraîche bouquetière offre un bouquet
de roses rouges et blanches et de bleuets au bien-aimé de son
cœur, un robuste plébéien, franc du collier, dur au travail, et
loyal jusqu'au bout des ongles.
Derrière la jolie fille se trouvent trois prétendants, forts dé-
sappointés, mais aya-nt pour fiches de consolation, trois fleurs
que leur abandonne la bouquetière ; ces trois fleurs sont, on le
sait de reste, le lys, la violette et la crête de coq.
Car maintenant, les orléanistes peuvent effeuiller une fleur
du nom de crête de coq, laquelle appartient à la famille des ama-
rantacées.
L'Éclipsé.
LE DRAPEAU COIN DE FEU
Au milieu de ce grand vaudeville à tiroir, de c.ette bouffon-
nerie offenbachique, que l'on nomme la fusion, vient de se
produire un incident du burlesque le mieux réussi, une scène
beaucoup plus comique que toutes les autres.
Nos lecteurs ont reconnu la combinaison nouvelle du double
drapeau, dont les journaux retentissent depuis huit jours.
*
Il n'y a que les fusionnâtres pour trouver des expédients de
cette force.
Désespérant d'amener le peuple français à ne pas rire comme
trente-quatre millions de bossus à la vue d'tm pan de chemise
national ;
Voyant, d'un autre côté, toute chance perdue d'amener le
comte de Chambord à accepter le drapeau tricolore,
Ils se sont dit :
— Palsembleu !... que nous sommes donc bêtes de nous em
têter sur un détail aussi futile !... Coupons la poire ea deux :
la France gardera son drapeau tricolore, et Henry V son dra-
peau blanc. De cette façon tout le monde sera content.
*
* * 1 - ,
Là-dessus, on est reparti à négocier sur de nouveaux frais, et
le fusionnomètre de l'ingénieur de Falloux a remonté de vingt-
quatre degrés à l'ombre.
*
Sauf que voilà encore un sujet d'opérette bouffe gâché par la
politique, nous n'avons rien à reprendre à ce nouveau projet,
qui repose sur la plus louable tolérance, puisqu'il tend à consa-
crer la liberté du drapeau, —comme celle de la boulangerie...
Car nous ne ferons pas aux fusionnistes l'injure de croire qu'a-
près avoir accordé le drapeau blanc à l'un et le drapeau trico-
lore aux autres, ils aient l'intention de ne pas permettre à
chaque citoyen d'arborer la couleur nationale qui lui convien-
dra le mieux, — ainsi que cela se fait pour les rubans de cha-
peaux que les brunes portent jaunes ou rouges, pendant que
les blondes les choisissent verts ou bleus, selon leur teint.
* * •
La combinaison du drapeau libre nous convient comme tout
ce qui a pour base le respect des goûts et des couleurs.
Comme pour les abricots, nous aurons donc le drapeau de
plein vent, —qui sera l'étendard dclanalion, de l'armée, etc., etc.
Et ce drapeau de serre — qui sera celui du roi — et ne sortira
januiis des Tuileries.
Le plein vent a beaucoup plus de goût et est bien mieux ap-
précié, c'est connu.
Mais aussi, il en faut pour tout le monde.
*\
Nous sommes d'autant plus heureux que l'on ait pensé à
transiger ainsi sur une .question capitale, que c'est là une porte
ouverte à tous les arrangements possibles.
Du moment où l'on est décidé à adopter ce système, qui ré-
serve toutes les sympathies et donne satisfaction à toutes les
exigences, il n'est plus d'obstacles à la restauration monar-
chique.
***
En effet, comment ne pas tomber d'accord sur tous les points
en litige, du moment où l'on part de ce principe que le roi fera
ce qu'il voudra dans sa chambre et le peuple ce qu'il voudra
dans la rue.
La charte octroyée sur ces bases, nous la signons des deux
mains.
*
* *
Nous ferons même mieux.
Nous en rédigerons nous-même le projet.
Partant du. « chacun son drapeau », rien n'est plus aisé que
d'appliquer ce système à toutes les clauses de ce contrat so-
lennel.
Vous allez voir.
* *
CHARTE EN PARTIE DOUBLE
Octroyée à- la France par S. M. Henry V.
Nous, Henri-Charles-Ferdinand-Marie-Dieudonné d'Artois,
duc de Bordeaux, comte de Chambord, par la grâce de Dieu
et par la volonté du peuple, — qui a été dûment consulté en la
personne de M. Belcastel, — roi de France et de Navarre-,
Octroyons à nos bien-aimés sujets, au moment de remonter
sur le trône de nos aïeux, la charte suivante, à laquelle nous
jurons fidélité :
article premier
La France conserve son drapeau tricolore ; ce drapeau flotte
sur tous les monuments publics.
Le roy conserve son drapeau blanc. Il couche avec. Ce dra-
peau flotte sur les Tuileries.
Les passants sont libres de le prendre pour un drap royal que
l'on fait sécher au soleil, après un accident nocturne et égale-
ment royal.
art. ii
La nation nomme une Assemblée qui seule fait les lois.
Le Roy a le droit de les trouver mauvaises et do conter ses
peines au concierge des Tuileries.
Il peut même en faire d'autres, et les faire afficher dans son
palais.
Mais, seules, celles de l'Assemblée sont exécutoires en France.
art. iii
L'Assemblée seule déclare la guerre.
Dans ce cas, l'armée reçoit directement ses ordres et se met
en campagne.
Le Roy,, dans ses Tuileries, peut aussi déclarer la guerre
pour s'amuser.
Mais, alors, personne ne bouge.
art. iv
Le suffrage universel est inviolable.
Le Roy, dans ses Tuileries, a droit, en s'y soumettant, do le
déclarer imbécile.
art. v
Le Roy nomme ses ministres.
L'Assemblée les casse.
Le Roy en nomme d'autres, jusqu'à ce qu'il en trouve que
l'Assemblée ne casse pas.
art. vi
L'Assemblée fixe la liste civile du Roy.
Le Roy a le droit, dans ses Tuileries, de trouver qu'elle n'est
pas assez forte.
Dans ce cas, aucun pouvoir ne peut s'opposer à ce qu'il fasse
des économies sur son chauffage.
art. vu
Le coq gaulois couronne la hampe des étendards nationaux.
Le Roy, dans ses Tuileries, a le droit de ne manger que des
potages de pâtes d'Italie découpées en fleurs de lys.
art. viii
Sont abolis toute distinction de castes, tous titres nobi-
liaires etc., etc.
Le Roy, dans ses Tuileries, peut inonder de blasons tous ses
domestiques et jusqu'aux sphnx de fonte de ses chenets de che-
minée.
art. ix
Tous les emplois nobles, grades etc., etc., sont obtenus au
mérite.
Mais le Roy, dans ses Tuileries, peut accorder à la faveur, la
fourniture de ses chaussettes, et l'entretien de ses tapis.
art. x et dernier
Enfin, à titre de transaction suprême, et pour que ni le Roy
ni la nation ne puissent jamais se jalouser dans leurs préro-
gatives.
Afin, en un mot,- que de droits respectifs bien entendus ne
puisse jamais jaillir aucun conflit-
Il est convenu formellement ceci :
La royauté légitime héréditaire et absolue est le gouvernement
des Tuilleries depuis la place de la Concordejusqu'à la grille de
la place de la Concorde ;
Et la République celui du reste de la France.
LÉON BIENVENU.
IL A LE BEC-DE-CANE!
types parisiens
Il serait peut-être long de vous raconter, même compendieu-
sement, comment je me liai avec un de mes bons amis d'au-
jourd'hui, qu'on ne désignait, — à la réunion où nous nous
rencontrâmes pour la première fois, comme dans le quartier
que nous habitons tous deux, — que sous le nom de « le fils
Bricole. »
D'ailleurs, ce n'est pas « du fils Bricole » que j'ai .particuliè-
rement à vous parler; c'est surtout l'honorable ascendant de ce
garçon que je veux vous présenter ici.
Donc, occupons-nous, sans plus tarder, du père Bricole.
Le père Bricole est un des bons types de la boa ne ville de
Paris, un vieux commerçant de Mionnête roche ; sous une en-
veloppe un peu rude, il a le meilleur cœur du monde. Mais son
langage est quelque peu original, par exemple. Ei si jamais oh
condamne à mort un membre de l'Académie français*, je coa-
seillerai de le conduire chez le père Bricole, au lieu de le mener
sur le lieu des exécutions. Ça reviendra au même. Il suffira de
quelques-unes des phrases du père Bricole pour faire tomber
l'académicien coupable en pâmoison. Et la mort ne tardera pas
à venir glacer le cœur du puriste condamné à entendre les
hardis néologismes, les comparaisons folles, les mots exorbi-
tants du père Bricole.
Le père Bricole vend tout cq qu'on peut vendre. Le fonds
de sa boutique est celui d'un lampiste, il est vrai, mais vous
pouvez hardiment entrer dans le magasin du père Bricole et
lui demander n'importe quoi, du mouron, par exemple. Cette
commande insolite n'étonnera pas le père Bricole. Il ne s'en
fâchera pas. Au contraire. Il vous priera de vous asseoir. Et
cinq minutes après votre entrée, il vous offrira une botte de
mouron frais, au prix coûtant.
Ma première entrevue avec le père Bricole fut gaie. On peut
la raconter, même devant les dames.
Je fus amené un soir chez le père Bricole par le fils Bricole,
qui jouait un peu ce jour-là le rôle d'un entant prodigue de
retour à la maison paternelle.
Je devais servir de médiateur entre le père justement irrité
et le fils repentant, qui revenait au bercail après trois jours
d'absence. Le fils Bricole avait, à cette époqne-là, vingt ans, et
le garçon, vous le comprenez, était en âge de voler de ses pro-
pres ailes, dût-il perdre quelques-unes de ses plumes. Mais le
papa Bricole ne l'entendait pas ainsi. Il adorait son fils ; il en
était fier. Et il aurait voulu le conserver à portôo de ses « cla-
ques et de son égide, jusqu'à la fin des fins,» comme il le disait.
J'accompagnai donc le fils Bricole chez son papa, le jour delà
réconciliation, et je dîn^ai dans la famille. On avait tué le veau
gras, au figuré comme au propre. Et ce fut à table que le père
Bricole donna, pour la première fois, devant mol, carrière à sa
langue fantaisiste.
On avait été silencieux jusqu'à la soupe. Mais après la soupe,
quand le veau fit son apparition, et, découpé, passa 3ur nos as-
siettes, j'entendis M. Bricole dire à son lils, avec un bon sou-
rire qui annonçait que tout était pardonné :
— Hé, dis donc, Suce-la-GrlUarde, pouaae-le forme sur le ti-
rant, ton amil
Suce-la-fJrillarde, comme petit nom d'amitié, me parut in-
génieux; mais pousse-le ferme sur le tirant pour dire — invite
ton ami à reprendre du veau, me sembla également bien
trouvé.
Mon air étonné et charmé frappa le père Bricole, et il ajouta
en me tutoyant :
— Fais pas attentien, mon vieux-sans-côte, et tords la croûte.
Vieux-sans-cotes était une allusion à mon manque d'embon-
point qui me piqua en plein cœur. J'étais à peine remis du
coup que le père Bricole reprit, en riant son bon rire :
— Ne te fâche pas, dis donc, hé! Graissendiable!
Le mot me désarma, et — je poussai ferme, sur le tirant, comm»
on m'en priait.
— C'est ça, c'est très-cà, mon vieux-sous-sol, interrompit le
père Bricole, en m'envoyant un baiser par-dessus la table, du
bout des doigts, c'est ça, c'est très-ça. Mange en plein ! mange
en plein, mon petit frise-la-gamelle.
Frise-la-gamelle était dur. Mais la cordialité du père Bricole
faisait passer par-dessus tout.
Le dîner, semé de mots semblables, s'acheva tranquillement.
La mère et la sœur du fils Bricole allèrent vaquer à leurs
occupations ménagères, et nous restâmes tous les trois, le père
Bricole, le fils Bricole et moi, autour de la table, devant une
bouteille de vin d'extra achetée pour la circonstance. Puis vin-
rent la pipe du papa et la cigarette des deux jeunes gens.
Après les premières bouffées, le père Bricole me tira par la
manche, et, sans s'inquiéter de la présence de son fils, glissa
dans mon sein les quelques réflexions que lui avait inspirées la
fuite de son fils, et le projet, abandonné du reste par celui-ci,
de ne plus loger sous le toit paternel.
— Et qu'est-ce qu'il veut, ce cheval-là! dit le père Bricole,
Puisqu'il a le bec-de-cane !
Mais, papa!.., fit le fils coupable.
Tais-toi, nez sale ! Je vais expliquer à monsieur. Tire ta fu-
mée et laisse-nous, voyons! Oui, monsieur, il a le bec-de-
cane. Eh ! bien, alors, qu'est-ce qu'il lui faut, à ce chien-là.
Dis-moi ça un peu, ma vieille lampe, voyons, qu'est-ce que ça
lui fait ?
— Pardon, glissai-je, pardon. Qu'est-ce que c'est que cela, le
bec-de-cane ?
— Eh ! bien, est-il troué, ce petit-là ! Le bec-de-cane, c'est le
bec-de-cane, parbleu!
— Le bec-de-cane, c'est le passe-partout de la boutique, nie
souffla dans l'oreille le fils Bricole.
— Eh ! bien, reprit le père Bricole en me tapant sur l'é-
paule avec force, tu comprends, alors, vieux clou ; il a le bec-
de-cane ! Il peut sortir et rentrer à l'heure qu'il lui plaît. Je
ferme les lanternes là-dessus. Ni vu, ni connu, je t'em...brasse.
Il n'a pas besoin d'aller se loger en ville, ce trotte-salô-là ! Tas
d'Arpelles ! Dis-lui ça, vieille branche, dis-lui ça. Il t'écoutera.
Il a le bec-dc-cane. Faut pas faire le malin.
— En effet, dis-je au fils Bricole, si tu as le bec-de-cane...
qu'est-ce qu'il te faut de plus ?
— Là, tu l'entends, ton ami, tu entends ce qu'il dit ? Tu as
le bec-de-cane. Eh! bien, fiche-nous la paix... et bonsoir...tout
est oublié.
Il n'y eut pas d'autre incident tout le reste de la soirée.
ERNEST Û'HERVILLY