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L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré — 6.1873

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https://doi.org/10.11588/diglit.6773#0187
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L'ÊCLIPSE

LES OIES DU CAPITOLE

L'ennemi approche. Les oies l'ont flairé dans lo vent. Senti-
nelles vigilantes du Capitole où s'embastillent les partisans de
1» Monarchie, elles ont jeté le cri d'alarme :

— Couanl couanl couanl... Couanl couan\ couan\...

La République monte à l'assaut. Les voyez-vous se trémous-
ser sur le rempart comme si une plaque de tôle rougissait au
feu sous leurs pattes ?...

Celle-ci porte la résille d'un barbier renommé pour son es-
prit d'intrigue. La résille était blanche hier. Elle sera bleue
demain. Au besoin, elle deviendrait rouge.

— Couanl couanl couanl.,. Vive le Roy !... Vive la Ligue!...
Celle-là traîne à son côté le fleuret du maître en fait d'armes.

C'est un oison de combat, — qui croit être de la race des aigles,
et qui n'est que de la famille des vaulours.

— Couanl couan !... Prenez mon Plébiscite!...

Une troisième a le monocle à l'œil et la cravate, comme le
drapeau, — à la mode de la semaine prochaine.

— Couanl... Le meilleur des chocolats est le chocolat Mac-
Mahon!,..

— Couanl... Couanl... Couanl,.. toussotent les deux antres,
qui regrettent, — la première, l'époque où, de tous les palmi-
pèdes en vogue sur les boulevards, elle était quasi la seule à
paraître le soir, — la seconde, le serpent de mer dont elle s'est
nourrie si longtemps !...

0 volatiles, prenez garde!...

La roche tarpéienne est près du Capitole...

Et la roche tarpéienne des oies, c'est la terrine do foie gras !

XXX.

PROJET DE CONSTITUTION PROVISOIRE

DESTINÉE

A empêcher les Républicains de faire la Répoblique

ET A DONNER LE TEMPS AUX ROYALISTES

De préparer leur restauration monarchique

• L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

Considérant qu'il est temps enfin de tirer le pays de l'incer-
titude mortelle dans laquelle il est plongé depuis trois ans, et
qui est un obstacle au développement de ses affaires ;

Décrète :

ARTICLE PREMIER

Le provisoire est proclamé gouvernement officiel de l'empire
français pour dix ann ées.
Il est rééligible à l'expiration de son mandat.

ART. II.

A l'exception des républicains, tous les partis ont droit à un
nombre égal de ministères, de préfectures, ^'ambassades, de
places de gardes champêtres et de bureaux de tabac.

ART. III.

Tant qu'une forme définitive de gouvernement n'aura pas été
adoptée, les prétendants ont le droit d'intriguer librement, de
faire circuler leurs journaux, de, distribuer leurs photographies,
de faire frapper des médailles indiquant* le jour de leur cou-
ronnement, etc., etc.

Seul le parti républicain reste en état de siège.

ART. IV.

Une loi électorale sera faite dans le plus bref délai possible.
Elle aura pour objet de désigner trois citoyens sur cent pour
représenter le suffrage universel.

ART. V.

Tous les édifices publics feront gratter leurs inscriptions, de
façon à ce qu'elles ne se pr sentent plus aux yeux du public que
sous l'aspect suivant, qui réserve l'avenir:

ACADÉMIE ......ALE DE MUSIQUE

THEATRE ...AL DE l'oDÉON
maison ......ALE de la LÉGION D'HONNEUR

ART. VI.

Le drapeau provisoire de la France est blanc d'un côté et tri-
colore de l'autre,

art. vu.

L'emblème provisoire de la France est un aigle avec une tète
de coq, tatoué de fleurs de lys, tenant un parapluie dans son
bec, et perché sur un vélocipède.

ART. VIII.

Le mot de : République sera conservé afin que l'on puisse
mettre sur le dos de cote forme de gouvernement tout le ma-
laise et toute la misère qui résultera nécessairement do l'état
provisoire sanctifié par la présente Constitution.

ART. IX.

Une fois que la France, fatiguée, énervée, épuisée, sera bien
lasse et bien dégoûtée des menées monarchiques qui auront j
ruiné son commerce et empêché son relèvement, le gouverne-
ment lui dira avec un grand sang-froid :

— Je vous l'avais prédit que vous en auriez bientôt assez de
votre République!...

i ART. x.

Alors, profitant de l'ébahissement du pays, atterré de s'en-
tendre reprocher tout le mal qui.....lui a été fait, on restau-

rera celui des trois prétendants qui aura eu assez de poigne et
de toupet pour étrangler les deux autres.

art. xi.

La France alors sera bien|heureuse.

art. xii.

Ou, du moins, elle devra faire semblant de l'être.

art. xiii et dernieu.

Sous peine de.....

Rrrran!...

LÉON BIENVENU.

SOCIÉTÉ PROTECTRICE DES AN1MALX

séance extraordinaire

LA QUESTION DE L'HOMME-CHIEN

le président. — Messieurs et chers collègues, je n'ai
besoin, je suppose, d'apprendre à aucun de vous le but de cette
convocation urgente. Le' cœur de nos honorables sociétaires bat
avec un tel ensemble qu'il n'est pas un seul d entre eux qui n ait
dû se lever d'indignation, en même temps que c; ux de tous les
membres de votre bureau, à la nouvelle de l'acte inqualifiable
qui... de l'acte dont... {L'émotion de l'orateur est visible; après de
vains efforts pour la maîtriser, il cède, d'une voix étranglée, la pa-
role au membre chargé de, porter devant l'assemblée la proposition
dont elle est saisie. — Murmures approbateurs.)

l'orateur. — Messieurs, il se passe en ce moment à Paris
un fait que notre honorable président a parfaitement Qualifié,
d'inqualifiable. Sous pr-texte qu'un malheureux chien et un
jeune, issu de lui, auraient une vague apparence humaine, un
cornac sans pudeur ne craint pas, dans un but de spéculation
honteuse, de donner ces deux pauvres êtres en spectacle à une
foule gouailleuse.

dans l'auditoire. — Oh! oh!

l'orateur. — Assurément cet homme, qui doit avoir une
pierre à la place du cœur (trés-bien !), ne se rend pas compte du
supplice moral qu'il iniiigeaux deux infortunés. S'il pouvait en
avoir le sentiment, sa conduite ne serait pas seulement indigne,
elle serait cynique et dégoûtante. Pour vous, chers collègues,
vous ne sentez que trop tout ce qui doit s'agiter en eux de
pensées douloureuses. Nés amis de l'homme, c'est "cet homme
même, auquel ils voudraient témoigner de leur intelligence et
de leur fidélité, qui exploite leur triste difformité, et qui se
plaît à les avilir en les offrant à l'indiscrète curiosité et à la
risée du public. Oui, je dis bien, messieurs, à la risée du
public. Car déjà la petite presse, qui jouit sur l'opinion
d une si déplorable influence, s'est emparée do l'homme-chicn ;
les caricaturistes l'ont Vnlaidi à plaisir, présenté dans des atti-
tudes révoltantes; les faiseurs de bons mots l'ont bafou'', cou-
vert de ridicule. Le ridicule, une arme terrible en France,
tous le savez, uno.arme qui, tue. Messieurs, si on proposai; d'é-
gorger devant vous ces deux chiens, vous ne le souffririez
pas...

voix nombreuses. — Non, non!

l'orateur. — Souffrirez-vous donc qu'on les égorge mora-
lement ?

les mêmes voix. — Non, non, non!

l'orateur. — Ah! messieurs, ces protestations me sont
douces à entendre. Elles iront aux oreilles de ces deux in-
fortunés dont j'ose prendre la défense, moi, bien infime, elles
iront à leur cœur aussi—- j'en ai la ferme conviction. Elles sau-
ront, ces bêtes intô' essantes, que, parmi les hommes même, il
est quelques esprits moins esclaves de la routine qui roulent au
chien dans l'échelle sociale la place qui lui est légitimement
due. Mais ce n'est pas assez, messieurs, de témoigner par des
paroles de notre sympathie éclairée pour l'homme-chien, il le
lui faut encore prouver par des actes. {Très-bienl) Je vous pro-
poserais donc, messieurs, une adresse de protestation, nunpas à
la préfecture de police, non pas à une autorité subalterne, mais
à l'autorité suprême, à M, le maréchal de Mac-Mahon. Cet
homme loyal ne peut étouffer le cri de la morale indignée
(Bravo!) Quelques-uns diront peut être que l'heure est mal
choisie...

voix nombreuses. —Non ! non!

l'orateur. — Je m'entends. Vous, messieurs, vous ne le
direz pas, mais au dehors d autres le diront peut être C'est à
eux que je réponds. Oui, sans doute, de grandes questions poli-
tiques s'agitent en ce moment ; mais au-dessus de la politique
toujours étroite, au-dessus des querelles des partis, au-dessus
des causes plus ou moins nationales, il y aura toujours la cause
autrement sérieuse de l'humanit'M (Vive adhésion.) Si, comme
malheureusement tout nous porte à le croire, l'homme-chien est
bien un chien, le maréchal de Mac-Mahon ne pourra se refu-
ser, devant une protestation revêtue d'innombrables signatures,
à faire cesser cette exhibition qui est un scandale.

une voix. — Rédigez tout de suite la protestation. Elle
pourra circuler dès aujourd'hui.

l'orateur. —- C est ce que je m'empresserai de faire, mes-
sieurs, dès que le messager que nous avons envoyé à Tivoli
Vaux-Hall nous aura rapporté le résumé de ses dernières études
sur l'homme-chien. (Voyant un monsieur qui fend la foule pour
arriver jusqu'à lui). Mais voici notre messager lui-même, je vais
être en mesure de vous donner les détails les plus complets (Il
quitte la tribune pour aller au-devant du nouveau venu. Anx paroles
que celui-ci lui glisse dans Voreille, le visage de l orateur se transfi-
gure tout à coup. Il remonte vivement à la tribune). Messieurs, la
nouvelle que je reçois est bien inattendue, {Vive attention) et
ajoutons tout de suite bien satisfaisante. TtW cœurs à tous vont
être bien profondément soulagés en- apprenant que l'homme-
chien n'est nullement un chien mais un homme. (Bravo!) Oui,
messieurs, réjouissez-vous, l'homme-chien est un homme!
(Salve d'applaudissements)- Cette constatation, résultat de
l'examen le plus sérieux laissa désormais notre réunion sans
objet. Mais nous sommes loin de nous eu plaindre. Au con-
traire, nous nous en félicitons. Il ese aoux <je penser qUe paris
n'aura pas été souillé par un« exhibition aussi ré ;oltante que
celle du noble animal qui a droit ;\ notre affection et à notre
respect à tous. (Nouveaux applaudissements. Poignées demain, atten-
drissements. On ss sépare au milieu d'une émotion indescriptible.)

PAUL PARFAIT.

LES JOYEUSES CHAPELIÈRES

Ah! les belles et joyeuses filles, fraîches et plantureuses, su-
perbement campées sur les hanches et solidement plantées sur
leurs pieds ! Non, certes, des pieds d'Andalouses ou de Chinoises,
« si pétris qu'un enfant les pût prendre en sa main, » mais des
pieds,d'une large cambrure qui correspondaient à la force de la
taille et qui avaient leur beauté quoique Gavroche se fût peut-
être écrié : « Elles peuvent dormir debout les demoiselles ! »

De quels éclats de rire retentissants dans leur franchise elles
emplissaient la berge de Saint-Ouen! Car c'était au bord de la
Seine, à quelques pas du château où Louis XVIII signa la
Charte avec le sein fameux de Mm0 du Cayla pour pupitre, que
je suivais, depuis un moment, cette fille aux cheveux noirs
comme ceux d'une italienne du Vésuve, et cette autre à la
magnifique chevelure d'un blond d'orcomme le soleil. Ces deux
créatures étaient la gaîtédans tout son épanouissement, la santé
et la vie en pleine floraison. Il semblait que le corsage de leur
robe de piqué, à petites fleurs bleuâtres, allait craquer à chaque
pas, et leur visage, que j'apercevais de trois quarts quand elles
se parlaient plus bas, montrait alors un œil plein de rayons et
des lèvres vermeilles et rouges comme les' coquelicots des blés
voisins.

C'était le matin d'un lundi d'été, et les deux promeneuses
complétaient la joie du paysage ruisselant de lumière. Elles re-
gardaient les restaurants qui bordent la rive, et l'appétit était de
la partie, car une d'elles faillit entraîner sa compagr.e au chalet.
Mais toutes les deux furent aussitôt effarouchées à la vue de
canotier* et de canotières qui s'y esbaudissaient comme en pays
conquis et s'enfuirent en rougissant vers le talus de la berge.

L'embarras de ces honnêtes filles, ouvrières, sans doute, en
villégiaturé inaccoutumée, encouragea la timidité naturelle à
mon sexe en pareil cas. J'avais hâté le pas et je m'étais appro-
ché d'elles avec une politesse respectueuse dont je n'ai jamais eu
l'occasion de faire les frais pour les princesses que j'ai rencon-
trées sur mon chemin.

Mademoiselle, dis-je alors, je vous crois un peu dépayséee par
ici. Voulez vous aie permettre de vous indiquer un endroit où
vous pourrez vous reposer et déjeuner tranquillement.

— Ma foi, monsieur, volontiers, me répondit la brune, car
nous avons trop faim pour retourner à Paris à jeun.

Et je les menai au cabaret de l'Espérance, où le cri des gou-
jons dans la friture trouvait aussi un écho dans mon estomac.
J'allais me retirer discrètement après leur avoir ouvert la porte
d'un cabinet dont la fenêtre ouvrait sur la berge, lorsque la
bel'e blonde, à qui sa compagne avait poussé le coude après un
chuchotement à l'oreille, me dit :

— Pardon, monsieur, auriez-vous l'obligeance de nous indi-
quer ce qu'il vaut mieux demander ici.

Le patron de l'Espérance venait d'entrer, une vieille connais-
sance pour moi.

— Ah ! c'est vous ! me dit-il. Manjrez-Voiî§ une friture? Ces

dames pr 'fèrent-elles une matelotte ou un barbillon?

— Ces demoiselles déjeunent seules; je vouslesrecommande..
Moi, je vais monter dans la salle.

— C'est que vous serez bien mal, reprit le patron. Il y a
beaucoup de monde là-haut.

— Oh! monsieur, s'écria la brune à la figure si franche, si
vous devez vous gêner pour nous, nous allons vous céder la
place.

— Alors, mesdemoiselles, cédez-moi eulement un petit bout
de table, répliquai-je en bénissant le hasard pour la première
fois de ma vie.

Quel bon déjeuner à estomacs et à cœurs ouverts! Je leur
avais fait promettre de jaser librement comme si elles avaient
laissé asseoir à leur table l'Henri IV du Pont-Neuf. Que d'his-
toires cependant où je pouvais placer mon mot, que de gaietés
dont il eût était aisé do prendre ma part ! Et les chansons curent
leur tour. Il fallait entendre la brune Amandine entonner

« Pan, pan, pan, la liqueur vermeille »

et la blonde Victoire attaquer te 'Somme à vingt ans du papa
Barateaux ! Tout un répertoire y passa.

L'heure vint pourtantde se séparer.Cette houredu diable sonne
malheureusement au clocher de Saint-Ouen comme à tous les
autres.

— Et maintenant, dis-je, vous retournez au travail ?

— Oui, monsieur, pour toute la semaine. A propos, ajouta la
brune, si jamais vous passez par la rue Myrrha à Montmartre,
venez nous dire bonjour en ami, cela nous fera plaisir. N0...,
au rez-de-chaussée, la porte à gauche.

Je n'étonnerai personne en avouant nue, dès le jeudi sui-
vant, je grimpai à la rue Myrrha. A quoi travaillaient les
deux promeneuses de Saint-Ouen ? Je ne lo leur avais pas de-
mandé. J'en faisais successivement des lingères, des couturiè-
res, des culottières. Des culottières surtout ! Il me semblait que
ces deux belles et fortes gaillardes, si dégagées de ton et d'allu-
res, étaient habituées à remuer des culottes et savaient le cas
qu'il en faut faire.

J'étais arrivé. Le « pan pan pan, la liqueur vermeille n m'au-
rait averti, si je ne l'avais su d'av*ance, de la porte à laquelle il
fallait frapper, pendant qu'une autre voix fredonnait :

Et moi-même, joyeux du retour du printemps,
Je me min à chanter comme on chante à vingt ans.

Qui, c'était là qu'étaient enfermées toute cette joie, toute'
tsette vie exubérante que j'avais admirée au soleil des bords de
la Seine. Je frappai ; on m'ouvrit aussitôt. J'étais tenté de re-
culer. Inimaginable tableau ! Les superbes filles étaient assises
au milieu de tricornes noirs, les uns empilés par terre, les
autres, étages de la commode au plafond. C'était des chapeaux
de croquemorts, c'était lour ouvrage ! Elîi-s en avaient encore
entre les mains !

11 y a des contrastes qui me font froid dans le dos. Je n'ai
jamais revu les joyeuses chapelières de la rue Myrrha.

ADOLPHE PERREAU.
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