L ' JS U L l P b Jfi
Prime extraordinaire et gratuite de l'Eclipsé
DONNÉE A TOUS LES MIYEAIX ABONNÉS D'UN AN OU AUX ABONNÉS ACTUELS QUI RENOUVELLERONT LEUR ABONNEMENT D'UN AN PAR ANTICIPATION
L'ÉCLIPSE a acquis le droit d'offrir en prime à ses abonnés la publication à succès du moment : Y édition illustrée de LA FILLE
DE MADAME ANGOT, charmant volume grand in-8°, de grand luxe, à couverture coloriée, contenant, en dehors du texte complet de la pièce
de MM. SIRAUDIN, CLAIRVILLE & KONING, la musique des principaux airs de CHARLES LEGOCQ, les costumes coloriés dessinés par
GRÉVIN, des vignettes dessinées par P. HADOL, les portraits des auteurs et des créateurs des rôles, et une notice historique sur la pièce
par JULES CLARETIE.
Toute personne qui prendra un abonnement d'un an ou qui renouvellera, par anticipation, son abonnement, également pour un an, aura le droit de
retirer gratuitement dans les bureaux de VÉclipse un exemplaire de l'édition illustrée de la FILLE DE MADAME ANGOT. — Les abonnés des départements
qui désireront recevoir le volume à domicile devront envoyer 8 fr. 60 c, représentant le prix de l'abonnement et les frais de port de la prime.
LETTRES D'UN RÉSERVISTE MARIÉ
A SA FEMME
Lyon, 10 septembre 1895.
Ma chère Honorine,
Je t'apprends avec un certain plaisir que depuis ma pré-
cédente lettre, une heureuse modification s'est produite en
moi.
Pendant les trois ou quatre premiers jours de mon incor-
poration au 99° de ligne, je trouvais la chose un peu désa-
gréable — pour ne pas dire beaucoup — et c'est-ce qui a fait
que ma dernière lettre a dû te sembler empreinte d'un cer-
tain sentiment de mauvaise humeur.
Je regrette de t'avoir donné cet ennui, car, en somme, la
corvée est beaucoup moins pénible que je ne me l'étais
figuré.
Petit à petit la répugnance que j'avais ressentie au début
disparaît. Et puis, la réflexion arrive, et ce que la réflexion
nous dit à tous, c'est que, après tout, ce que l'on exige de
nous aujourd'hui était diablement utile.
Quand on arrive à comprendre que l'on fait quelque
chose d'utile, il faudrait que cela fût fichtrement lourd pour
que ça ne parût pas supportable.
Bief, ne te tourmente pas : tout va ici aussi bien que
possible et, à part une petite courbatura que j'ai attrapée le
jour de notre première promenade militaire, je n'ai eu
aucune indisposition.
Dans ta dernière lettre, tu ne me dis rien des affaires ;
je pense néanmoins que tout marche à peu près à la bouti-
que. N'oublie pas de réassortir la vitrine de la papeterie.
Quand je suis parti, il manquait de la cire à cacheter fine,
du papier à lettres fin et des plumes de ronde.
Le colonel nous a visités hier. C'est un bon gros réjoui,
très-jovial et très-encourageant. Cependant, il ne faut pas
s'y fier ; il n'a pas l'air de plaisanter avec le service, et il
voit tout, cet animal-là. Il a flanqué trois jours de salle de
police à un jeune spldat de notte compagnie qui n'avait pas
bien nettoyé son fusil.
Pour nous autres, il n'est pas si dur, parce que nous
n'avons pas l'habitude. Il en passe beaucoup, à la condition
qu'on n'y mette pas de mauvaise volonté. Ah ! par exemple,
pour la mauvaise volonté, il est impiioyable.
L'autre jour il a appris r"qu'un réserviste avait refusé de
faire une petite corvée — assez désagréable d'ailleurs. Il l'a
attrapé ferme devant toute la chambrée,et l'a consignépour
trois jours.
En somme, il est impossible de ne pas donner raison au
colonel ; nous ne sommes pas ici aussi douillettement que
chez nous, c'est vrai, mais on ne nous y a pas fait venir non
plus pour apprendre à nous faire servir par les autres.
Je pense à une chose : tu sais que samedi prochain tu as
une facture de 1.427 francs à payer au marchand de carton.
Il faudra envoyer Julien faire quelques recettes dans la
clientèle ; et puis, tu pourras négocier le biliet Boudarel, ça
t'aidera.
Demain matin, il parait que nous avons exercice à six
heures, dans la cour de la caserne, devant le général. Je
m'en vais demander ce soir au sergent Croubanstal de me
faire faire une bonne séance de maniement. Il ne faut pas
que nous ayons l'air plus bêtes que les autres.
Ahl à propos... si tu as besoin d'enveloppes gommées pour
le détail, j'ai mis le paquet dans l'armoire de gauche, en
bas, derrière le comptoir.
Je t'écrirai un de ces jours ; embrasse'bien les bébés et
tâche de les sortir un peu dimanche, surtout pour Marie,
qui était pâlotte à mon départ.
Je t'embrasse.
XXX
Paris, 13 septembre.
Mon cher Félix,
J'ai reçu ta dernière lettre avec beaucoup de joie. Je suis
d'autant plus heureuse de te savoir le moral un peu meil-
leur, que moi aussi, de mon côté, j'ai réfléchi depuis ton
départ. Cette séparation, qui nous affectait tous deux, est
toujours aussi pénible pour moi, tu n'en doutes pas; mais,
comme à toi, la pensée m'est venue qu'elle était nécessaire,
et aujourd'hui, tout en désirant ton prochain retour, j'en
suis arrivée à être presque hère de ton absence.
Avant-hier le vieux capitiine retraité et manchot qui t'ap-
porte souvent des livres à relier, tu sais bien... M. Verlière
est venu pour voir si son Histoire du Consulat et de l'Empire
était prête.
— Tiens!... a-t-il dit en entrant de son ton brusque et
aimable que tu lui connais... Où est donc votre mari?
Je lui ai répondu que tu étais absent pour quelques jours
seulement, craignant qu'il ne fût contrarié que ses livres ne
soient pas prêts.
Mais il a insisté et j'ai fini par lui avouer que tu étais à
Lyon comme réserviste.
N.. d. D... à la bonne heure!... s'est-il écrié. Mon fils aussi
est réserviste et j'espère bien que... mais enfin suffit!...
Puis, tapant doucement sur la joue de notre petit Georges,
il lui a donné une belle pièce de cent sous en lui disant :
— Et toi... galopin!... quand est-ce que tu pars?...
— Oh! moi, monsieur, a répondu Georges d'un air décidé,
je suis de la réserve de la réserve.
Mon cher Félix, je t'assure que toutes ces réflexions adou-
cissent bien l'amertume d'un mois d'abs.nce. Nous atten-
dons tous ton retour avec impatience ; mais, foi d'honnête
femme, je crois que je ne serai pas plus heureuse de te voir
revenir de là-bas que de pouvoir me dire que tu y as été.
N'aie pas de soucis de la maison. Tout marche à peu
près. — J'ai payé la facture Duhamel samedi. Il y a un peu
de tirage pour les rentrées parce que depuis que tu n'es pas
là, je ne puis quitter la maison, mais enfin, ça ira.
Du reste, tu sais que notre premier ouvrier Galibois est
absent. Il est aussi réserviste, et, comme tu me l'as recom-
mandé, je ne l'ai pas remplacé, ce n'est que trop juste qu'il
ne perde pas sa place pour avoir été servir son pays.
Ses deux camarades font quelques heures en plus et on
arrive à peu près en attendant.
Je ne sais pas si je dois faire des confitures de poires cette
année; elles ne sont pas trop chères, qu'en penses-tu?
Notre petite Marie vient de faire une dent. Ta mère se
porte bien.
A bientôt, nous t'embrassons tous.
XXX
Lyon, 1C septembre.
Ma chère Honorine,
Je m'habitue de mieux en mieux à mon séjour ici, ma
santé est excellente.
De plus en plus aussi je me pénètre de l'idée que nous
faisons une excellente chose et je suis heureux de penser que
de ton côté tu as fait les mêmes réflexions.
C'est une bien grande chance que nous n'ayons pas,
comme nous en avions d'abord eu l'intention, fait des dé-
marches pour me faire exempter de mon service.
D'ailleurs nous n'y aurions pas réussi; il n'y a aucune
exception. Mais en admettant que nous y soyons arrivés, je
te promets qu'aujourd'hui je serais bien honteux d'avoir
profité d'une protection quelconque pour ne pas faire ce que
tout le monde ici fait avec tant de cœur.
N'oublie pas que c'est jeudi la fête de ma sœur, tu sais que
nous y dînons d'habitude à cette occasion; vas-y avec les en-
fants. Comme cadeau à mon petit neveu Alphonse, porte-lui
de ma part un beau petit fusil, c'est ce qu'on peut donner de
mieux aux bambins de huit ans.
Je te dirai — chose qui va peut-être t'étonner — que je
prends positivement goût à nos exercices. Tout cela m'inté-
resse et m'excite, et j'en suis arrivé à ne plus comprendre
comment il peut y avoir dans une nation comme la France,
surtout après ce que tu sais, un seul homme valide qui ne
soit capable de manier un chassepot.
Ah ! comme nous nous sommes trompés ou plutôt comme
nous avons été. trompés pendant longtemps... enfin!...
As-tu peûsé à faire vérifier notre compteur, tu sais qu'il
y avait une fuite de gaz quelque part.
Tu ne peux pas te faire une idée du bon effet que produit
l'introduction des réservistes dans les régiments. 11 faut voir
ça de près.
D'abord les vieux nou3 regardaient en goguenardant un
peu ; mais, quand ils ont vu qu'on y allait de tout cœur, ils
nous ont accablés d'amitiés.
Ah ! j'ai oublié de te dire en partant : Il y a dans l'arrière-
boutique, sur mon établi, une année de l'Eclipsé qu'un
monsieur de la rue de Trévise m'avait apportée à relier.
Fais terminer le travail par Gobinet, renvoie les volumes.
J'ai arrêté le prix à 4 fr. 50.
Oui, je crois que pela produira des résultats merveilleux.
Tu comprends... maintenant que tout le monde est soldat,
l'armée c'est la France!.-. Chaque famille a un ou plusieurs
de ses membres sous les drapeaux. Allez donc maintenant
déclarer une guerre imbécile à 6.000 lieues, vous verrez
comme la nation vous recevra.
Tu sais que nous n'avons payé que huic douzièmes de
nos contributions, fuis porter une cinquantaine de francs si
tu peux.
Et n'oublie pas le ramonage des cheminées.
Un autre excellent effet du nouveau système c'est de faire
bien comprendre au soldat qu'il n'est et ne peut jamais être
autre chose que le défenseur de sa patrie, ce qui rendra
impossible pour l'avenir, heureusement, la réalisation des
Deux-Décembre, si toutefois, ce que je ne pense pas, quelque
misérable se croyait en mesure d'en tenter un.
Je crois que tu ferais bien de donner à notre petite Marie
un peu de sirop contre les vers.
Pour les confitures, fais ce que tu voudras.
Enfin, ma chère Honorine, je vois approcher avec joie, il
est vrai, le moment où je pourrai aller t'embrasser, toi et
mes chers enfants ; rnais vrai, je ne demanderais pas une
faveur qui pût me procurer ce plaisir une heure plus tôt
qu'aux autres.
Nous sommes ici tous pareils, désireux d'arriver au bout
. de nos vingt-huit jours ; mais plus désireux encore de les
avoir bien employés, afin de pouvoir aller vous retrouver
tous : femmes, sœurs, mères et enfants, contents de nous-
mêmes et le cœur léger — mais cette fois dans la bonne ac-
ception du mot.
A bientôt, ma chère femme ; je vous embrasse de tout
mon cœur, toi et les bébés.
Le colonel nous a dit ce matin qu'il était très-content de
nous. Tu ne peux pas te figurer à quel point ça remonte!,..
Il ne faudrait pas que notre séjour ici durât longtemps.
Nous serions tous capables de ne plus vouloir partir et de
nons engager pour sept ans.
Surtout empêche Georges de manger trop de fruits verts,
et recommande bien à sa pension qu'on lui fasse faire beau-
coup de gymnastique.
*#*
Pour copie conforme :
LÉON BIENVENU
Él FACTION MM LES ROSES
Cette histoire m'a été contée au théâtre de là Porte Saint-
Martin, pendant un entr'aete, par un jeune pompier mélan-
colique, dont j'avais troublé la rêverie.
Tandis que les machinistes mettaient en coupe réglée les
chênes séculaires d'une forêt de carton, ce pompier et moi
nous nous premenions côte à côte, au milieu des meuble?
précieux, renversant parfais les ftacam de via cfs Chypre û'
les coupes d'or fin.
Naturellement nous causions; car il n'est pas sans exem-
ple, on me l'accordera, de voir des dialogues s'établir entre
les hommes à casque et les simples mortels à chapeau noir.
Nous causions donc, et voici ee qu'il me disait ;
<< J'ai fait de trop nombreuses factions dans mon exis-
tence. Des coulisses de l'Opéra aux coulisses de la salle Mo-
lière, en passant par tous les endroits puhlies imaginables,
il n'est pas un plancher à trappe que n'ait foulé ma bette.
Je connais tous les dessous possibles. Le théâtre n'a plU;8 4e
mystères pour moi. Je suis blasé sur le plaisir que les en-
fants, petits ou grands, trouvent à ouvrir le ventre des
choses pour voir ce qu'il y a dedans. J'ai tout vu, je sais
tout, comme le barbier madrilène; mais, comme lui, je suis
enrayé par le souvenir d'une femme : ô femmesl femmes !.,•
« Tenez, monsieur, l'histoire de mon seul amour, de ma
première et dernière passion, vaut la peine d'être enten-
due... »
—- Place au théâtre! commanda la régisseur-.
Obéissant à l'ordre de \'ama>idiev [leuri, gomme disent les
acteurs en parlant du généreux distributeue d'amendes qui
surveille la scène, nous allâmes n<H*s, asseoir sur des sièges
qu'il me serait difficile de définir, derrière des portants où
rien ne devait nous déranger.
« Parmi les factions que ma profession m/oblige à faire,
poursuivit le pompier en autant sa brillante eoifiure, au-
cune ne m'a laLsé un souvenir plus vif, malheureusement,
que la faction extraordinaire^ inusité^ à. laq-nelle je fus con-
traint par le devoir, chez, un des ministres du faubourg
Saint-Germain, — quel besoin aurais-je de le nommer? pen-
dant uu de ces grands bals de 1 hiver dernier.
« Je le proclame, ces corvées n'ont rien qui me déplaise»
Bien payé, bien abreuvé par les soins du ministre, par les
soins des domestiques, et ptn? ses propres soins, si j'ose le
dire, le pompier, quand il a le cœur libre comme un éco-
lier en septembre, se promène, irresponsable et joyeux, au
milieu d'un septième ciel terrestre, et ne demande pas à re-
gagner la caserne ou le poste.
«Donc, un soir, je fis pattie du peloton commandé pour le
ministre dont le nom ne fait rien à eette affaire.
« Mes camarades furent placés, çà et là, dans les endroits
indiqués par la prudence, mais un poste bizarre m'était
réservé".
«A l'-extrémité d'uae immense galerie, on avait organisé
un bosquet énorrns d'arbres exotiques et de rosiers eD
pleine fleur, autour desquels une sorte de divan circulaire
étalait son velours nacarat.
« Ce fut au milieu de cet épais bocage artificiel que, P^r
une porte accessible seulement pour moi, je fus introduit
par mon caporal.
« L'asile était charmant. On l'avait garni d'un tabouret'
Je m'assis tranquillement, et, croisant mes bras sur
ceinture, je me mis à regarder, à travers les interstices <ïue
laissaient entre eux les feuillages pressés, la foule qui ser-
pentait dans la galerie.
« Un quadrille venait d'être dansé, si l'on peut donner l0
nom de danse aux glissements tristes de ce grand noDa^e'
quand j'entrai dans mon oasis ténébreuse.
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DE MADAME ANGOT, charmant volume grand in-8°, de grand luxe, à couverture coloriée, contenant, en dehors du texte complet de la pièce
de MM. SIRAUDIN, CLAIRVILLE & KONING, la musique des principaux airs de CHARLES LEGOCQ, les costumes coloriés dessinés par
GRÉVIN, des vignettes dessinées par P. HADOL, les portraits des auteurs et des créateurs des rôles, et une notice historique sur la pièce
par JULES CLARETIE.
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LETTRES D'UN RÉSERVISTE MARIÉ
A SA FEMME
Lyon, 10 septembre 1895.
Ma chère Honorine,
Je t'apprends avec un certain plaisir que depuis ma pré-
cédente lettre, une heureuse modification s'est produite en
moi.
Pendant les trois ou quatre premiers jours de mon incor-
poration au 99° de ligne, je trouvais la chose un peu désa-
gréable — pour ne pas dire beaucoup — et c'est-ce qui a fait
que ma dernière lettre a dû te sembler empreinte d'un cer-
tain sentiment de mauvaise humeur.
Je regrette de t'avoir donné cet ennui, car, en somme, la
corvée est beaucoup moins pénible que je ne me l'étais
figuré.
Petit à petit la répugnance que j'avais ressentie au début
disparaît. Et puis, la réflexion arrive, et ce que la réflexion
nous dit à tous, c'est que, après tout, ce que l'on exige de
nous aujourd'hui était diablement utile.
Quand on arrive à comprendre que l'on fait quelque
chose d'utile, il faudrait que cela fût fichtrement lourd pour
que ça ne parût pas supportable.
Bief, ne te tourmente pas : tout va ici aussi bien que
possible et, à part une petite courbatura que j'ai attrapée le
jour de notre première promenade militaire, je n'ai eu
aucune indisposition.
Dans ta dernière lettre, tu ne me dis rien des affaires ;
je pense néanmoins que tout marche à peu près à la bouti-
que. N'oublie pas de réassortir la vitrine de la papeterie.
Quand je suis parti, il manquait de la cire à cacheter fine,
du papier à lettres fin et des plumes de ronde.
Le colonel nous a visités hier. C'est un bon gros réjoui,
très-jovial et très-encourageant. Cependant, il ne faut pas
s'y fier ; il n'a pas l'air de plaisanter avec le service, et il
voit tout, cet animal-là. Il a flanqué trois jours de salle de
police à un jeune spldat de notte compagnie qui n'avait pas
bien nettoyé son fusil.
Pour nous autres, il n'est pas si dur, parce que nous
n'avons pas l'habitude. Il en passe beaucoup, à la condition
qu'on n'y mette pas de mauvaise volonté. Ah ! par exemple,
pour la mauvaise volonté, il est impiioyable.
L'autre jour il a appris r"qu'un réserviste avait refusé de
faire une petite corvée — assez désagréable d'ailleurs. Il l'a
attrapé ferme devant toute la chambrée,et l'a consignépour
trois jours.
En somme, il est impossible de ne pas donner raison au
colonel ; nous ne sommes pas ici aussi douillettement que
chez nous, c'est vrai, mais on ne nous y a pas fait venir non
plus pour apprendre à nous faire servir par les autres.
Je pense à une chose : tu sais que samedi prochain tu as
une facture de 1.427 francs à payer au marchand de carton.
Il faudra envoyer Julien faire quelques recettes dans la
clientèle ; et puis, tu pourras négocier le biliet Boudarel, ça
t'aidera.
Demain matin, il parait que nous avons exercice à six
heures, dans la cour de la caserne, devant le général. Je
m'en vais demander ce soir au sergent Croubanstal de me
faire faire une bonne séance de maniement. Il ne faut pas
que nous ayons l'air plus bêtes que les autres.
Ahl à propos... si tu as besoin d'enveloppes gommées pour
le détail, j'ai mis le paquet dans l'armoire de gauche, en
bas, derrière le comptoir.
Je t'écrirai un de ces jours ; embrasse'bien les bébés et
tâche de les sortir un peu dimanche, surtout pour Marie,
qui était pâlotte à mon départ.
Je t'embrasse.
XXX
Paris, 13 septembre.
Mon cher Félix,
J'ai reçu ta dernière lettre avec beaucoup de joie. Je suis
d'autant plus heureuse de te savoir le moral un peu meil-
leur, que moi aussi, de mon côté, j'ai réfléchi depuis ton
départ. Cette séparation, qui nous affectait tous deux, est
toujours aussi pénible pour moi, tu n'en doutes pas; mais,
comme à toi, la pensée m'est venue qu'elle était nécessaire,
et aujourd'hui, tout en désirant ton prochain retour, j'en
suis arrivée à être presque hère de ton absence.
Avant-hier le vieux capitiine retraité et manchot qui t'ap-
porte souvent des livres à relier, tu sais bien... M. Verlière
est venu pour voir si son Histoire du Consulat et de l'Empire
était prête.
— Tiens!... a-t-il dit en entrant de son ton brusque et
aimable que tu lui connais... Où est donc votre mari?
Je lui ai répondu que tu étais absent pour quelques jours
seulement, craignant qu'il ne fût contrarié que ses livres ne
soient pas prêts.
Mais il a insisté et j'ai fini par lui avouer que tu étais à
Lyon comme réserviste.
N.. d. D... à la bonne heure!... s'est-il écrié. Mon fils aussi
est réserviste et j'espère bien que... mais enfin suffit!...
Puis, tapant doucement sur la joue de notre petit Georges,
il lui a donné une belle pièce de cent sous en lui disant :
— Et toi... galopin!... quand est-ce que tu pars?...
— Oh! moi, monsieur, a répondu Georges d'un air décidé,
je suis de la réserve de la réserve.
Mon cher Félix, je t'assure que toutes ces réflexions adou-
cissent bien l'amertume d'un mois d'abs.nce. Nous atten-
dons tous ton retour avec impatience ; mais, foi d'honnête
femme, je crois que je ne serai pas plus heureuse de te voir
revenir de là-bas que de pouvoir me dire que tu y as été.
N'aie pas de soucis de la maison. Tout marche à peu
près. — J'ai payé la facture Duhamel samedi. Il y a un peu
de tirage pour les rentrées parce que depuis que tu n'es pas
là, je ne puis quitter la maison, mais enfin, ça ira.
Du reste, tu sais que notre premier ouvrier Galibois est
absent. Il est aussi réserviste, et, comme tu me l'as recom-
mandé, je ne l'ai pas remplacé, ce n'est que trop juste qu'il
ne perde pas sa place pour avoir été servir son pays.
Ses deux camarades font quelques heures en plus et on
arrive à peu près en attendant.
Je ne sais pas si je dois faire des confitures de poires cette
année; elles ne sont pas trop chères, qu'en penses-tu?
Notre petite Marie vient de faire une dent. Ta mère se
porte bien.
A bientôt, nous t'embrassons tous.
XXX
Lyon, 1C septembre.
Ma chère Honorine,
Je m'habitue de mieux en mieux à mon séjour ici, ma
santé est excellente.
De plus en plus aussi je me pénètre de l'idée que nous
faisons une excellente chose et je suis heureux de penser que
de ton côté tu as fait les mêmes réflexions.
C'est une bien grande chance que nous n'ayons pas,
comme nous en avions d'abord eu l'intention, fait des dé-
marches pour me faire exempter de mon service.
D'ailleurs nous n'y aurions pas réussi; il n'y a aucune
exception. Mais en admettant que nous y soyons arrivés, je
te promets qu'aujourd'hui je serais bien honteux d'avoir
profité d'une protection quelconque pour ne pas faire ce que
tout le monde ici fait avec tant de cœur.
N'oublie pas que c'est jeudi la fête de ma sœur, tu sais que
nous y dînons d'habitude à cette occasion; vas-y avec les en-
fants. Comme cadeau à mon petit neveu Alphonse, porte-lui
de ma part un beau petit fusil, c'est ce qu'on peut donner de
mieux aux bambins de huit ans.
Je te dirai — chose qui va peut-être t'étonner — que je
prends positivement goût à nos exercices. Tout cela m'inté-
resse et m'excite, et j'en suis arrivé à ne plus comprendre
comment il peut y avoir dans une nation comme la France,
surtout après ce que tu sais, un seul homme valide qui ne
soit capable de manier un chassepot.
Ah ! comme nous nous sommes trompés ou plutôt comme
nous avons été. trompés pendant longtemps... enfin!...
As-tu peûsé à faire vérifier notre compteur, tu sais qu'il
y avait une fuite de gaz quelque part.
Tu ne peux pas te faire une idée du bon effet que produit
l'introduction des réservistes dans les régiments. 11 faut voir
ça de près.
D'abord les vieux nou3 regardaient en goguenardant un
peu ; mais, quand ils ont vu qu'on y allait de tout cœur, ils
nous ont accablés d'amitiés.
Ah ! j'ai oublié de te dire en partant : Il y a dans l'arrière-
boutique, sur mon établi, une année de l'Eclipsé qu'un
monsieur de la rue de Trévise m'avait apportée à relier.
Fais terminer le travail par Gobinet, renvoie les volumes.
J'ai arrêté le prix à 4 fr. 50.
Oui, je crois que pela produira des résultats merveilleux.
Tu comprends... maintenant que tout le monde est soldat,
l'armée c'est la France!.-. Chaque famille a un ou plusieurs
de ses membres sous les drapeaux. Allez donc maintenant
déclarer une guerre imbécile à 6.000 lieues, vous verrez
comme la nation vous recevra.
Tu sais que nous n'avons payé que huic douzièmes de
nos contributions, fuis porter une cinquantaine de francs si
tu peux.
Et n'oublie pas le ramonage des cheminées.
Un autre excellent effet du nouveau système c'est de faire
bien comprendre au soldat qu'il n'est et ne peut jamais être
autre chose que le défenseur de sa patrie, ce qui rendra
impossible pour l'avenir, heureusement, la réalisation des
Deux-Décembre, si toutefois, ce que je ne pense pas, quelque
misérable se croyait en mesure d'en tenter un.
Je crois que tu ferais bien de donner à notre petite Marie
un peu de sirop contre les vers.
Pour les confitures, fais ce que tu voudras.
Enfin, ma chère Honorine, je vois approcher avec joie, il
est vrai, le moment où je pourrai aller t'embrasser, toi et
mes chers enfants ; rnais vrai, je ne demanderais pas une
faveur qui pût me procurer ce plaisir une heure plus tôt
qu'aux autres.
Nous sommes ici tous pareils, désireux d'arriver au bout
. de nos vingt-huit jours ; mais plus désireux encore de les
avoir bien employés, afin de pouvoir aller vous retrouver
tous : femmes, sœurs, mères et enfants, contents de nous-
mêmes et le cœur léger — mais cette fois dans la bonne ac-
ception du mot.
A bientôt, ma chère femme ; je vous embrasse de tout
mon cœur, toi et les bébés.
Le colonel nous a dit ce matin qu'il était très-content de
nous. Tu ne peux pas te figurer à quel point ça remonte!,..
Il ne faudrait pas que notre séjour ici durât longtemps.
Nous serions tous capables de ne plus vouloir partir et de
nons engager pour sept ans.
Surtout empêche Georges de manger trop de fruits verts,
et recommande bien à sa pension qu'on lui fasse faire beau-
coup de gymnastique.
*#*
Pour copie conforme :
LÉON BIENVENU
Él FACTION MM LES ROSES
Cette histoire m'a été contée au théâtre de là Porte Saint-
Martin, pendant un entr'aete, par un jeune pompier mélan-
colique, dont j'avais troublé la rêverie.
Tandis que les machinistes mettaient en coupe réglée les
chênes séculaires d'une forêt de carton, ce pompier et moi
nous nous premenions côte à côte, au milieu des meuble?
précieux, renversant parfais les ftacam de via cfs Chypre û'
les coupes d'or fin.
Naturellement nous causions; car il n'est pas sans exem-
ple, on me l'accordera, de voir des dialogues s'établir entre
les hommes à casque et les simples mortels à chapeau noir.
Nous causions donc, et voici ee qu'il me disait ;
<< J'ai fait de trop nombreuses factions dans mon exis-
tence. Des coulisses de l'Opéra aux coulisses de la salle Mo-
lière, en passant par tous les endroits puhlies imaginables,
il n'est pas un plancher à trappe que n'ait foulé ma bette.
Je connais tous les dessous possibles. Le théâtre n'a plU;8 4e
mystères pour moi. Je suis blasé sur le plaisir que les en-
fants, petits ou grands, trouvent à ouvrir le ventre des
choses pour voir ce qu'il y a dedans. J'ai tout vu, je sais
tout, comme le barbier madrilène; mais, comme lui, je suis
enrayé par le souvenir d'une femme : ô femmesl femmes !.,•
« Tenez, monsieur, l'histoire de mon seul amour, de ma
première et dernière passion, vaut la peine d'être enten-
due... »
—- Place au théâtre! commanda la régisseur-.
Obéissant à l'ordre de \'ama>idiev [leuri, gomme disent les
acteurs en parlant du généreux distributeue d'amendes qui
surveille la scène, nous allâmes n<H*s, asseoir sur des sièges
qu'il me serait difficile de définir, derrière des portants où
rien ne devait nous déranger.
« Parmi les factions que ma profession m/oblige à faire,
poursuivit le pompier en autant sa brillante eoifiure, au-
cune ne m'a laLsé un souvenir plus vif, malheureusement,
que la faction extraordinaire^ inusité^ à. laq-nelle je fus con-
traint par le devoir, chez, un des ministres du faubourg
Saint-Germain, — quel besoin aurais-je de le nommer? pen-
dant uu de ces grands bals de 1 hiver dernier.
« Je le proclame, ces corvées n'ont rien qui me déplaise»
Bien payé, bien abreuvé par les soins du ministre, par les
soins des domestiques, et ptn? ses propres soins, si j'ose le
dire, le pompier, quand il a le cœur libre comme un éco-
lier en septembre, se promène, irresponsable et joyeux, au
milieu d'un septième ciel terrestre, et ne demande pas à re-
gagner la caserne ou le poste.
«Donc, un soir, je fis pattie du peloton commandé pour le
ministre dont le nom ne fait rien à eette affaire.
« Mes camarades furent placés, çà et là, dans les endroits
indiqués par la prudence, mais un poste bizarre m'était
réservé".
«A l'-extrémité d'uae immense galerie, on avait organisé
un bosquet énorrns d'arbres exotiques et de rosiers eD
pleine fleur, autour desquels une sorte de divan circulaire
étalait son velours nacarat.
« Ce fut au milieu de cet épais bocage artificiel que, P^r
une porte accessible seulement pour moi, je fus introduit
par mon caporal.
« L'asile était charmant. On l'avait garni d'un tabouret'
Je m'assis tranquillement, et, croisant mes bras sur
ceinture, je me mis à regarder, à travers les interstices <ïue
laissaient entre eux les feuillages pressés, la foule qui ser-
pentait dans la galerie.
« Un quadrille venait d'être dansé, si l'on peut donner l0
nom de danse aux glissements tristes de ce grand noDa^e'
quand j'entrai dans mon oasis ténébreuse.