L’EXPOSITION DE PARIS
106
LE PAVILLON DU CREUZOT
LE MARTEAU-PI LO N
Le grand pavillon où la Compagnie du
Creuzot expose ses produits se trouve sur
une des grandes avenues qui sillonnent le
parc du Champ-de-Mars, à droite du pont
d’Iéna en se rendant vers ce pont, entre
le pavillon du ministère des travaux pu-
blies et celui de la compagnie de Terre-
Noire, Lavoulte et Bességes. Avant de
pénétrer dans ce pavillon, on s’arrête à
examiner avec un étonnement mêlé d’ad-
miralion le modèle du gigantesque mar-
teau-pilon à vapeur employé dans l’usine,
qui se dresse devant, affectant, comme on
l’a dit justement, l’apparence d’un por-
tique babylonien. Qu’on nous permette
d'entrer d’abord; nous reviendrons en-
suite au marteau-pilon, qui en vaut certes
bien la peine.
L’exposition du Creuzot abonde en pro-
duits métallurgiques intéressants. Le fer
y est pris à sa naissance, c’est-à-dire à
l'état de minerai, et conduit, à travers
cent transformations étranges, jusqu’au
point où, ayant subi l’application de la
méthode Bessemer, il est devenu acier;
témoin ce bloc d’acier mesurant 4 mètres
carrés à sa base, haut de 4 mètres envi-
ron et pesant 110 tonnes. Mais ce n’est
pas le but, ce n’est que la grand’halte. Le
tas de minerai, peu séduisant à l’œil,
fondu, furgé, étiré, taillé, limé, deviendra
outil de paix et de civilisation, bielle,
piston, arbre de couche, marteau-pilon,
ou quelque terrible engin de meurtre et
de dévastation en usage dans l'artillerie
de la nation la plus pacifique et la plus
civilisée. — Voici une machine delà force
de 2,600 chevaux destinée au navire à va-
peur Mylho; voici une locomotive perfec-
tionnée, la Bresse, à laquelle un nouveau
système de distribution de la vapeur, dont
on attend beaucoup, a été appliqué; plus
loin, une plaque de blindage, une simple
plaque de blindage pesant 65 tonnes, etc.
Au centre du pavillon est exposé un
plan en relief, à l’échelle de 2 milli-
mètres par mètre, de l’établissement du
Creuzot avec toutes ses dépendances. Enfin
là est également exposé le monument en
bronze élevé à l'ancien directeur de la
société du Creuzot et président du Corps
législatif, M. Schneider, œuvre de
M. Chapu. — Revenons maintenant au
marteau-pilon.
Cette gigantesque machine se compose
de deux montants soutenant à leur partie
supérieure un cylindre à vapeur. La dis-
tribution de la vapeur est réglée au moyen
d'un levier coudé qu’un aide, placé sur
une pètite plate-forme fixée à l’un des
montants, fait mouvoir : un enfant peut
suffire à cette besogne. Le marteau, sou-
levé quand la vapeur arrive sous le piston,
ne retombe pas seulement par l’effet de
son propre poids, mais par l'addition à ce
poids de la force produite par la vapeur
agissant sur le piston. Une énorme masse
de fonte dans laquelle une panne est fixée,
tel est le marteau proprement dit; cette
panne est mobile et peut être remplacée
sans beaucoup de peine par une autre en
cas d’accident, ou par tout autre engin,
suivant le travail à exécuter. Quant à l’en-
clume, elle est fixée dans une chabotte au
moyen de coins de fer, ou dans des fon-
dations d’une solidité et d'une résistance
considérables. On comprend que le mar-
teau-pilon est surtout employé à forger et
à souder de grosses pièces impossibles à
travailler sans son secours; mais il sert
aussi à étirer et à parer et l'on peut lui
confier au besoin le travail des pièces les
plus délicates; car si c’est grâce à lui que
nous avons le bonheur de posséder les
canons Krupp, Palliser et autres, il est
très-capable d’arrêter sa chute au contact
d’une coquille de noix sans la briser.
On a fait beaucoup de bruit, en
mai 1874, autour du fameux marteau à
vapeur construit, pour l’arsenal de Wool-
wich, par MM. Nasmyth et Ci0; on a aussi
beaucoup parlé de celui de l’usine Krupp.
Le marteau-pilon de Woolwich pèse un
peu plus de 39 tonnes, celui de l’usine
Krupp 50 tonnes, celui du Creuzot 60 ton-
nes. Le marteau-pilon du Creuzot a
5 mètres de chute totale, soit 4 mètres,
déduction faite de la saillie de la panne;
celui de la fonderie d’Essen n’a que
3 mètres de chute, 2 mètres net, par con-
séquent : on peut juger de la différence.
L’invention du marteau-pilon est une
des plus importantes du siècle; aussi s’en
dispute-t-on la priorité. Suivant nos voi-
sins de l’autre côté de la Manche, l’idée en
aurait été suggérée à M. Nasmyth, de Man-
chester, par un de ses correspondants qui
venait de recevoir la commande d’un arbre
de couche de 3 pieds de diamètre pour
navire à vapeur, et qui ne savait à qui s’en
prendre «pour forger une pareille pièce.
Nous ignorons absolument à quelle époque
l’idée du marteau-pilon a pu venir à l’es-
prit du directeur du Creuzot, et dans quelles
circonstances. Ce que nous savons, c’est
que le brevet de M. Schneider porte la
date du 19 avril 1841 et que celui de
M. Nasmyth est de deux mois plus jeune.
Cette question de-priorité n'a d’ailleurs
pour nous aucune espèce d’intérêt, et celui
des deux rivaux dont le droit pourrait être
contesté ne nous paraît en rien moins mé-
ritant ou moins glorieux que l'autre.
A. B.
L’EXPOSITION CHINOISE
Entre le Japon et l’Espagne, la Chine
élève sa façade caractéristique, bien ca-
ractéristique en vérité, si elle n’a que ce
mérite, avec ses angles relevés vers le ciel :
les toits en Chine suivent l'exemple des
paupières, et je ne serais point étonné
qu’il en fût de même partout où l’on obéit
à son propre génie.
Cette façade représente une construc-
tion carrée, aux murs couleur d'ardoise
décorés de losanges et d’octogones tracés
en blanc. Deux baies fermées d’un châs-
sis en bois artistement découpé, de cou-
leur blanc azuré, sont percées dans ce mur
de chaque côté d’une porte massive rouge
vif, bizarrement décorée de saillies cylin-
driques de même couleur dont le centre
est orné de pièces de monnaie d’or percées
d'un trou carré. Cette porte est surmontée
d’un écusson portant une inscription chi-
noise en caractères dorés, gardé par deux
guerriers indigènes en bois peint, sculptés
avec un art infini et armés jusqu’aux
dents. Au-dessus, un couronnement en
bois noir découpé, formant un double
toit aux angles retroussés comme il con-
vient.
Nous avons dit précédemment avec
quel soin les Chinois ont préparé leur ex-
position, l’activité déployée par leur com-
mission impériale, l’habileté de leurs
ouvriers qui a si vivement frappé les
visiteurs des travaux, avant l’ouverture
de l’Exposition. Nous avons eu soin de
dire quel homme éminent, à l'occasion de
notre grande fête internationale, la Chine
avait eu le bon esprit d’accréditer auprès
de notre gouvernement. Il nous reste à
faire une visite à l’exposition et aux expo-
sants de cet intéressant pays.
On a critiqué l’architecture de la façade
chinoise: c’est l’architecture caractéris-
tique, il nous paraît utile d’y insister, et à
ce titre il en est peu, dans la rue des Na-
tions, qui soient plus vraiment dignes
d’attention. Le Chinois repousse avec dé-
dain la redingote et le tuyau de poêle eu-
ropéens; nous n’avons pas le courage de
l’en blâmer. Et naïvement, honnêtement,
lorsqu’on lui demande de l’architecture
chinoise, ayant déjà protesté contre le
bibelot, la fantaisie, il fait de l’architec-
ture chinoise. Que peut-on bien lui de-
mander de plus?
Quant à l’exposition, c’est proprement
un amoncellement de merveilles. Porce-
laines, bronzes, émaux, laques ; meubles
précieux incrustés, marquetés; éventails,
écrans, étoffes de soie les plus précieuses,
chinoiseries (c’est tout dire) les plus va-
riées ; océan de couleurs Chatoyantes,
musée d’objets d’art et de merveilles de
106
LE PAVILLON DU CREUZOT
LE MARTEAU-PI LO N
Le grand pavillon où la Compagnie du
Creuzot expose ses produits se trouve sur
une des grandes avenues qui sillonnent le
parc du Champ-de-Mars, à droite du pont
d’Iéna en se rendant vers ce pont, entre
le pavillon du ministère des travaux pu-
blies et celui de la compagnie de Terre-
Noire, Lavoulte et Bességes. Avant de
pénétrer dans ce pavillon, on s’arrête à
examiner avec un étonnement mêlé d’ad-
miralion le modèle du gigantesque mar-
teau-pilon à vapeur employé dans l’usine,
qui se dresse devant, affectant, comme on
l’a dit justement, l’apparence d’un por-
tique babylonien. Qu’on nous permette
d'entrer d’abord; nous reviendrons en-
suite au marteau-pilon, qui en vaut certes
bien la peine.
L’exposition du Creuzot abonde en pro-
duits métallurgiques intéressants. Le fer
y est pris à sa naissance, c’est-à-dire à
l'état de minerai, et conduit, à travers
cent transformations étranges, jusqu’au
point où, ayant subi l’application de la
méthode Bessemer, il est devenu acier;
témoin ce bloc d’acier mesurant 4 mètres
carrés à sa base, haut de 4 mètres envi-
ron et pesant 110 tonnes. Mais ce n’est
pas le but, ce n’est que la grand’halte. Le
tas de minerai, peu séduisant à l’œil,
fondu, furgé, étiré, taillé, limé, deviendra
outil de paix et de civilisation, bielle,
piston, arbre de couche, marteau-pilon,
ou quelque terrible engin de meurtre et
de dévastation en usage dans l'artillerie
de la nation la plus pacifique et la plus
civilisée. — Voici une machine delà force
de 2,600 chevaux destinée au navire à va-
peur Mylho; voici une locomotive perfec-
tionnée, la Bresse, à laquelle un nouveau
système de distribution de la vapeur, dont
on attend beaucoup, a été appliqué; plus
loin, une plaque de blindage, une simple
plaque de blindage pesant 65 tonnes, etc.
Au centre du pavillon est exposé un
plan en relief, à l’échelle de 2 milli-
mètres par mètre, de l’établissement du
Creuzot avec toutes ses dépendances. Enfin
là est également exposé le monument en
bronze élevé à l'ancien directeur de la
société du Creuzot et président du Corps
législatif, M. Schneider, œuvre de
M. Chapu. — Revenons maintenant au
marteau-pilon.
Cette gigantesque machine se compose
de deux montants soutenant à leur partie
supérieure un cylindre à vapeur. La dis-
tribution de la vapeur est réglée au moyen
d'un levier coudé qu’un aide, placé sur
une pètite plate-forme fixée à l’un des
montants, fait mouvoir : un enfant peut
suffire à cette besogne. Le marteau, sou-
levé quand la vapeur arrive sous le piston,
ne retombe pas seulement par l’effet de
son propre poids, mais par l'addition à ce
poids de la force produite par la vapeur
agissant sur le piston. Une énorme masse
de fonte dans laquelle une panne est fixée,
tel est le marteau proprement dit; cette
panne est mobile et peut être remplacée
sans beaucoup de peine par une autre en
cas d’accident, ou par tout autre engin,
suivant le travail à exécuter. Quant à l’en-
clume, elle est fixée dans une chabotte au
moyen de coins de fer, ou dans des fon-
dations d’une solidité et d'une résistance
considérables. On comprend que le mar-
teau-pilon est surtout employé à forger et
à souder de grosses pièces impossibles à
travailler sans son secours; mais il sert
aussi à étirer et à parer et l'on peut lui
confier au besoin le travail des pièces les
plus délicates; car si c’est grâce à lui que
nous avons le bonheur de posséder les
canons Krupp, Palliser et autres, il est
très-capable d’arrêter sa chute au contact
d’une coquille de noix sans la briser.
On a fait beaucoup de bruit, en
mai 1874, autour du fameux marteau à
vapeur construit, pour l’arsenal de Wool-
wich, par MM. Nasmyth et Ci0; on a aussi
beaucoup parlé de celui de l’usine Krupp.
Le marteau-pilon de Woolwich pèse un
peu plus de 39 tonnes, celui de l’usine
Krupp 50 tonnes, celui du Creuzot 60 ton-
nes. Le marteau-pilon du Creuzot a
5 mètres de chute totale, soit 4 mètres,
déduction faite de la saillie de la panne;
celui de la fonderie d’Essen n’a que
3 mètres de chute, 2 mètres net, par con-
séquent : on peut juger de la différence.
L’invention du marteau-pilon est une
des plus importantes du siècle; aussi s’en
dispute-t-on la priorité. Suivant nos voi-
sins de l’autre côté de la Manche, l’idée en
aurait été suggérée à M. Nasmyth, de Man-
chester, par un de ses correspondants qui
venait de recevoir la commande d’un arbre
de couche de 3 pieds de diamètre pour
navire à vapeur, et qui ne savait à qui s’en
prendre «pour forger une pareille pièce.
Nous ignorons absolument à quelle époque
l’idée du marteau-pilon a pu venir à l’es-
prit du directeur du Creuzot, et dans quelles
circonstances. Ce que nous savons, c’est
que le brevet de M. Schneider porte la
date du 19 avril 1841 et que celui de
M. Nasmyth est de deux mois plus jeune.
Cette question de-priorité n'a d’ailleurs
pour nous aucune espèce d’intérêt, et celui
des deux rivaux dont le droit pourrait être
contesté ne nous paraît en rien moins mé-
ritant ou moins glorieux que l'autre.
A. B.
L’EXPOSITION CHINOISE
Entre le Japon et l’Espagne, la Chine
élève sa façade caractéristique, bien ca-
ractéristique en vérité, si elle n’a que ce
mérite, avec ses angles relevés vers le ciel :
les toits en Chine suivent l'exemple des
paupières, et je ne serais point étonné
qu’il en fût de même partout où l’on obéit
à son propre génie.
Cette façade représente une construc-
tion carrée, aux murs couleur d'ardoise
décorés de losanges et d’octogones tracés
en blanc. Deux baies fermées d’un châs-
sis en bois artistement découpé, de cou-
leur blanc azuré, sont percées dans ce mur
de chaque côté d’une porte massive rouge
vif, bizarrement décorée de saillies cylin-
driques de même couleur dont le centre
est orné de pièces de monnaie d’or percées
d'un trou carré. Cette porte est surmontée
d’un écusson portant une inscription chi-
noise en caractères dorés, gardé par deux
guerriers indigènes en bois peint, sculptés
avec un art infini et armés jusqu’aux
dents. Au-dessus, un couronnement en
bois noir découpé, formant un double
toit aux angles retroussés comme il con-
vient.
Nous avons dit précédemment avec
quel soin les Chinois ont préparé leur ex-
position, l’activité déployée par leur com-
mission impériale, l’habileté de leurs
ouvriers qui a si vivement frappé les
visiteurs des travaux, avant l’ouverture
de l’Exposition. Nous avons eu soin de
dire quel homme éminent, à l'occasion de
notre grande fête internationale, la Chine
avait eu le bon esprit d’accréditer auprès
de notre gouvernement. Il nous reste à
faire une visite à l’exposition et aux expo-
sants de cet intéressant pays.
On a critiqué l’architecture de la façade
chinoise: c’est l’architecture caractéris-
tique, il nous paraît utile d’y insister, et à
ce titre il en est peu, dans la rue des Na-
tions, qui soient plus vraiment dignes
d’attention. Le Chinois repousse avec dé-
dain la redingote et le tuyau de poêle eu-
ropéens; nous n’avons pas le courage de
l’en blâmer. Et naïvement, honnêtement,
lorsqu’on lui demande de l’architecture
chinoise, ayant déjà protesté contre le
bibelot, la fantaisie, il fait de l’architec-
ture chinoise. Que peut-on bien lui de-
mander de plus?
Quant à l’exposition, c’est proprement
un amoncellement de merveilles. Porce-
laines, bronzes, émaux, laques ; meubles
précieux incrustés, marquetés; éventails,
écrans, étoffes de soie les plus précieuses,
chinoiseries (c’est tout dire) les plus va-
riées ; océan de couleurs Chatoyantes,
musée d’objets d’art et de merveilles de