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274

L’EXPOSITION DE PARIS

resqneet séduisante pour l’œil du visiteur.
Cependant c’est le fond du pavillon qui
l’attire irrésistiblement, car il aperçoit
déjà, à travers les trois grandes arcades
qui le séparent de la partie où il se
trouve, une orgie de lumière et de couleur
inondant un décor de féerie mauresque.

Cette partie du pavillon affecte des airs
d’antique chapelle, mais ornée dans un
style et dans un goût éminemment pro-
fanes. De quelque côté qu’on se tourne, on
ne voit que des bouteilles, liqueurs et
vins, dont les couleurs curieusement assor-
ties forment comme un dessin d’un agréa-
ble motif, habilement tracé sur une riche
tapisserie. Sur les murs, autour des pi-
liers, au plafond, formant stalactites, on
ne voit que des bouteilles et toujours des
bouteilles. Le plafond est vitré, et sous les
vitres on a attaché, le goulot en bas, au
moyen de porte-bouteilles en fil de fer, des
bouteilles, pleines de liqueurs jaunes et
rouges, de sorte que lorsque le soleil vient
les frapper, les reflets en passant à travers
les liqueurs en projettent alentour les dif-
férentes couleurs, ainsi que le feraient des
vitraux d’église. Or ces rayons de lumière
colorée viennent frapper des glaces incli-
nées qui les réfléchissent et multiplient à
l’infini les images qu’ils illuminent.

L’effet est magique ; la plume se refuse
à le décrire; et un travail d’art et de pa-
tience à la fois a pu seul le faire ob-
tenir d’éléments si singulièrement ras-
semblés : il paraît qu’it n’y a pas moins de
30,000 bouteilles concourant à celte dé-
coration lumineuse!

Ajoutons que, près de l’entrée du pavil-
lon, une jeune Espagnole bien authentique
I vend aux visiteurs des cigares et des ciga-
rettes et du tabac d’Espagne sous toutes
ses formes, au plus juste prix, avec un
très-agréable sourire par-dessus le mar-
ché.

O. Renaud.

IMPRESSIONS D’UN FLANEUR

a l’exposition

LE BUFFET RUSSE

Buffet, cabaret, taverne, cambuse, peu
importe ; mais parce qu’il manque de mu-
siciens, ce n’est pas une raison pour que
nous négligions le caboulot russe, qui est
situé comme on sait dans le parc latéral
du Champ-de-Mars bordant l’avenue de
Suffren, précisément en face de l’exposi-
tion industrielle de la Russie.

La csarda n’est pas loin, et les accords
de son orchestre tzigane parviennent jus-
qu’à nous. Les ondes sonores élargies,
comme les cercles tracés dans l’eau par les
cailloux qu’un jeune philosophe sans le
savoir y a jetés, perdent un peu de leur

vigueur excessive à cette distance, et l’on
n’y a aucune idée des évolutions épilepti-
ques des archets : c’est une amélioration.

On mange et l’on boit dans ce pavillon
moscovite d’étranges choses, et l’on y fume
des cigarettes russes parfaites, le tout
servi par de blondes devouhkas nées sur les
bords de la Néva, de laVistule, du Dnie-
per et même du Don, ou peut-être d’un
fleuve moinséloigné, — à moins qu’il n’y ait
eu aucun bord d’aucun fleuve témoin de
l’affaire. Mais elles sont en costume na-
tional et partant il n’y a rien à redire.

*

* *

En fait de solide, nous avons des pois-
sons variés, esturgeon, sterlet et autres
habitants des grands fleuves, salés bien
entendu (pas les fleuves), et raides comme
la justice politique ; nous avons aussi du
kolebjaka, autrement dit de la galette au
jambon, au bœuf fumé ou au poisson
salé ; et puis l’inévitable caviar; sans par-
ler d’une foule d’autres mets antipathiques
à toute l’échelle graduée des palais de
France et de Savoie.

Pour ce qui est du liquide, c’est bien
différent. Le thé n’a rien de rebutant,
c’est incontestable, et j’ai entendu dire
beaucoup de bien dukoumysy, qui est une
liqueur obtenue par la fermentation du
lait de jument de l’Oural... De l’Oural,
vous entendez, et non de Pantin, comme
le bruit en a couru. Mais je n'y ai pas
goûté.

Dans un kiosque spécial, une jeune et
séduisante devouhka — puisque devouhka
il y a — offre, dans des flacons de forme
peu rassurante, une boisson qui l’est abso-
lument: c’est de l’eau, de l’eau de la Néva
il est vrai, mais de l’eau, c’est-à-dire une
liqueur composée principalement de deux
parties d’hydrogène et d’une partie d’oxy-
gène, sans compter une quantité parfois
énorme de particules hétérogènes justicia-
bles de M. Pasteur.

*

* *

Où il y a trop de gêne, il y a infiniment
peu de plaisir ; aussi tous les marchands
d’eau pure ou à peu près me semblent-ils
des gens tout à fait sans gêne et qui se
font du bon sang.

J’ai là, sous la main, une bouteille d’eau
de Lourdes apportée du dernier pèlerinage
par une amie. Cette eau, prise en abon-
dance, intérieurement et extérieurement,
n’a pu la guérir d’une maladie dont l’âge
seul pourra la débarrasser, et encore...

Qu’on vende de l’eau de Lourdes ou de
laSalette, cela passe; mais qu’on apporte
au Gros-Caillou de l’eau de la Néva pour
la vendre, voilà qui me dépasse; et cou-
ronner d’un pareil succès une entreprise
pareille, cela surpasse tout ce que j’ai en-
tendu raconter des triomphes remportés

par les plus célèbres marchands de vulné
raire et d’orviétan.

*

* *

En réfléchissant un peu, pourtant,
comme cela m’arrive quelquefois, voilà
que la chose ne me paraît plus aussi ex-
traordinaire.

Non, vraiment. Et je regrette que l’idée
ne soit venue à personne d’habiller une
jeune et jolie Parisienne en pierrette ou en
débardeuse, voire en titi, et de lui faire
débiter aux jeunes débilités de l’eau de la
Seine proprement filtrée et convenable-
ment emmagasinée dans des flacons de
coupe et de couleur également séduisantes.

Je regrette surtout que celte idée ne me
soit pas venue, à moi. Je ne serais pas
allé puiser, qu’on veuille bien le croire,
ma boisson « hygiénique » en aval de
Saint-Denis, parce qu’il ne faut empoison-
ner personne; d’ailleurs à quoi bon aller
si loin?... Mais j’aurais fait des affaires
d’or !

C’est une spéculation sûre et n’exigeant
qu’un capital insignifiant. Mais quoi ! nous
ne sommes pas ingénieux, en France, dé-
cidément, ou c’est par exception.

*

* *

Pour en revenir à nos devouhkas, il faut
reconnaître qu’elles sont personnellement
très-engageantes et capables de nous en
faire avaler de toutes les couleurs.

Sous le rapport du costume, elles sont
vêtues de jupes courtes, comme les aimait
le légendaire curé de Meudon. Ces jupes
sont de couleur foncée et ornées dans le
bas d’une double bande blanche, et elles
portent, à ce qu’il paraît, le nom barbare
dv sarafane. Là-dessus est étendu un ta-
blier de toile qui exige qu’on le traite de
perednick en dépit qu’on en ait.

Ajoutons à cela un corsage lacé par de-
vant, demi-ouvert et laissant voir la che-
mise presque jusqu’à la ceinture; un col-
lier de grosses perles dorées, ou tchotki,
si vous y tenez absolument, à cinq rangs;
et pour coiffure un kakochenik (et non un
shako-schnick, comme on l’a écrit quelque
part), avec un large diadème en or, ou
plutôt en cuivre doré, etvous aurez le por-
trait authentique de la devouhka, qui l’est
peut-être moins.

* *

j’ai oublié l’épaisse chevelure blond
cendré et les bras nus, partie importante
des attraits de ces jolies filles, et la sacoche
de cuir où s’engouffre une recette toujours
abondante et variée : toutes choses qui
semblent faire partie de l’uniforme. —
Mais on voit cela d’ici.

Tout cet appareil coquet ne saurait
pourtant m’amener à boire du lait de ju-
ment fermenté, du moins j’en doute.

X. Rambler.
 
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