durer. Il a poursuivi la persistance de la vie dans ses changements
d’aspect. Il a imaginé pour elle des existences alternées. Et le désir
que nous avons de nous survivre lui a fait accorder à son âme l’éter-
nité individuelle dont la durée des phénomènes cosmiques lui don-
nait la vaine apparence.
L’homme qui meurt entrait pour lui dans la vraie vie. Mais pas
plus que toutes les conceptions immortalistes qui succédèrent à la
sienne, le désir d’immortalité des Égyptiens n’échappait à l’irrésistible
besoin d’assurer une enveloppe matérielle à l’esprit toujours vivant.
Il fallait lui construire un logis secret où son corps embaumé fût à
l’abri des éléments, des bêtes de proie, surtout des hommes. Il fallait
qu’il eût avec lui ses objets familiers, de la nourriture, de l’eau, il fal-
lait surtout que son image, enveloppe immuable du double qui ne le
quittera plus, l’accompagnât dans l’ombre définitive. Et puisque rien
ne meurt, il fallait abriter pour toujours les divinités symboliques
exprimant les lois immobiles et la résurrection des apparences, Osiris,
le feu et les astres, le Nil, les animaux sacrés qui règlent le rythme
de leurs migrations au rythme de ses crues et de ses silences.
L’art égyptien est religieux et funéraire. Il est parti de la folie
collective la plus étrange de l’histoire. Mais, comme son poème a la
mort vit, il touche à la sagesse la plus haute. L’artiste a sauve le phi-
losophe. Des temples, des montagnes élevées par la main des hommes,
ses propres falaises taillées en sphinx, en figures silencieuses, creusées
en hypogées labyrinthiques font au fleuve une allée vivante de tom-
beaux. L’Égypte entière est là, même l’Égypte actuelle qui a voulu la
plus immobile des grandes religions modernes. L’Égypte entière,
énigmes écrasées, cadavres enfouis comme des trésors, peut-être un
milliard de momies couchées dans les ténèbres. Et cette Égypte-là,
qui voulait éterniser son âme avec sa forme corporelle est morte.
Celle qui ne meurt pas, c’est celle qui a donné au grès, au granit, au
basalte, la forme de son esprit. Ainsi, l’âme humaine périt avec son
enveloppe humaine. Mais dès qu’elle est capable de tailler son
empreinte dans une matière extérieure, la pierre, le bronze, le bois,
la mémoire des générations, le papier qui se recopie, le livre qui se
réimprime et transmet de siècle en siècle le verbe héroïque et les
chants, elle acquiert cette immortalité relative qui dure ce que dure-
ront les formes sous lesquelles notre monde a suffisamment persiste
pour nous permettre de le définir et de nous définir par elles.
— 39 “
d’aspect. Il a imaginé pour elle des existences alternées. Et le désir
que nous avons de nous survivre lui a fait accorder à son âme l’éter-
nité individuelle dont la durée des phénomènes cosmiques lui don-
nait la vaine apparence.
L’homme qui meurt entrait pour lui dans la vraie vie. Mais pas
plus que toutes les conceptions immortalistes qui succédèrent à la
sienne, le désir d’immortalité des Égyptiens n’échappait à l’irrésistible
besoin d’assurer une enveloppe matérielle à l’esprit toujours vivant.
Il fallait lui construire un logis secret où son corps embaumé fût à
l’abri des éléments, des bêtes de proie, surtout des hommes. Il fallait
qu’il eût avec lui ses objets familiers, de la nourriture, de l’eau, il fal-
lait surtout que son image, enveloppe immuable du double qui ne le
quittera plus, l’accompagnât dans l’ombre définitive. Et puisque rien
ne meurt, il fallait abriter pour toujours les divinités symboliques
exprimant les lois immobiles et la résurrection des apparences, Osiris,
le feu et les astres, le Nil, les animaux sacrés qui règlent le rythme
de leurs migrations au rythme de ses crues et de ses silences.
L’art égyptien est religieux et funéraire. Il est parti de la folie
collective la plus étrange de l’histoire. Mais, comme son poème a la
mort vit, il touche à la sagesse la plus haute. L’artiste a sauve le phi-
losophe. Des temples, des montagnes élevées par la main des hommes,
ses propres falaises taillées en sphinx, en figures silencieuses, creusées
en hypogées labyrinthiques font au fleuve une allée vivante de tom-
beaux. L’Égypte entière est là, même l’Égypte actuelle qui a voulu la
plus immobile des grandes religions modernes. L’Égypte entière,
énigmes écrasées, cadavres enfouis comme des trésors, peut-être un
milliard de momies couchées dans les ténèbres. Et cette Égypte-là,
qui voulait éterniser son âme avec sa forme corporelle est morte.
Celle qui ne meurt pas, c’est celle qui a donné au grès, au granit, au
basalte, la forme de son esprit. Ainsi, l’âme humaine périt avec son
enveloppe humaine. Mais dès qu’elle est capable de tailler son
empreinte dans une matière extérieure, la pierre, le bronze, le bois,
la mémoire des générations, le papier qui se recopie, le livre qui se
réimprime et transmet de siècle en siècle le verbe héroïque et les
chants, elle acquiert cette immortalité relative qui dure ce que dure-
ront les formes sous lesquelles notre monde a suffisamment persiste
pour nous permettre de le définir et de nous définir par elles.
— 39 “