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Faure, Élie
Histoire de l'art ([Band 3]): L'art renaissant — Paris: Librarie Plon, 1948

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https://doi.org/10.11588/diglit.71102#0142
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modernes, et justifier par ses dernières œuvres les hardiesses des
artistes de notre temps.
IV
Titien a peint la vie universelle. Quand il s'agit de recueillir ses
voix, on le dirait indifférent. Toutes entrent en lui avec des droits
égaux, les corps des enfants, les chairs des femmes, les figures viriles,
les costumes fastueux ou sobres, les architectures, la terre avec ses
arbres et ses fleurs, la mer, le ciel et tous les atomes errants qui font
que la mer et le ciel ne cessent pas de combiner leurs forces. L'enthou-
siasme créateur le soulève si haut que sa sérénité ne l'abandonne pas
quand tout ce monde assimilé et recréé dans un ordre nouveau sort
de lui, par ondes toujours plus longues et plus larges. Cela s'organise
en symphonies où tout ce qui est humain retentit en échos ininter-
rompus dans tout ce qui ne vit que d'une vie instinctive et obscure,
où tout ce qui est matériel pénètre les formes humaines d'une confuse
éternité.
A Venise, plus de crêtes détachées dans le diamant de l'atmosphère
plus de lignes impérieuses découpant sur le ciel les collines et les ter-
rasses étagées. Rien que l'espace où les choses tremblent, se combinent,
et se dissocient, un monde de reflets que modifient, intervertissent,
suppriment, multiplient les heures du jour et les saisons, une opale
mouvante où les irisations de la lumière, à travers la poussière d'eau,
interdisent de définir les couleurs et les lignes, font apparaître les
formes mêmes comme des objets transitoires qui sortent sans arrêt
de la matière en mouvement pour y rentrer et s'y refondre avant d'en
ressortir. Sur les palais mordorés ou pourpres ou recouverts de croûtes
d'or moisies, toutes les couleurs du prisme s'éveillent, s'effacent,
renaissent, se prolongent en traînées épaisses, avec les contours trem-
blotants des pierres, dans l'eau grasse où la fermentation des matières
organiques fait rouler des phosphorescences. Le miroir de la mer
a ses reflets dans les vapeurs qui montent d'elle sous la pluie des rayons,
et quand elles passent en nuées au-dessus des canaux miroitants,
le ciel leur renvoie des ombres glauques et réfléchit le fantôme aérien
des moires où le clapotement des vagues mêle la turquoise et le ver-
millon, les verts, les jaunes d'or, les rouges, les orangés des façades
ornées de drapeaux et des cortèges de gondoles.
Toute la peinture du Titien est là, après elle toute la peinture de
Venise, après la peinture de Venise toutes les peintures vivantes qui

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