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sens et la moralité du monde. C'est une question de mots. Il n'est
pas un de ceux pour qui la forme n'est qu'un moyen de traduire des
idées pures, qu'il s'appelle Giotto, Vinci ou Michel-Ange, qui ne soit
doué au degré le plus haut du sens de la réalité vivante et qui ne l'in-
corpore à sa propre substance après l'avoir vécue passionnément. Il
n'est pas un de ceux pour qui la forme soit la fin, qu'il s'appelle Titien,
Rubens ou même Vélasquez, dont l'objectivisme ne cesse au moment
où il a fini d'assembler les matériaux de l'œuvre pour les transposer
tous dans une réalité imaginaire qui définira son esprit. Tous les lan-
gages que nous parlons, la peinture aussi bien que les autres, sym-
bolisent notre pensée, et qu'elle accepte ou n'accepte pas le monde,
le monde qu'elle exprime vivra si notre pensée est vivante, notre
pensée vivra si le monde qui l'exprime a été pénétré par elle. Michel-
Ange et Titien, partis sans doute de deux horizons opposés, se ren-
contrent à moitié route.
Titien, dans ce groupe des grands Vénitiens du début de l'époque
héroïque, est d'ailleurs, par ses grandes compositions, ses nus, ses
paysages, ses portraits, celui de tous qui intervient le plus dans la
nature pour la concentrer sur l'étroit espace d'une toile après avoir
coordonné dans la volonté de son désir tous les éléments formels,
colorés, lumineux et sentimentaux par lesquels elle s'impose à son
amour. Palma Vecchio, si magnifique, avec ses larges femmes à che-
veux blonds, se laisse aller à l'ivresse de peindre les carnations et les
étoffes, il n'a pas ce rythme à la fois vaste comme la sensibilité et serré
comme la raison par où Titien nous livre sa pensée. Sébastien del
Piombo, qui vit plus de trente ans à Rome, y est envahi par les maîtres
de son école. Superbe peintre lourd et d'un éclat sombre d'ailleurs,
par ses femmes brunes aux yeux paisibles, aux grands corps pesants
et pleins, presque bestiaux où quelque chose de l'immense circulation
de vie que Venise va découvrir dans la nature pénètre les muscles
épais, les poitrines, les reins, les bras, les cuisses, comme si le volume
romain était trop étroit pour la maintenir et la laissait déborder de
partout. Mais dominé par Raphaël auquel il révèle en retour ce qu'il
lui fallait de Venise pour synthétiser l'Italie, et surtout par Michel-
Ange qu'il imitera trop souvent. Giorgione est mort, Lorenzo Lotto
s'efface dans sa mélancolie discrète, Pordenone, Basaïti, Bonifazio
restent au second plan. Titien va remplir un siècle entier, résumer
toute l'étendue, toute la durée de Venise, révéler à eux-mêmes Tintoret
et Véronèse, dominer l'Europe par les œuvres qu'il y répand derrière
les armées de Charles-Quint, définir pour toujours le langage de la
peinture, projeter sur l'avenir les ombres de Rubens, de Rembrandt,
de Vélasquez, de Poussin, de Watteau, de Delacroix, des paysagistes

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