cathédrale. Il suivit en désespéré Jérôme Savonarole qui soulevait
Florence contre l'esprit de désagrégation morale et de corruption
élégante amené par l'avènement de la tyrannie et le règne de l'analyse
et dont son œuvre avait été la nette manifestation. Il dut sans doute,
aux côtés du terrible moine, brûler des livres, crever des tableaux,
lui apporter certaines de ses œuvres pour qu'il les jetât au bûcher.
Savonarole, qui demandait aux peintres de revenir à l'esthétique de
Fra Angelico, ne pensait sûrement pas que l'œuvre du bon religieux
fût l'une des sources du mal nécessaire qu'il s'était juré d'extirper.
Il savait bien que la forme est vaincue par l'esprit quand elle entre
en lutte avec lui, mais il ne se doutait pas que l'esprit est vaincu par
la forme quand il lui demande de l'exprimer, et que la vérité divine
n'est pas ailleurs que dans l'équilibre toujours poursuivi, toujours
approché, toujours rompu et toujours espéré quand il vient encore
à se rompre, de la forme et de l'esprit. Son amour pour Angelico,
c'était encore et toujours cette idolâtrie par laquelle, trois siècles aupa-
ravant, François d'Assise avait délivré l'Italie.
VI
Il était sans doute trop tard ou trop tôt, pour que Florence aboutît.
La République, écartelée par la guerre civile, anémiée par la tyrannie,
énervée d'intellectualisme, de meurtre et d'amour, passant par crises
brusques d'un athéisme ardent à un mysticisme fébrile, la République
n'offrait plus à l'âme italienne qu'une source d'énergie presque épuisée.
Au bout de son histoire, Florence gardait encore sa langue primitive,
et cette langue primitive était déjà flétrie pour avoir exprimé une trop
grande somme de sensations, usée déjà pour avoir servi à trop d'intel-
ligences. Le dernier de ses grands peintres eut beau fuir l'âpre ville
pour tenter de briser la gangue de diamant dont elle emprisonnait
les cœurs. Bien qu'il ait devancé les temps, qu'il soit, par l'étendue et
la pénétration de l'analyse, le premier des esprits modernes, il reste
un primitif, au fond, un vieux primitif très savant et désenchanté,
quelque chose comme un germe de vie qui sentirait le cadavre.
Ce trait florentin, ce trait abstrait et presque arbitraire que Vinci
parvint à faire entrer en plein volume pour qu'il se confondît au niveau
du contour avec la décroissance de la lumière et le commencement
de l'ombre, on le sent présent tout de même, serrant comme en un
cercle de métal les crânes, les visages, les épaules, les bras, les mains,
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Florence contre l'esprit de désagrégation morale et de corruption
élégante amené par l'avènement de la tyrannie et le règne de l'analyse
et dont son œuvre avait été la nette manifestation. Il dut sans doute,
aux côtés du terrible moine, brûler des livres, crever des tableaux,
lui apporter certaines de ses œuvres pour qu'il les jetât au bûcher.
Savonarole, qui demandait aux peintres de revenir à l'esthétique de
Fra Angelico, ne pensait sûrement pas que l'œuvre du bon religieux
fût l'une des sources du mal nécessaire qu'il s'était juré d'extirper.
Il savait bien que la forme est vaincue par l'esprit quand elle entre
en lutte avec lui, mais il ne se doutait pas que l'esprit est vaincu par
la forme quand il lui demande de l'exprimer, et que la vérité divine
n'est pas ailleurs que dans l'équilibre toujours poursuivi, toujours
approché, toujours rompu et toujours espéré quand il vient encore
à se rompre, de la forme et de l'esprit. Son amour pour Angelico,
c'était encore et toujours cette idolâtrie par laquelle, trois siècles aupa-
ravant, François d'Assise avait délivré l'Italie.
VI
Il était sans doute trop tard ou trop tôt, pour que Florence aboutît.
La République, écartelée par la guerre civile, anémiée par la tyrannie,
énervée d'intellectualisme, de meurtre et d'amour, passant par crises
brusques d'un athéisme ardent à un mysticisme fébrile, la République
n'offrait plus à l'âme italienne qu'une source d'énergie presque épuisée.
Au bout de son histoire, Florence gardait encore sa langue primitive,
et cette langue primitive était déjà flétrie pour avoir exprimé une trop
grande somme de sensations, usée déjà pour avoir servi à trop d'intel-
ligences. Le dernier de ses grands peintres eut beau fuir l'âpre ville
pour tenter de briser la gangue de diamant dont elle emprisonnait
les cœurs. Bien qu'il ait devancé les temps, qu'il soit, par l'étendue et
la pénétration de l'analyse, le premier des esprits modernes, il reste
un primitif, au fond, un vieux primitif très savant et désenchanté,
quelque chose comme un germe de vie qui sentirait le cadavre.
Ce trait florentin, ce trait abstrait et presque arbitraire que Vinci
parvint à faire entrer en plein volume pour qu'il se confondît au niveau
du contour avec la décroissance de la lumière et le commencement
de l'ombre, on le sent présent tout de même, serrant comme en un
cercle de métal les crânes, les visages, les épaules, les bras, les mains,
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