ROME ET L'ECOLE
I
Quand les papes, à la fin du xive siècle, rentrèrent d'Avignon,
Rome était une ville morte. Quelques milliers de misérables
campaient au milieu des cirques envahis par la ronce et l'ortie,
des aqueducs rompus, des thermes éventrés. La vie, autour, agissait
dans les cités libres. Mais ici, rien de vivant. Des papes humanistes
essayant de créer un foyer d'attraction que quelques artistes errants,
dont aucun ne fera souche, consentiront à traverser. C'est Florence
et l'Ombrie qui fournissent à la cour romaine les architectes et les
peintres qu'elle réclame pour bâtir et décorer ses églises, Gentile da
Fabriano, Bernardino Rossellino, Piero della Francesca, Benozzo
Gozzoli, Melozzo da Forli, Bramante. L'action romaine ne sera jamais
assez intérieure pour fournir à ses besoins. Quand des artistes naîtront
à Rome, ce seront des esprits abondants et vides, tels que les veulent
les sociétés oisives pour distraire leur paresse et flatter leur vanité.
Mais elle est le seul abri que trouve l'âme italienne près de mûrir.
Au moment où Florence succombe, où Charles VIII, déguisé en sau-
veur de l'ordre, descend en Italie, Vinci féconde Milan et va révéler
à la France la profondeur déjà désabusée de la passion toscane. Gior-
gione, dans une forme à peu près épanouie, annonce Venise tout entière
où Titien apparaît. La vieille Ombrie s'anime, regarde du côté de
Rome. L'artiste italien cherche à s'affranchir des formules, à épancher
sa liberté. Quand Jules II, le pape artiste et batailleur, s'adresse à
l'architecte Bramante qui doit bientôt lui amener son jeune parent
Raphaël, et appelle Michel-Ange de Florence moins de deux ans
— 53 —
I
Quand les papes, à la fin du xive siècle, rentrèrent d'Avignon,
Rome était une ville morte. Quelques milliers de misérables
campaient au milieu des cirques envahis par la ronce et l'ortie,
des aqueducs rompus, des thermes éventrés. La vie, autour, agissait
dans les cités libres. Mais ici, rien de vivant. Des papes humanistes
essayant de créer un foyer d'attraction que quelques artistes errants,
dont aucun ne fera souche, consentiront à traverser. C'est Florence
et l'Ombrie qui fournissent à la cour romaine les architectes et les
peintres qu'elle réclame pour bâtir et décorer ses églises, Gentile da
Fabriano, Bernardino Rossellino, Piero della Francesca, Benozzo
Gozzoli, Melozzo da Forli, Bramante. L'action romaine ne sera jamais
assez intérieure pour fournir à ses besoins. Quand des artistes naîtront
à Rome, ce seront des esprits abondants et vides, tels que les veulent
les sociétés oisives pour distraire leur paresse et flatter leur vanité.
Mais elle est le seul abri que trouve l'âme italienne près de mûrir.
Au moment où Florence succombe, où Charles VIII, déguisé en sau-
veur de l'ordre, descend en Italie, Vinci féconde Milan et va révéler
à la France la profondeur déjà désabusée de la passion toscane. Gior-
gione, dans une forme à peu près épanouie, annonce Venise tout entière
où Titien apparaît. La vieille Ombrie s'anime, regarde du côté de
Rome. L'artiste italien cherche à s'affranchir des formules, à épancher
sa liberté. Quand Jules II, le pape artiste et batailleur, s'adresse à
l'architecte Bramante qui doit bientôt lui amener son jeune parent
Raphaël, et appelle Michel-Ange de Florence moins de deux ans
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