paysage et le besoin d'analyse qui le caractérisait. Chez Angelico,
chez Gozzoli, sans doute le rayonnement du cœur et l'illumination des
yeux noyaient dans leur gloire tout ce qu'il y a dans ces pratiques
ouvrières de minutieux et de petit. Mais chez ceux que tenait Florence
et qui ne savaient pas la fuir ou la dompter, le double courant minia-
turiste et littéraire déviait la passion native. Des anges auréolés à
plumages d'oiseaux d'Orient, portant des lys à tiges hautes sur des
fonds semés de fleurs, allaient d'un mouvement saccadé, nerveux et
bizarre, vers les paradis compliqués des esthètes florentins. Lespeintres
à la mode abrégeaient leur enquête et recouraient à des formules
primitives imparfaitement dégagées pour obéir plus vite aux idées
des écrivains.
V
Ce besoin atteignait jusqu'à ceux qui pratiquaient avec le plus
d'emportement la vie passionnelle de Florence. Quand on connaît
l'histoire de Filippo Lippi, son œuvre étonne. On la croirait plus dépen-
dante de tout ce qu'il y a dans la vie d'immédiatement bon à prendre.
C'était un de ces surprenants et magnifiques impulsifs à qui leur temps
pardonnait tout, parce qu'à les regarder vivre il reconnaissait son ins-
tinct. Point de loi, hors de leur désir. Benvenuto, cent ans plus tard,
ira dix fois jusqu'au meurtre. C'est la gloire et l'écueil de l'âme ita-
lienne. Elle va au bout d'elle-même, d'un élan. On dirait qu'elle ne
connaît aucun refuge entre le crime et l'héroïsme. L'anarchie senti-
mentale qui pesait tant à Masaccio ou à Donatello poussait à dévorer
la vie dans tous les sens ce moine qui restait moine après avoir séduit
des religieuses et qui allait à l'amour avec une espèce de fureur. Il
peignait dans l'exaltation, entre deux aventures fougueuses, d'une
peinture violemment modelée que ses accents rouges faisaient jaillir
de l'obscurité des chapelles, l'histoire sainte transportée dans la société
florentine, toute tourmentée et tressautante du drame qui la décom-
posait. Autour des festins et dans les fêtes des palais aux salles basses
carrelées de blanc et de noir, glissaient d'étranges femmes blondes qui
prolongeaient les temps mystiques jusqu'au cœur de l'orgie splendide
où les sens et la pensée se renouvelaient à la fois. Filippo Lippi marque
peut-être la minute la plus anxieuse qu'aient vécue les Florentins. Bien
que les peintres demandent encore à l'Écriture presque tous les pré-
textes à manifester leur passion, l'humanisme qui poursuit son œuvre
les a pénétrés. Le conflit se déplace. Il n'est plus entre leurs croyances
— 41 —
chez Gozzoli, sans doute le rayonnement du cœur et l'illumination des
yeux noyaient dans leur gloire tout ce qu'il y a dans ces pratiques
ouvrières de minutieux et de petit. Mais chez ceux que tenait Florence
et qui ne savaient pas la fuir ou la dompter, le double courant minia-
turiste et littéraire déviait la passion native. Des anges auréolés à
plumages d'oiseaux d'Orient, portant des lys à tiges hautes sur des
fonds semés de fleurs, allaient d'un mouvement saccadé, nerveux et
bizarre, vers les paradis compliqués des esthètes florentins. Lespeintres
à la mode abrégeaient leur enquête et recouraient à des formules
primitives imparfaitement dégagées pour obéir plus vite aux idées
des écrivains.
V
Ce besoin atteignait jusqu'à ceux qui pratiquaient avec le plus
d'emportement la vie passionnelle de Florence. Quand on connaît
l'histoire de Filippo Lippi, son œuvre étonne. On la croirait plus dépen-
dante de tout ce qu'il y a dans la vie d'immédiatement bon à prendre.
C'était un de ces surprenants et magnifiques impulsifs à qui leur temps
pardonnait tout, parce qu'à les regarder vivre il reconnaissait son ins-
tinct. Point de loi, hors de leur désir. Benvenuto, cent ans plus tard,
ira dix fois jusqu'au meurtre. C'est la gloire et l'écueil de l'âme ita-
lienne. Elle va au bout d'elle-même, d'un élan. On dirait qu'elle ne
connaît aucun refuge entre le crime et l'héroïsme. L'anarchie senti-
mentale qui pesait tant à Masaccio ou à Donatello poussait à dévorer
la vie dans tous les sens ce moine qui restait moine après avoir séduit
des religieuses et qui allait à l'amour avec une espèce de fureur. Il
peignait dans l'exaltation, entre deux aventures fougueuses, d'une
peinture violemment modelée que ses accents rouges faisaient jaillir
de l'obscurité des chapelles, l'histoire sainte transportée dans la société
florentine, toute tourmentée et tressautante du drame qui la décom-
posait. Autour des festins et dans les fêtes des palais aux salles basses
carrelées de blanc et de noir, glissaient d'étranges femmes blondes qui
prolongeaient les temps mystiques jusqu'au cœur de l'orgie splendide
où les sens et la pensée se renouvelaient à la fois. Filippo Lippi marque
peut-être la minute la plus anxieuse qu'aient vécue les Florentins. Bien
que les peintres demandent encore à l'Écriture presque tous les pré-
textes à manifester leur passion, l'humanisme qui poursuit son œuvre
les a pénétrés. Le conflit se déplace. Il n'est plus entre leurs croyances
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