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ont cette puissance à définir les caractères qui fit faire aux Florentins,
à Donatello, à Andrea del Castagno, à Verrochio, à Ghirlandajo,
à Filippino Lippi, à Botticelli quelquefois, à Benvenuto même, de si
terribles effigies, concentrées, nerveuses, frénétiques, et découpées dans
la passion. Seulement, elles sont revêtues d'une ampleur décorative
et fouillées avec une pénétration tranquille que Florence ne connut
pas. La fièvre qui dévorait ses peintres n'est plus en Titien. Il peut
décrire avec une sincérité tellement intransigeante qu'elle laisse aux
Césars et aux papes des crânes déformés, des masques atrophiés, des
mâchoires de bêtes, des mines hideuses et basses, il peut décrire ces
silhouettes vêtues de noir, ces mains musculeuses crispées sur des pom-
meaux d'épées, ces faces pâles aux yeux hagards, tous ces hommes
violents faits pour le meurtre comme les femmes sont faites pour
l'amour. C'est l'époque où le Condottiere tient l'Italie, où Machiavel
écrit le Prince. Les têtes du Titien la résument toute, des féroces por-
traits de cet Antonello de Messine qui avait apporté à Venise la pein-
ture à l'huile des Flamands, et des visages desséchés de Giovanni
Bellini, aux larges effigies un peu molles du beau peintre Pâris Bor-
done, aux grandes figures des doges qui arrêtèrent un moment la
vision désordonnée, fastueuse et brutale de Tintoret.

V

Entre Tintoret et Titien qui se ressemblent tant dès l'abord,
comme Véronèse leur ressemble, comme se ressemblent tous les Véni-
tiens quand l'œil se laisse éblouir par ces entassements de formes tour
à tour éclatantes ou sombres dans les soleils sanglants des horizons
maritimes, il y a pourtant, si leur verbe a souvent les mêmes images
et les mêmes sonorités, presque un antagonisme d'âmes. Deux Ita-
liens, deux Vénitiens dont l'un serait aussi un Grec, l'autre un Hindou.
Là, malgré la grandeur des créations, quelque chose de simple, de
sobre, un rythme à qui obéit l'abondance comme un fleuve de sang
au cœur, la volonté sortie des mêmes sources que la sensibilité est
montée au même plan qu'elle sans efforts. Ici l'orgie, un rythme
haletant et déchiré comme celui d'un élément qui a rompu ses
digues, la volonté toujours tendue pour résister à l'effroyable et
continuel assaut de la nature la plus sensuelle qui fût sans doute
jamais dans l'art occidental, et la volonté toujours emportée et tour-
noyante comme une paille dans le vent. Un torrent de soufre et de lave

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Ci-devant : Tintoret. Détail de Suzanne et les Vieillards.
(Vienne, Kuns Historischen Muséum.) Cl. Giraudon.
 
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