rencontraient avec les peintres de retables émigrés des villes rhénanes,
au pied des églises décorées par des statuaires qui devaient leur édu-
cation aux vieux imagiers français.
III
Qu'on se représente le jeune Albert Dürer en ce milieu d'intense
travail et d'activité embrouillée, où son vieux maître Wolgemuth, qui
s'est imprégné à Cologne de Rogier van der Weyden, lui cite en exemple
Pleydenwurff, l'introducteur à Nuremberg de la peinture des Fla-
mands... Qu'on le retrouve suivant passionnément les récits des com-
pagnons revenus d'Italie où le ramènent les tableaux d'ailleurs
médiocres de Jacopo da Barbari installé à Nuremberg vers ce temps-
là... Qu'on l'accompagne dans l'atelier d'orfèvre de son père, étudiant
avec avidité les gravures de Martin Schoengauer, le maître de Colmar,
les gravures austères où rien ne nous est épargné du spectacle des
plaies du Christ et du visage des bourreaux et dont la force drama-
tique s'accroît de la laideur, de la misère des modèles, du flot amer
qui monte du moyen âge finissant... Qu'on s'imagine avec quelle
fièvre cette nature passionnée qui fut toujours amoureuse de poésie,
de musique, de danse, surprenait en elle des formes guerrières chevau-
chant les nuées, des eaux glauques où les ondines glissent dans un
flot de paillettes d'or, toute la terre allemande fourmillante de génies,
quand, avec les rumeurs de la rue, venait jusqu'à la fenêtre le chœur
des maîtres-chanteurs... Qu'on assiste à présent au repliement sur
elle-même de cette sensibilité ardente et recueillie, à la prise de pos-
session des forces ataviques que la vieille activité de la cité, la sève
accumulée du sol, la rêverie sauvage des nomades de la steppe hon-
groise, qu'il tient du sang paternel, y déposent confusément... on
s'expliquera pourquoi, en ce lieu et à cette heure, s'épanouit celui qui
devait, trois cents ans avant les poètes et les musiciens de l'Allemagne,
exprimer dans un langage plus inattendu que le leur son âme infini-
ment complexe, réaliste et sentimentale, minutieuse et vague, enfantine
et apocalyptique, son âme qui reflète avec une précision intransigeante
toutes les images errantes et cependant reste impossible à saisir.
Le premier de tous les Allemands, il fut une expression complète,
et très haute, de la vie et du sol allemands. Mais nulle part ailleurs,
ni en France, ni en Flandre, ni en Italie même, il n'est possible de
trouver un représentant plus typique de l'artiste érudit de ces temps-
T. III. — 145 — "7
au pied des églises décorées par des statuaires qui devaient leur édu-
cation aux vieux imagiers français.
III
Qu'on se représente le jeune Albert Dürer en ce milieu d'intense
travail et d'activité embrouillée, où son vieux maître Wolgemuth, qui
s'est imprégné à Cologne de Rogier van der Weyden, lui cite en exemple
Pleydenwurff, l'introducteur à Nuremberg de la peinture des Fla-
mands... Qu'on le retrouve suivant passionnément les récits des com-
pagnons revenus d'Italie où le ramènent les tableaux d'ailleurs
médiocres de Jacopo da Barbari installé à Nuremberg vers ce temps-
là... Qu'on l'accompagne dans l'atelier d'orfèvre de son père, étudiant
avec avidité les gravures de Martin Schoengauer, le maître de Colmar,
les gravures austères où rien ne nous est épargné du spectacle des
plaies du Christ et du visage des bourreaux et dont la force drama-
tique s'accroît de la laideur, de la misère des modèles, du flot amer
qui monte du moyen âge finissant... Qu'on s'imagine avec quelle
fièvre cette nature passionnée qui fut toujours amoureuse de poésie,
de musique, de danse, surprenait en elle des formes guerrières chevau-
chant les nuées, des eaux glauques où les ondines glissent dans un
flot de paillettes d'or, toute la terre allemande fourmillante de génies,
quand, avec les rumeurs de la rue, venait jusqu'à la fenêtre le chœur
des maîtres-chanteurs... Qu'on assiste à présent au repliement sur
elle-même de cette sensibilité ardente et recueillie, à la prise de pos-
session des forces ataviques que la vieille activité de la cité, la sève
accumulée du sol, la rêverie sauvage des nomades de la steppe hon-
groise, qu'il tient du sang paternel, y déposent confusément... on
s'expliquera pourquoi, en ce lieu et à cette heure, s'épanouit celui qui
devait, trois cents ans avant les poètes et les musiciens de l'Allemagne,
exprimer dans un langage plus inattendu que le leur son âme infini-
ment complexe, réaliste et sentimentale, minutieuse et vague, enfantine
et apocalyptique, son âme qui reflète avec une précision intransigeante
toutes les images errantes et cependant reste impossible à saisir.
Le premier de tous les Allemands, il fut une expression complète,
et très haute, de la vie et du sol allemands. Mais nulle part ailleurs,
ni en France, ni en Flandre, ni en Italie même, il n'est possible de
trouver un représentant plus typique de l'artiste érudit de ces temps-
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