PREFACE
/'ai tenté de raconter dans ce volume l'épopée de l'individu, celle
dont la Renaissance et la Réforme ont marqué l'éclosion dramatique,
— car plus tard, la résistance des milieux politiques et religieux faiblit,
ou du moins ne s'avoue pas, en tout cas ne heurte plus de front l'insurrec-
tion spirituelle, renonce presque à la potence et à la roue et laisse s'éteindre
le bûcher. En ces temps, au contraire, l'individu jaillit pour ainsi dire,
et défonce, pour jaillir, une carapace épaisse, dix siècles de dogme et de
rites, d'interdictions, de compression, de formules, d'appareil social et
théologique à tel point lourd et profond — et humain — qu'il semblait
tenir dans les cœurs par mille racines vivantes impossibles à arracher.
D'où nous sommes pour l'observer, cet individu nous apparaît pour ainsi
dire gigantesque, monstrueux de force et de courage, étant seul devant
le monde qu'il a à réinventer. L'énergie de ces temps donne à leur art
l'accent qui ne le quitte guère, un accent déchirant parfois, mais d'une
âpreté telle que, plus tard, celui des plus grands peintres, devenu maître
de lui-même, paraît facile et heureux. L'individu, depuis, a pu se montrer
plus complet, plus équilibré surtout, de souffle plus régulier, prenant son
temps pour absorber les éléments épars du monde, les assimiler en profon-
deur, les répandre sur les esprits avec la plus royale abondance : il s'est
appelé Rubens, il s'est appelé Rembrandt, il s'est appelé Vélasquez. Mais,
durant les deux grands siècles italiens, les siècles flamand, ou français,
ou allemand qui le voient paraître, il semble plus fortement défini, plus
écrit pourrait-on dire, découpé dans l'énergie et la passion comme avec
un ciseau de fer, inquiétant certes, un peu hagard peut-être, en tout cas
décidé à dire ce qu'il a à dire, dut-il, pour le dire, tuer ou mourir. L'intel-
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/'ai tenté de raconter dans ce volume l'épopée de l'individu, celle
dont la Renaissance et la Réforme ont marqué l'éclosion dramatique,
— car plus tard, la résistance des milieux politiques et religieux faiblit,
ou du moins ne s'avoue pas, en tout cas ne heurte plus de front l'insurrec-
tion spirituelle, renonce presque à la potence et à la roue et laisse s'éteindre
le bûcher. En ces temps, au contraire, l'individu jaillit pour ainsi dire,
et défonce, pour jaillir, une carapace épaisse, dix siècles de dogme et de
rites, d'interdictions, de compression, de formules, d'appareil social et
théologique à tel point lourd et profond — et humain — qu'il semblait
tenir dans les cœurs par mille racines vivantes impossibles à arracher.
D'où nous sommes pour l'observer, cet individu nous apparaît pour ainsi
dire gigantesque, monstrueux de force et de courage, étant seul devant
le monde qu'il a à réinventer. L'énergie de ces temps donne à leur art
l'accent qui ne le quitte guère, un accent déchirant parfois, mais d'une
âpreté telle que, plus tard, celui des plus grands peintres, devenu maître
de lui-même, paraît facile et heureux. L'individu, depuis, a pu se montrer
plus complet, plus équilibré surtout, de souffle plus régulier, prenant son
temps pour absorber les éléments épars du monde, les assimiler en profon-
deur, les répandre sur les esprits avec la plus royale abondance : il s'est
appelé Rubens, il s'est appelé Rembrandt, il s'est appelé Vélasquez. Mais,
durant les deux grands siècles italiens, les siècles flamand, ou français,
ou allemand qui le voient paraître, il semble plus fortement défini, plus
écrit pourrait-on dire, découpé dans l'énergie et la passion comme avec
un ciseau de fer, inquiétant certes, un peu hagard peut-être, en tout cas
décidé à dire ce qu'il a à dire, dut-il, pour le dire, tuer ou mourir. L'intel-
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