Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Overview
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
que Jean de Mabuse et Quentin Matsys — et Shakespeare, Rubens,
Rembrandt sortirent de cette soumission ardente en attendant Newton,
Lamarck et Beethoven.

V
Or, en Flandre, le premier homme qu'elle révéla à lui-même était
une espèce de paysan que son langage inattendu, sa verve bizarre et
puissante ont trop souvent fait prendre pour un primitif seulement
comique, peut-être un peu ridicule et dont l'esprit était libre et hardi,
l'âme immense et rayonnante. Il s'appelait Pierre Breughel. Il avait
fait le voyage d'Italie, sans se presser, j'imagine, muni sans doute
d'assez peu d'argent, à pied probablement, musardant, revenant sur
ses pas, faisant de longs détours pour traverser les villages blottis
dans les creux qu'il découvrait hors de sa route, s'arrêtant pour des-
siner un bouquet d'arbres, un troupeau, un groupe de travailleurs
dans les champs, le geste d'un enfant, la forme d'un ciel. Il dut com-
prendre l'Italie. Au lieu d'en rapporter des procédés d'écriture et des
généralisations usées, il revint en Flandre pour regarder, en dehors
de toute habitude traditionnelle, de toute préoccupation symbolique
ou religieuse, de tout désir de ramener ses visions au grand idéal col-
lectif et confus qui s'éteignait peu à peu dans les masses, l'image très
pure et très candide, mais très raisonnée, très humaine, tout à fait
personnelle, qu'elle imprimait dans son cœur.
Il découvrit l'intimité du paysage, vers qui, depuis Paul de Lim-
bourg, s'orientaient les peintres de la Flandre, mais qu'aucun d'entre
eux, sauf Paul de Limbourg lui-même, Van der Goes et Patinir, n'avait
vraiment pénétré. Et aussi Jérôme Bosch dont la verve bouffonne
masque avec peine un sens profond et familier de la bonne terre pay-
sanne, des moissons, des fenaisons, des semailles et des labours. Les
Van Eyck faisaient bien s'enfoncer les plaines derrière les processions
et les cavalcades qui défilaient sous leurs yeux, Dierick Bouts, Memling
s'apercevaient, sans doute, que les ondulations de la campagne se
perdent en des buées bleues à mesure qu'elles s'éloignent. Mais au
fond aucun d'eux, pas même Jean Van Eyck, aucun n'osait s'avouer
à lui-même que les cavaliers, les soldats et les prophètes n'étaient
guère pour eux qu'un prétexte, que les arbres et les ciels les sollici-
taient davantage. Et peut-être aimaient-ils trop les lourdes tentures,
les tapisseries, les robes de velours vert ou noir ou de drap rouge pour
chercher vraiment dans le paysage, si attirés qu'ils fussent vers lui,
T. ni. -121 -12*
 
Annotationen