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IV

Cette pureté, cette transparence du ton, cette magnificence intacte
émanant de la matière même, tellement dure et condensée qu'elle
semble, comme un diamant noir, rayonner sa propre lumière, vont
caractériser la dernière école de Bruges. On les trouve même chez
Patinir, le plus émouvant peut-être, le profond lyrique du paysage,
le conteur puissant et concret des travaux de la campagne, l'ancêtre
de Pierre Breughel. Mais Patinir est seul sous ses ciels chargés de nuées,
dans ses plaines lourdes et riches où les forêts et les moissons alternent
et se succèdent jusque par delà l'horizon. Le peintre ne vit plus son
temps, et quand il le regarde, c'est pour y trouver des motifs à exprimer
les harmonies précieuses qui se sont figées dans ses yeux. La force
et la vie s'en retirent, comme de tout. Gérard David, l'élève de Mem-
ling, ne voit plus dans le monde que des matières ayant la pureté des
gemmes et des tons profonds comme l'eau. Les visages, sans doute,
comme chez tous les Flamands de ce temps, portent les stigmates de
l'âge, des privations, de la douleur physique, des soucis, et il s'efforce
honnêtement de nous les faire apercevoir. Mais, avant tout, il est un
peintre. Il n'a plus le cœur de Van Eyck, et il s'en faut d'un siècle pour
qu'il ait l'esprit de Rubens. Il peint les étoffes et le bois et l'acier avec
autant d'attention et de conscience que les mains et les figures, et
quand il décrit un supplice, il trouve dans le ton de la chair écorchée
et du couteau qui dégoutte de sang, surtout un prétexte à rappeler le
rouge dont les bourreaux sont habillés. C'est un harmoniste aussi
impitoyable que le fonctionnaire qui découpe la peau du supplicié.
Gérard David s'empare sans remords du refuge fermé des accords
irréprochables et des matières sans défaut. On voit bien qu'il vient
le dernier. Il est habitué au spectacle où les successeurs de Van Eyck
puisaient le fiel et les larmes ou qu'ils fuyaient en se voilant les yeux.
Là, comme ailleurs, le xve siècle avait ouvert les veines et déchiré les
cœurs. En Italie, le contraste effrayant entre une intelligence qui
monte et une action qui décroît, en France la guerre chronique, en
Flandre l'agonie convulsive de la liberté. Mais, ici et là, la souffrance
n'est pas la même. Les temps mauvais ont provoqué la douleur de
van der Weyden, la colère de Dierick Bouts, la tristesse de Memling,
la misère de Malouel. Le tourment de Masaccio, de Donatello, de
Botticelli vient de l'effort qu'ils font pour arracher leur âme à un idéal

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