d'orfèvrerie. On dirait qu'il sort à peine de chez lui, qu'il n'aperçoit
guère le monde qu'au travers des vitres de sa fenêtre, ce qui donne à
ses foules leur aspect lointain et leur aspect précieux, voilé, spirituel
à ses paysages. Tous les malheurs du monde, il en trouve la trace,
plutôt qu'il ne les éprouve lui-même, dans les attitudes des hommes et
des femmes à genoux, symétriquement disposés, et sur les visages qu'il
scrute avec lenteur, où la souffrance de plusieurs générations s'est
accumulée, visages d'hommes amaigris, anémiés, pâles, visages de
femmes tristes et doux, un peu douloureux, allongés, tirés par le béguin
sur le front et les tempes. Où sont les fortes effigies de Jean Van Eyck,
pleines, sanguines, bien nourries, Jean Van Eyck lui-même, sûr de
lui, de matière épaisse et d'esprit solide? Celui-là est un homme très
soigneux, discret, un peu timide, infiniment patient et attentif, infi-
niment artiste, malade sans doute, d'un mysticisme tendre et cloîtré,
amoureux de silence et d'estampes, de vieux livres, de violons et de
poésie, accueillant aux humbles, humble lui-même et très bon. Si ses
martyrs sont pitoyables, ses bourreaux sont moins repoussants que
ceux des autres, le caractère perd de sa force à être trop minutieusement
fouillé et l'action dramatique se voile un peu sous les fines recherches
de détail et les harmonies méticuleuses. Pures d'ailleurs, parfois écla-
tantes, d'un éclat liquide et limpide qui rend les rouges et les noirs
comparables à ceux des laqueurs japonais, et qu'on retrouve autre
part qu'en Flandre au cours de ce siècle et du suivant, chez les Alle-
mands, en Italie chez les Siennois et chose plus inattendue chez
Raphaël, en France aussi chez Jean Malouel et chez plusieurs des petits
peintres anonymes qui précèdent et accompagnent les Clouet. Ce ne
sont pas les seuls rapports de ce siècle avec le Japon, et, ce qui est plus
singulier, avec le Japon du même temps. A tout instant, dans les
tableaux siennois du xve siècle, on retrouve des visages allongés aux
yeux obliques qu'on dirait dessinés par un peintre du Nippon. Pisa-
nello, plus tard Dürer, comprennent beaucoup à leur manière les
plantes et les animaux, et tels petits portraits flamands de Memling, de
Petrus Cristus, de Hugo van der Goes, comme ceux des ducs de Bour-
gogne, vêtus de noir avec la Toison d'Or au cou, glabres, pâles, grands
visages dominateurs et sensuels, font penser par la pureté des har-
monies, les oppositions sobres et la décision du trait à l'art de leurs
contemporains du plus lointain Orient. Le hasard? Peut-être non.
Les Portugais avaient déjà apporté dans les ports de l'Europe des
plateaux et des coffrets laqués, peut-être même des peintures de
Meitshio, de Shiouboun ou de Sesshiu.
T. III.
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12
guère le monde qu'au travers des vitres de sa fenêtre, ce qui donne à
ses foules leur aspect lointain et leur aspect précieux, voilé, spirituel
à ses paysages. Tous les malheurs du monde, il en trouve la trace,
plutôt qu'il ne les éprouve lui-même, dans les attitudes des hommes et
des femmes à genoux, symétriquement disposés, et sur les visages qu'il
scrute avec lenteur, où la souffrance de plusieurs générations s'est
accumulée, visages d'hommes amaigris, anémiés, pâles, visages de
femmes tristes et doux, un peu douloureux, allongés, tirés par le béguin
sur le front et les tempes. Où sont les fortes effigies de Jean Van Eyck,
pleines, sanguines, bien nourries, Jean Van Eyck lui-même, sûr de
lui, de matière épaisse et d'esprit solide? Celui-là est un homme très
soigneux, discret, un peu timide, infiniment patient et attentif, infi-
niment artiste, malade sans doute, d'un mysticisme tendre et cloîtré,
amoureux de silence et d'estampes, de vieux livres, de violons et de
poésie, accueillant aux humbles, humble lui-même et très bon. Si ses
martyrs sont pitoyables, ses bourreaux sont moins repoussants que
ceux des autres, le caractère perd de sa force à être trop minutieusement
fouillé et l'action dramatique se voile un peu sous les fines recherches
de détail et les harmonies méticuleuses. Pures d'ailleurs, parfois écla-
tantes, d'un éclat liquide et limpide qui rend les rouges et les noirs
comparables à ceux des laqueurs japonais, et qu'on retrouve autre
part qu'en Flandre au cours de ce siècle et du suivant, chez les Alle-
mands, en Italie chez les Siennois et chose plus inattendue chez
Raphaël, en France aussi chez Jean Malouel et chez plusieurs des petits
peintres anonymes qui précèdent et accompagnent les Clouet. Ce ne
sont pas les seuls rapports de ce siècle avec le Japon, et, ce qui est plus
singulier, avec le Japon du même temps. A tout instant, dans les
tableaux siennois du xve siècle, on retrouve des visages allongés aux
yeux obliques qu'on dirait dessinés par un peintre du Nippon. Pisa-
nello, plus tard Dürer, comprennent beaucoup à leur manière les
plantes et les animaux, et tels petits portraits flamands de Memling, de
Petrus Cristus, de Hugo van der Goes, comme ceux des ducs de Bour-
gogne, vêtus de noir avec la Toison d'Or au cou, glabres, pâles, grands
visages dominateurs et sensuels, font penser par la pureté des har-
monies, les oppositions sobres et la décision du trait à l'art de leurs
contemporains du plus lointain Orient. Le hasard? Peut-être non.
Les Portugais avaient déjà apporté dans les ports de l'Europe des
plateaux et des coffrets laqués, peut-être même des peintures de
Meitshio, de Shiouboun ou de Sesshiu.
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