mythologie chrétienne cachée sous ces averses de rayons comme une
fleur pâle dans l'incendie de l'été. Tout est prétexte à embraser les
mornes pages, la mer, les bois, le sang, le vin, les plumes de l'aile des
anges, les robes des saints, les yeux des saintes, leurs cheveux, leurs
auréoles, les portes ouvertes des cieux. Après que la Flandre, au
xive siècle, a greffé sur l'observation malicieuse et candide des enlu-
mineurs français son amour pour le vrai paysage, pour le vrai visage
humain scrutés dans leurs détails les plus menus et les plus lourds,
la synthèse est à peu près faite d'où sortira la peinture de l'Europe du
Nord-Ouest. L'enluminure a envahi la page, elle y étouffe, elle y
manque d'air, bien que, dans son espace trop restreint l'air soit entré
à flots, que le paysage s'enfonce, que ses plans se dégagent du riche
chaos des couleurs, que la parenté de l'homme avec le profond univers
soit déjà plus que soupçonnée. C'est un tableau qui doit, s'il veut
durer, s'échapper d'autant plus du livre que l'imprimerie vient trans-
former le livre, le détrôner de son rang d'idole presque inaccessible
pour l'introniser dans son royaume populaire de diffusion et de cir-
culation sans fin.
II
Mais ce n'est pas l'imprimerie qui libéra la peinture. Elle était
sortie du livre avant que l'invention de Gutenberg eût répandu le
livre hors des universités et des couvents. Les deux mouvements
avaient la même source, ils répondaient au même besoin. Puisque le
peuple ne bâtissait plus ni halles ni églises, il fallait que l'âme des
halles et des églises, se répandît en lui pour y faire germer des âmes
qui berceraient son espoir. Les Van Eyck étaient attendus. On ne
s'étonne pas de les trouver si sûrs d'eux-mêmes, n'ayant à peu près
rien des primitifs et tels que s'ils sentaient derrière eux une tradition
déjà ancienne. Ils étaient en effet l'épanouissement du gothique, dont
l'expression colorée avait peu à peu mûri entre les pages des missels.
Il était nécessaire que la peinture à l'huile fût popularisée par
ceux qui avaient mission d'ouvrir ces pages et de secouer sur la foule
la toison d'or qu'elle avait eu tant de mal à conquérir. C'est par elle
qu'ils purent incorporer à la matière peinte la limpidité, la transpa-
rence, l'éclat profond et doux de la lumière du Nord, la lumière des
ciels couverts, des labours luisants, des bois mouillés, la lumière que
ne peut pas éteindre un trop pâle soleil. L'Agneau mystique de Van
Eyck célèbre à Gand le triomphe de la lumière presque exactement
-— no —
fleur pâle dans l'incendie de l'été. Tout est prétexte à embraser les
mornes pages, la mer, les bois, le sang, le vin, les plumes de l'aile des
anges, les robes des saints, les yeux des saintes, leurs cheveux, leurs
auréoles, les portes ouvertes des cieux. Après que la Flandre, au
xive siècle, a greffé sur l'observation malicieuse et candide des enlu-
mineurs français son amour pour le vrai paysage, pour le vrai visage
humain scrutés dans leurs détails les plus menus et les plus lourds,
la synthèse est à peu près faite d'où sortira la peinture de l'Europe du
Nord-Ouest. L'enluminure a envahi la page, elle y étouffe, elle y
manque d'air, bien que, dans son espace trop restreint l'air soit entré
à flots, que le paysage s'enfonce, que ses plans se dégagent du riche
chaos des couleurs, que la parenté de l'homme avec le profond univers
soit déjà plus que soupçonnée. C'est un tableau qui doit, s'il veut
durer, s'échapper d'autant plus du livre que l'imprimerie vient trans-
former le livre, le détrôner de son rang d'idole presque inaccessible
pour l'introniser dans son royaume populaire de diffusion et de cir-
culation sans fin.
II
Mais ce n'est pas l'imprimerie qui libéra la peinture. Elle était
sortie du livre avant que l'invention de Gutenberg eût répandu le
livre hors des universités et des couvents. Les deux mouvements
avaient la même source, ils répondaient au même besoin. Puisque le
peuple ne bâtissait plus ni halles ni églises, il fallait que l'âme des
halles et des églises, se répandît en lui pour y faire germer des âmes
qui berceraient son espoir. Les Van Eyck étaient attendus. On ne
s'étonne pas de les trouver si sûrs d'eux-mêmes, n'ayant à peu près
rien des primitifs et tels que s'ils sentaient derrière eux une tradition
déjà ancienne. Ils étaient en effet l'épanouissement du gothique, dont
l'expression colorée avait peu à peu mûri entre les pages des missels.
Il était nécessaire que la peinture à l'huile fût popularisée par
ceux qui avaient mission d'ouvrir ces pages et de secouer sur la foule
la toison d'or qu'elle avait eu tant de mal à conquérir. C'est par elle
qu'ils purent incorporer à la matière peinte la limpidité, la transpa-
rence, l'éclat profond et doux de la lumière du Nord, la lumière des
ciels couverts, des labours luisants, des bois mouillés, la lumière que
ne peut pas éteindre un trop pâle soleil. L'Agneau mystique de Van
Eyck célèbre à Gand le triomphe de la lumière presque exactement
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