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à la minute où le Baptême de Masaccio indique au désespoir des
Florentins l'idéal formel qui lui apparaît. La foi robuste des Flamands
préservait leur sensualité de l'inquiétude italienne. Ils restaient hommes
du moyen âge, le cœur solide, l'œil illuminé comme une verrière, et
c'est sans le savoir, sans en souffrir et sans aucune hâte qu'ils enga-
geaient l'Europe du Nord sur des chemins inexplorés.
Pas plus que les hommes du xiiie siècle, les Van Eyck qui venaient
de la Meuse et rattachaient ainsi la Flandre et la France au gothique
rhénan et à l'école de Cologne n'apercevaient d'antagonisme entre
les paradis sensuels et les paradis intérieurs. Ils ne se séparaient en
rien des négociants de Bruges et des industriels de Gand. C'étaient
de braves gens, aimant leur tâche, de probité robuste et d'esprit peu
tourmenté. Ils mettaient, à couvrir leur toile, la conscience de bons
tisserands, de bons drapiers, j'allais dire de bons teinturiers. Le paradis,
c'était pour eux la prière ponctuelle, les offices fidèlement suivis, le
prêtre écouté et respecté hors des affaires du commerce et de la pein-
ture, la vie acceptée simplement, pourvu qu'elle se déroulât dans un
beau cadre d'étoffes teintes et de bois travaillé, avec des écus dans
le coffre, de la bière au cellier, de grandes épaisseurs de linge dans
les armoires. C'étaient aussi des chevauchées de ville à ville, sur des
bêtes massives qui marchent au pas ou au trot et dont l'allure et la
docilité permettent de respirer à pleins poumons l'odeur des prés
couverts de marguerites, de longer les buissons en fleurs, d'emplir ses
yeux des fortes visions colorées des étendues vertes et bleues, où tous
les verts et tous les bleus se mêlent et se succèdent, où toutes les cul-
tures et tous les arbres et tous les horizons noyés installent dans le
souvenir d'indestructibles harmonies que fixent le poids des moissons,
l'épaisseur des terres labourées, la profondeur des nuages qui par-
courent un grand ciel. Il le faut bien pour que, la mauvaise saison
venue, quand les chemins sont défoncés, quand l'eau débordée des
rigoles noie les champs, on puisse faire entrer dans les pièces profondes
qui s'enfoncent derrière les vitres colorées un peu de la large splendeur
de ces paysages, broyer l'écrin qu'ils ont fourni pour teindre les robes
fourrées, pour sculpter les meubles creux vêtus de dentelles de bois
et les bijoux un peu barbares avec le produit de la vente des laines et
des peaux. Dans la pénombre riche, les tapis étouffent tout bruit. Une
intimité somptueuse règne, arrêtée par le chêne sombre, par les tapis-
series tendues, sourdes, souvent resplendissantes mais qu'atténue le
demi-jour et qui font entrer dans la pièce des foules silencieuses, une
extrême richesse lourde, une épaisseur de paix et de confort que ne
traverse pas plus le mauvais temps que l'écho du malheur des pauvres.
Dans ce luxe sans trous, le rouge profond, l'or et le bleu dominent.

III —
 
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