Mais les rouges des robes et des tapis et des carreaux se répètent dans
l'eau des cuivres, le cuivre erre aussi sur tous ces miroirs sourds, l'or
et le cuivre répandus, les rouges et les bleus, tout se répond, c'est une
harmonie méticuleuse et pesante où des émaux et des pierreries
étincellent.
Dans cette Flandre qui vivait de la fabrication et du commerce
des teintures et des étoffes, où les dentelles, les velours, les draps
s'entassaient dans les maisons bourgeoises, où l'on pendait des tapis-
series à toutes les fenêtres quand passaient les cortèges ducaux, pro-
digieux de faste matériel, il n'était pas possible que l'œil des peintres
ne fût pas sollicité sans cesse par toutes ces violentes, lourdes et pleines
harmonies. Quand ils pénétraient dans les chambres, elles leur appa-
raissaient comme de grands coffres ouverts où s'entassaient un peu
au hasard les plus magnifiques produits de l'industrie textile, formant
des symphonies confuses mais parfaites à cause de la splendeur des
matériaux et de la parenté des tons. Des hommes et des femmes qui
s'y trouvaient, on ne voyait que les mains et les visages, les corps étaient
couverts d'épaisses robes, les têtes de chaperons sombres ou d'amples
coiffes blanches qui cachaient des cheveux, les fronts et les cous. Les
volumes des corps, la correspondance des lignes se dissimulaient sous
les plis, les mains et les visages éclataient dans la pénombre, retenaient
seuls les regards de l'artiste avec les fortes taches colorées qui leur
servaient d'écrins. Et le tableau se composait tout seul, d'un bloc
massif qui s'installait dans leur mémoire sans un vide, ne leur laissant
ni l'envie ni le loisir de choisir ou d'éliminer.
C'est ce qui fait des Flamands, des Van Eyck en particulier, les
premiers de tous les peintres qui ont respecté l'aspect total de l'homme
sans y rien ajouter que leur force à le pénétrer. Ils poursuivent la res-
semblance avec ténacité, la ressemblance exacte, matérielle, jusque
dans la direction, la forme et la disposition des rides, le nombre des
poils, le grain de la peau et c'est la ressemblance matérielle qui, à
force d'exactitude, entraîne la ressemblance morale de l'individu dont
les besoins et les fonctions ont peu à peu modelé le visage. Visages de
marchands avides et probes, de femmes résignées à leur tâche et dont
les flancs portent presque toujours leur fardeau pesant et profond,
grands visages laids souvent, long nez, large bouche, mâchoire osseuse,
peau tirée sur le squelette de la face ou flasque et labourée de plis.
Ils sont lourds de force et de calme, denses, pleins d'une telle épaisseur
de matière et d'une vérité si nue qu'on les dirait taillés dans la masse
des muscles, des nerfs, du sang, des os. Aucune généralisation, mais
pas un mensonge. Chacun de ces êtres est celui qui est venu trouver
le peintre, chacun vit tout à fait, sans retour sur le passé, sans regard
— 112 —
l'eau des cuivres, le cuivre erre aussi sur tous ces miroirs sourds, l'or
et le cuivre répandus, les rouges et les bleus, tout se répond, c'est une
harmonie méticuleuse et pesante où des émaux et des pierreries
étincellent.
Dans cette Flandre qui vivait de la fabrication et du commerce
des teintures et des étoffes, où les dentelles, les velours, les draps
s'entassaient dans les maisons bourgeoises, où l'on pendait des tapis-
series à toutes les fenêtres quand passaient les cortèges ducaux, pro-
digieux de faste matériel, il n'était pas possible que l'œil des peintres
ne fût pas sollicité sans cesse par toutes ces violentes, lourdes et pleines
harmonies. Quand ils pénétraient dans les chambres, elles leur appa-
raissaient comme de grands coffres ouverts où s'entassaient un peu
au hasard les plus magnifiques produits de l'industrie textile, formant
des symphonies confuses mais parfaites à cause de la splendeur des
matériaux et de la parenté des tons. Des hommes et des femmes qui
s'y trouvaient, on ne voyait que les mains et les visages, les corps étaient
couverts d'épaisses robes, les têtes de chaperons sombres ou d'amples
coiffes blanches qui cachaient des cheveux, les fronts et les cous. Les
volumes des corps, la correspondance des lignes se dissimulaient sous
les plis, les mains et les visages éclataient dans la pénombre, retenaient
seuls les regards de l'artiste avec les fortes taches colorées qui leur
servaient d'écrins. Et le tableau se composait tout seul, d'un bloc
massif qui s'installait dans leur mémoire sans un vide, ne leur laissant
ni l'envie ni le loisir de choisir ou d'éliminer.
C'est ce qui fait des Flamands, des Van Eyck en particulier, les
premiers de tous les peintres qui ont respecté l'aspect total de l'homme
sans y rien ajouter que leur force à le pénétrer. Ils poursuivent la res-
semblance avec ténacité, la ressemblance exacte, matérielle, jusque
dans la direction, la forme et la disposition des rides, le nombre des
poils, le grain de la peau et c'est la ressemblance matérielle qui, à
force d'exactitude, entraîne la ressemblance morale de l'individu dont
les besoins et les fonctions ont peu à peu modelé le visage. Visages de
marchands avides et probes, de femmes résignées à leur tâche et dont
les flancs portent presque toujours leur fardeau pesant et profond,
grands visages laids souvent, long nez, large bouche, mâchoire osseuse,
peau tirée sur le squelette de la face ou flasque et labourée de plis.
Ils sont lourds de force et de calme, denses, pleins d'une telle épaisseur
de matière et d'une vérité si nue qu'on les dirait taillés dans la masse
des muscles, des nerfs, du sang, des os. Aucune généralisation, mais
pas un mensonge. Chacun de ces êtres est celui qui est venu trouver
le peintre, chacun vit tout à fait, sans retour sur le passé, sans regard
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