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s'écarte, le bruit des musiques décroît. Des femmes trop fardées, avec
des tignasses flambantes, lui font signe d'un balcon. Il monte. Le
voici au milieu des caniches équivoques, des singes obscènes, des
colombes qui roucoulent, troublé par des parfums épais et de luisants
regards. Il cède, il s'écœure, il s'attriste, il erre au hasard. De la rue,
il regarde au fond des logis solitaires. Et voici l'apaisement. Quand
il voit des fillettes dormir dans leur petit lit, il les visite avec les fées
et s'en va sur la pointe des pieds après avoir posé un joli bouquet
sur la table. Il a déjà repris sa place dans les processions et les fêtes,
au milieu des évêques habillés de rouge et d'or. Il sait que les fanfares
font sortir des maisons et se pencher aux fenêtres les spectateurs dont
le spectacle est tout pour lui. Puis il part avec les navires. Il fuit vers
tous les climats. Il est de toutes les batailles. Il suit aux extrémités
de la terre les bons chevaliers chrétiens qui vont combattre le dragon.
L'histoire, la légende encore imprégnée de trouble poésie gothique,
la vie toujours imprévue, le songe quelquefois sanglant, tout se heurte
en foules précises, presque immobiles de gestes, mais entraînées par
le sentiment décoratif et dramatique dans un lyrisme de couleur où
l'âme de Venise éclate avec tant d'orgueil ingénu que ni Titien, ni
Tintoret, ni Véronèse, quand ils l'exprimeront avec de plus larges
moyens, ne la sentiront mieux. Esprit charmant, très italien, très
oriental, un peu barbare, un peu fou, traversé d'un souffle de liberté
où s'éparpillent en cent mille images l'écho merveilleux des grands
voyages qui commencent, le pressentiment des îles embaumées, des
forêts pleines d'oiseaux d'or, des peuplades inconnues, des cons-
tellations nouvelles. Les bleus presque noirs des eaux mortes, la forêt
des bannières rouges, les rouges et les verts mariés par un frottis d'or,
la fanfare des ciels, des mers, des édifices, des grandes robes cha-
marrées, les bleus, les verts, les noirs sur l'accompagnement profond
et soutenu des rouges, éclatent en sonorités sourdes qui paraissent
retentir dans les trompettes des hérauts.

III
Le dernier des Bellini achevait son long travail de préparation
technique et de maturation sensuelle et Carpaccio rassemblait dans
un élan de verve ardente tous les éléments décoratifs et pittoresques où
les grands peintres puiseront pendant près d'un siècle, au moment
où la puissance vénitienne, ébranlée par la prise de Constantinople

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