VI
Point de rapports à première vue entre cette sensibilité gauche
et la volonté toujours grandissante qui permit au dernier des peintres
allemands, mort à quarante-six ans, d'enfermer dans l'ondulation sou-
tenue d'une ligne aussi sobre que l'intelligence latine, la complexité
de l'âme allemande. De plus près, cependant, c'est la même race. Hans
Holbein n'a scruté les dessins de Michel-Ange, de Vinci, de Raphaël,
il n'a étudié les fresques de Venise, de Mantoue, de Padoue, de Flo-
rence peut-être où il dut aller depuis Bâle, que pour demander à la
puissance éducatrice des maîtres italiens de lui aider à dégager de
l'œuvre confuse de Cranach, de Dürer, de Grünewald, de Martin
Schœngaüer, les éléments d'une définition plus claire et plus plastique
de l'effort allemand. Un lien impossible à briser attache aux portraits
nets, doux et sauvages de Cranach, aux portraits ligneux et compacts
de Dürer, à tous les portraits de tous les Allemands, d'Aldegrever à
Baldung Grien et de Barthélemy Bruyn à Christophe Amberger, les
images incomparables où le maître de Bâle, dans un trait léger comme
une lueur qui frise une surface charnue, décisif comme une arête
osseuse, donne la sensation du bloc du visage vivant, esprit et muscles,
os et sang, âme flottante et concentrée.
Il tenait de son père déjà, le vieux maître d'Augsbourg, ce trait
gauche en apparence qui suit fidèlement la ligne du visage, ne néglige
aucun de ses accidents, le restitue avec une conscience terrible dans
les saillies et les enfoncements inégaux, qui lui donne, par la façon
dont l'œil s'enchâsse dans l'orbite, dont le menton et la pommette
se profilent, dont le nez s'écrase ou s'élance, dont le front ou les tempes
se bossellent ou s'élargissent, son accent particulier. Les Italiens lui
avaient conseillé d'appuyer un peu plus ici, un peu moins là, de ne
laisser subsister du visage que ses sommets expressifs. Ils lui avaient
aussi montré la façon d'emplir un cadre, de s'arrêter à temps, d'établir
dans l'espace un volume défini. Mais c'est bien tout. S'il choisit,
comme eux, ce n'est pas pour généraliser, c'est pour individualiser.
Au lieu d'essayer d'atteindre par la synthèse une vérité universelle,
il atteint par l'analyse une vérité particulière. L'instrument qu'il prend
aux Italiens, il l'emploie à mieux chercher en lui et autour de lui l'Alle-
magne, pour la mieux définir. Quand il quittera Bâle pour Londres,
c'est encore en Allemand qu'il parlera des Anglais. C'est en Allemand
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Point de rapports à première vue entre cette sensibilité gauche
et la volonté toujours grandissante qui permit au dernier des peintres
allemands, mort à quarante-six ans, d'enfermer dans l'ondulation sou-
tenue d'une ligne aussi sobre que l'intelligence latine, la complexité
de l'âme allemande. De plus près, cependant, c'est la même race. Hans
Holbein n'a scruté les dessins de Michel-Ange, de Vinci, de Raphaël,
il n'a étudié les fresques de Venise, de Mantoue, de Padoue, de Flo-
rence peut-être où il dut aller depuis Bâle, que pour demander à la
puissance éducatrice des maîtres italiens de lui aider à dégager de
l'œuvre confuse de Cranach, de Dürer, de Grünewald, de Martin
Schœngaüer, les éléments d'une définition plus claire et plus plastique
de l'effort allemand. Un lien impossible à briser attache aux portraits
nets, doux et sauvages de Cranach, aux portraits ligneux et compacts
de Dürer, à tous les portraits de tous les Allemands, d'Aldegrever à
Baldung Grien et de Barthélemy Bruyn à Christophe Amberger, les
images incomparables où le maître de Bâle, dans un trait léger comme
une lueur qui frise une surface charnue, décisif comme une arête
osseuse, donne la sensation du bloc du visage vivant, esprit et muscles,
os et sang, âme flottante et concentrée.
Il tenait de son père déjà, le vieux maître d'Augsbourg, ce trait
gauche en apparence qui suit fidèlement la ligne du visage, ne néglige
aucun de ses accidents, le restitue avec une conscience terrible dans
les saillies et les enfoncements inégaux, qui lui donne, par la façon
dont l'œil s'enchâsse dans l'orbite, dont le menton et la pommette
se profilent, dont le nez s'écrase ou s'élance, dont le front ou les tempes
se bossellent ou s'élargissent, son accent particulier. Les Italiens lui
avaient conseillé d'appuyer un peu plus ici, un peu moins là, de ne
laisser subsister du visage que ses sommets expressifs. Ils lui avaient
aussi montré la façon d'emplir un cadre, de s'arrêter à temps, d'établir
dans l'espace un volume défini. Mais c'est bien tout. S'il choisit,
comme eux, ce n'est pas pour généraliser, c'est pour individualiser.
Au lieu d'essayer d'atteindre par la synthèse une vérité universelle,
il atteint par l'analyse une vérité particulière. L'instrument qu'il prend
aux Italiens, il l'emploie à mieux chercher en lui et autour de lui l'Alle-
magne, pour la mieux définir. Quand il quittera Bâle pour Londres,
c'est encore en Allemand qu'il parlera des Anglais. C'est en Allemand
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