autre chose que des harmonies correspondantes, un accompagnement
somptueux et fraternel aux scènes du premier plan.
Chez Breughel, tout change, ou plutôt tout mûrit. Il se place au
centre des plaines, c'est la plaine même qui vit, l'homme qui la par-
court ne vit pas d'une autre vie qu'elle, il participe à tous ses change-
ments, à tous ses drames, il a ses habitudes et ses désirs et ses besoins.
Avec un égal intérêt, le peintre demande aux hommes et aux arbres
de lui parler. Les uns sont ses amis au même titre que les autres, il
redit les confidences de la nature inerte et de la nature animée avec
le même lyrisme bonhomme, spontané, mais patient, et peut-être un
peu goguenard. Ou plutôt rien n'est inerte pour lui de toutes les choses
terrestres, rien, pas même le sol, pas même les brins de bois mort,
pas même les objets fabriqués par la main de l'homme, pas même
les cailloux des chemins. Tout cela lui parle à la fois, discrètement,
bavarde avec lui, chuchote, tout a sa petite vie personnelle, modeste,
mais décidée à ne rien perdre de ses droits.
Comment, de cette accumulation de petits faits, sort-il une vie
si puissante? Qu'il pénètre dans l'unique rue ou sur la place d'un
village ou se trouve seul au milieu des champs, il voit tout, jusqu'aux
choses les plus menues, les fait voir toutes, et imprime à l'ensemble
une telle animation que l'universelle poésie de la foule et de la terre
vous inonde peu à peu. Comment se fait-il qu'on puisse compter
les centaines d'enfants qui jouent, distinguer leurs petits jouets, s'en
amuser avec eux, qu'on puisse écouter les clabauderies et les commé-
rages des ménagères assemblées par groupes ou mouchant les petits
ou balayant le devant de leur porte, qu'on puisse accompagner d'un
regard attendri les pauvres gens qui vont et viennent avec leurs cha-
riots et leurs outils, qu'on puisse en même temps saisir l'affairement
général, le grouillement désordonné de toutes ces humanités si humbles,
reconnaître dans la rumeur confuse les rires et les pleurs, tous les
cris, tous les appels, les racontars chuchotés à l'oreille? Comment
peut-il apercevoir toutes les feuilles des arbres, toutes leurs branches
grêles sur le ciel blanc, tous les brins d'herbe, distinguer tous les
oiseaux qui volettent et sautillent, décrire l'une après l'autre toutes
les fenêtres des maisons et donner du même coup à la nature tout
entière cette vie collective qui ne sépare rien de rien, enveloppe et
couvre toutes choses du même air, du même ciel? Comment n'oublie-
t-il pas, quand il conte avec tous ses menus détails une historiette,
qu'il est un peintre, pour soutenir, d'un bout à l'autre de la toile, les
plus subtiles, les plus denses, les plus discrètes harmonies, associant
les tons avec une science minutieuse que sa tendresse rend émouvante
comme le chant d'une voix?
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somptueux et fraternel aux scènes du premier plan.
Chez Breughel, tout change, ou plutôt tout mûrit. Il se place au
centre des plaines, c'est la plaine même qui vit, l'homme qui la par-
court ne vit pas d'une autre vie qu'elle, il participe à tous ses change-
ments, à tous ses drames, il a ses habitudes et ses désirs et ses besoins.
Avec un égal intérêt, le peintre demande aux hommes et aux arbres
de lui parler. Les uns sont ses amis au même titre que les autres, il
redit les confidences de la nature inerte et de la nature animée avec
le même lyrisme bonhomme, spontané, mais patient, et peut-être un
peu goguenard. Ou plutôt rien n'est inerte pour lui de toutes les choses
terrestres, rien, pas même le sol, pas même les brins de bois mort,
pas même les objets fabriqués par la main de l'homme, pas même
les cailloux des chemins. Tout cela lui parle à la fois, discrètement,
bavarde avec lui, chuchote, tout a sa petite vie personnelle, modeste,
mais décidée à ne rien perdre de ses droits.
Comment, de cette accumulation de petits faits, sort-il une vie
si puissante? Qu'il pénètre dans l'unique rue ou sur la place d'un
village ou se trouve seul au milieu des champs, il voit tout, jusqu'aux
choses les plus menues, les fait voir toutes, et imprime à l'ensemble
une telle animation que l'universelle poésie de la foule et de la terre
vous inonde peu à peu. Comment se fait-il qu'on puisse compter
les centaines d'enfants qui jouent, distinguer leurs petits jouets, s'en
amuser avec eux, qu'on puisse écouter les clabauderies et les commé-
rages des ménagères assemblées par groupes ou mouchant les petits
ou balayant le devant de leur porte, qu'on puisse accompagner d'un
regard attendri les pauvres gens qui vont et viennent avec leurs cha-
riots et leurs outils, qu'on puisse en même temps saisir l'affairement
général, le grouillement désordonné de toutes ces humanités si humbles,
reconnaître dans la rumeur confuse les rires et les pleurs, tous les
cris, tous les appels, les racontars chuchotés à l'oreille? Comment
peut-il apercevoir toutes les feuilles des arbres, toutes leurs branches
grêles sur le ciel blanc, tous les brins d'herbe, distinguer tous les
oiseaux qui volettent et sautillent, décrire l'une après l'autre toutes
les fenêtres des maisons et donner du même coup à la nature tout
entière cette vie collective qui ne sépare rien de rien, enveloppe et
couvre toutes choses du même air, du même ciel? Comment n'oublie-
t-il pas, quand il conte avec tous ses menus détails une historiette,
qu'il est un peintre, pour soutenir, d'un bout à l'autre de la toile, les
plus subtiles, les plus denses, les plus discrètes harmonies, associant
les tons avec une science minutieuse que sa tendresse rend émouvante
comme le chant d'une voix?
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