anciennes et la montée d'instinct qui les pousse à scruter les formes
pour en arracher l'esprit. Il est entre ce vivant instinct même et l'action
prématurée de l'érudition philosophique et littéraire qui prétend
retrouver dans la pensée antique l'aliment des besoins nouveaux que
l'Italie se découvre. Chez Filippo Lippi, le trait florentin s'énerve,
exagère ses courbes, commence à torturer la démarche et le geste,
l'inclinaison de la tête et la torsion du cou sur les épaules, les plis des
robes et jusqu'à la forme des fleurs. Tous ses élèves, et les sculpteurs
eux-mêmes, Agostino di Duccio entre autres, vont le suivre sur ce
terrain. L'esprit platonicien, dont l'élite se réclame, vient trop tôt.
L'âme grecque, avec Platon, appuyait ses généralisations sur trois
cents ans de vie vécue, sentie, aimée pour elle-même, qui s'était
harmonieusement développée dans une direction unique sans un arrêt,
sans un recul, pour aboutir dans son ascension naturelle à l'idéalisme
vivant du siècle de Périclès. Florence mord un fruit trop vert qui lui
fait grincer les dents.
Mieux valait cependant pour Florence et l'Italie explorer le terrain
littéraire offert par les Platoniciens, quitte à revenir ensuite sur leurs
pas, que de s'effacer devant les œuvres du passé qu'on leur proposait
pour modèles. La vie sensuelle et passionnelle était, il est vrai, trop
forte en elles, pour qu'elles pussent consentir à cet effacement. Rien
au fond, dans la forme florentine, ne rappelle la forme antique et il
n'y a pas plus de rapports entre l'art florentin et celui des sculpteurs
d'Athènes ou de l'Italie impériale qu'il n'y en avait entre la religion
et le rythme social de la Florence du xve siècle et le paganisme gréco-
latin. La forme antique est aussi calme et pleine que la forme floren-
tine est aigre et sèche et tourmentée. Même quand il s'efforce à
ressembler à l'art des races mortes, peut-être surtout à ce moment-là,
l'art toscan reste toscan. Quelle qu'ait été l'influence de Pétrarque
et de l'humanisme — influence bienfaisante puisqu'elle suscita la
curiosité, l'inquiétude des artistes, un besoin d'analyse nécessaire en
ces temps-là — la peinture italienne ne dut à l'art antique que le désir
de se trouver. Il ne faut pas oublier que l'Italie était encore l'Italie,
que douze siècles, s'ils avaient fait à ses hommes une sensibilité plus
fiévreuse, n'avaient changé ni ses paysages, ni ses cultures, ni son
climat et que c'est au génie de leurs sens qu'obéissaient les Italiens,
quand ils demandaient au vieux monde le témoignage et l'appui
d'une forme d'intelligence qu'ils sentaient parente de la leur. Avant
Pétrarque, Dante connut Virgile, puisqu'il lui demanda de l'accom-
pagner aux enfers et fut sur le point d'écrire en latin son poème. La
vie l'emporta.
La vie l'emporta partout en Italie. Elle écrivit son poème en un
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pour en arracher l'esprit. Il est entre ce vivant instinct même et l'action
prématurée de l'érudition philosophique et littéraire qui prétend
retrouver dans la pensée antique l'aliment des besoins nouveaux que
l'Italie se découvre. Chez Filippo Lippi, le trait florentin s'énerve,
exagère ses courbes, commence à torturer la démarche et le geste,
l'inclinaison de la tête et la torsion du cou sur les épaules, les plis des
robes et jusqu'à la forme des fleurs. Tous ses élèves, et les sculpteurs
eux-mêmes, Agostino di Duccio entre autres, vont le suivre sur ce
terrain. L'esprit platonicien, dont l'élite se réclame, vient trop tôt.
L'âme grecque, avec Platon, appuyait ses généralisations sur trois
cents ans de vie vécue, sentie, aimée pour elle-même, qui s'était
harmonieusement développée dans une direction unique sans un arrêt,
sans un recul, pour aboutir dans son ascension naturelle à l'idéalisme
vivant du siècle de Périclès. Florence mord un fruit trop vert qui lui
fait grincer les dents.
Mieux valait cependant pour Florence et l'Italie explorer le terrain
littéraire offert par les Platoniciens, quitte à revenir ensuite sur leurs
pas, que de s'effacer devant les œuvres du passé qu'on leur proposait
pour modèles. La vie sensuelle et passionnelle était, il est vrai, trop
forte en elles, pour qu'elles pussent consentir à cet effacement. Rien
au fond, dans la forme florentine, ne rappelle la forme antique et il
n'y a pas plus de rapports entre l'art florentin et celui des sculpteurs
d'Athènes ou de l'Italie impériale qu'il n'y en avait entre la religion
et le rythme social de la Florence du xve siècle et le paganisme gréco-
latin. La forme antique est aussi calme et pleine que la forme floren-
tine est aigre et sèche et tourmentée. Même quand il s'efforce à
ressembler à l'art des races mortes, peut-être surtout à ce moment-là,
l'art toscan reste toscan. Quelle qu'ait été l'influence de Pétrarque
et de l'humanisme — influence bienfaisante puisqu'elle suscita la
curiosité, l'inquiétude des artistes, un besoin d'analyse nécessaire en
ces temps-là — la peinture italienne ne dut à l'art antique que le désir
de se trouver. Il ne faut pas oublier que l'Italie était encore l'Italie,
que douze siècles, s'ils avaient fait à ses hommes une sensibilité plus
fiévreuse, n'avaient changé ni ses paysages, ni ses cultures, ni son
climat et que c'est au génie de leurs sens qu'obéissaient les Italiens,
quand ils demandaient au vieux monde le témoignage et l'appui
d'une forme d'intelligence qu'ils sentaient parente de la leur. Avant
Pétrarque, Dante connut Virgile, puisqu'il lui demanda de l'accom-
pagner aux enfers et fut sur le point d'écrire en latin son poème. La
vie l'emporta.
La vie l'emporta partout en Italie. Elle écrivit son poème en un
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