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Il n'est pas d'artiste qui exprime — sans le savoir — cette tragédie
intellectuelle avec plus de détresse que Sandro Botticelli, imagination
voluptueuse mais souffrante et qui se tortura jusqu'à la fin de ne pas
trouver son accord avec l'univers vivant qu'elle voulut et ne sut pas
sentir. Il découvrit le mystère des bois et des prairies, la fécondité de
la mer et la sauvagerie du vent. Il voulait avec tant de fièvre la beauté
nue qu'avant même de la regarder, il la tordait et la brûlait aux flammes
de son désir. Il aimait tellement les fleurs qu'il en faisait pleuvoir du
ciel quand il n'en trouvait pas sur terre. Mais elles exhalaient l'odeur
funèbre des fleurs mortes. Il avait beau les tresser en couronnes, en
guirlandes, charger de roses et d'œillets, d'hyacinthes, de bleuets les
arbres noirs, les gazons, les brises, les robes de gaze et les cheveux
épais des androgynes maigres qui tentaient de ranimer dans ses toiles
les printemps disparus, les Vénus flétries, toutes les déesses des forêts
et des sources auxquelles il ne croyait plus, les fruits, les fleurs, les
formes nues accumulées accentuaient son impuissance à restituer la
vie dans sa force indifférente. Œuvre artificielle, indécise, pénible,
avortée, la plus triste de la peinture.
Et pourtant l'une des plus nobles. L'inquiétude ardente qui s'y
sent ne fait qu'en souligner l'aspiration vers une harmonie intellec-
tuelle qu'une culture moins littéraire et plus plastique lui eût permis
d'atteindre. Si l'esprit en est empoisonné, l'instinct en est constam-
ment pur et grave, l'artiste y semble crucifié par l'effort toujours
vaincu d'arracher sa foi toujours vive aux complications toujours
renaissantes d'une intelligence mal équilibrée. La marche et la danse,
les défilés processionnels, l'élan vers l'amour et l'enfance, tout ce qui
porte dans le geste les plus belles impulsions du cœur, tout cela garde
malgré tout chez lui une majesté spirituelle que les mouvements les
plus étranges et la composition la plus bizarre ne parviennent pas
à masquer. Botticelli est la victime des esthètes de son temps et aussi
du nôtre. Ceux-là l'ont perverti. Ceux-ci l'ont méconnu. Sa destinée
reste tragique. Sa gloire posthume le veut, comme son art lui-même
et sa vie et sa mort.
Ce grand imaginatif à qui n'a manqué, du grand homme, que
la directe humanité, finit en dévot malade et corrompu. C'est l'ordi-
naire destin de la sensibilité trop aiguë que l'intelligence trop débile
n'a pas su discipliner. Il souffrit certainement d'avoir mêlé, l'un des
premiers, parmi les peintres renaissants, les aphrodites et les vierges,
les dieux païens qu'il n'adorait que par dilettantisme littéraire aux
dieux chrétiens auxquels il revenait dans un élan de mysticisme décou-
ragé où il ne trouva pas le repos. Il illustra l'Enfer de Dante de dessins
convulsifs qui font penser à une danse de fous dans la nef d'une

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