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Faure, Élie
Histoire de l'art ([Band 3]): L'art renaissant — Paris: Librarie Plon, 1948

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https://doi.org/10.11588/diglit.71102#0239
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les mêmes procédés que cette horloge, et, quand ils ont, à force de
conscience, à force de labeur, donné à une halle, à une nef, des pro-
portions monumentales, y suspendre des objets hétéroclites qui en
ruinent l'effet d'un seul coup.
De là, nous l'avons vu, leur panthéisme négatif que Dürer, le
premier, exprime avec tant de force confuse. De là leur pessimisme
qui, trois cents ans avant Schopenhauer, enveloppe comme d'une
atmosphère invisible l'œuvre du graveur de Nuremberg. Cet art patient,
exact, compliqué bien que poétique, sincère jusqu'à l'immolation de
soi, d'une fantaisie tourmentée, d'un symbolisme profond mais parfois
si obscur qu'il paraît s'ignorer lui-même, respire tout entier, malgré
l'éclat concentré d'une verve puissante et sa vaste sensualité, la tris-
tesse définitive de l'homme qui ne sait pas choisir. Partout le sablier
mesure le temps qui coule tandis que l'idylle sourit ou que le drame
pleure et la mort traverse souvent un paysage paisible où rit une his-
toire d'amour. Dans la Mélancholia, qui semble résumer toute son
œuvre, on voit le génie humain écrasé de lassitude, avec toutes ses
conquêtes autour de lui, parce que, malgré ses grandes ailes, il n'a
rien appris d'essentiel. Comme Faust, Albert Dürer s'est promené
dans tous les mondes, à la poursuite de l'illusion qu'il n'a jamais pu
saisir.

IV
Sans doute l'homme souffre, quel qu'il soit, et à quelque époque
qu'il vive. Mais c'est seulement la faculté ou le besoin de l'analyse qui
l'entraînent à regarder la vie sous un angle pessimiste, à ne plus lui
voir d'autres directions que la mort, à douter que son effort douloureux
puisse servir aux hommes qui viendront, ou du moins à ne leur accorder
son aide que sans joie et à contre-cœur. Ce découragement philoso-
phique, d'autant plus surprenant qu'il contraste avec leur courage à
travailler la matière et à scruter le monde, est commun à presque
tous les penseurs, à presque tous les artistes allemands. Les malheurs
de leur siècle ne suffisent pas à l'expliquer. Les pays allemands,
au xve siècle, au début du xvie, étaient aussi prospères que la Flandre
ou l'Italie, infiniment plus heureux que la France, déchirée, ruinée,
saignée à blanc par cent ans de guerre... Pourtant, presque pas de
gravure allemande, presque pas de tableau ou de bas-relief allemand
où la hantise de la mort ne flotte. Le sablier est presque toujours là,
ou quelques os brisés. Et c'est en Allemagne surtout que la Danse des

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